Décidément, l’insertion de la clause dérogatoire dans le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État québécois a le don d’exacerber plusieurs susceptibilités dans divers milieux sociaux, politiques et juridiques.
Or, selon une étude publiée en 2016 par Guillaume Rousseau, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke, et intitulée La disposition dérogatoire des chartes des droits : de la théorie à la pratique, de l’identité au progrès social, la disposition de dérogation a été utilisée au Québec pas moins de 110 fois dans plus de 40 lois distinctes.
Différend parmi les juristes
Le 12 octobre, dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir, 26 Québécois – avocats, ancien bâtonnier, ex-ambassadeur, juge à la retraite – plaident pour que Québec recoure aux dispositions de dérogation afin de soustraire « cette nécessaire entreprise de la laïcité québécoise à la tutelle des Chartes ».
Il faut éviter que la laïcité « ne soit euthanasiée judiciairement », insistent-ils.
Moins d'une semaine plus tard, toujours dans Le Devoir, une vingtaine de voix s'élèvent contre la possible interdiction des symboles religieux au Québec.
« Déroger aux libertés et droits fondamentaux est une question d'une exceptionnelle gravité », disent la vingtaine d'avocats et de professeurs d'université « [...] En interdisant à des personnes issues d'une diversité de cultures et de religions de travailler, l'État échoue à son devoir de protéger sa neutralité tant à l'égard des croyants que des non-croyants », disent les signataires de cette lettre.
Le gouvernement Legault, affirment ces experts en droit, ne veut pas tant la séparation de l'État de la religion que « le rejet de la diversité ».
La loi 178 sur l’affichage en français
« Gouverner, c'est choisir », déclarait le premier ministre Robert Bourassa, il y a presque 30 ans, pour justifier le recours à la clause de dérogation pour imposer l'affichage unilingue français à l'extérieur des commerces au Québec. La Cour suprême du Canada vient alors de lui asséner un soufflet en disant qu'interdire l'anglais dans l'affichage commercial est contraire à la liberté d'expression.
Qu’à cela ne tienne, pour maintenir l'affichage extérieur unilingue français au Québec, le gouvernement Bourassa adopte la loi 178 qui inclut la clause dérogatoire.
Utilisation de la disposition de dérogation à la suite du rapatriement de la Constitution
Ironie du sort, c'est à la suite de « la nuit des longs couteaux », que la disposition de dérogation est ajoutée à toutes les lois québécoises antérieures à 1982 « pour que l'Assemblée nationale garde intacts les pouvoirs législatifs du Québec sans être assujettie à un cadre juridique extérieur ».
Divers motifs justifiant la clause dérogatoire
11 des 41 lois assujetties à la clause de dérogation sont liées à l'identité, notamment la langue, l’école et les religions, et 22 à un objectif de progrès social.
Conclusion
Sur le plan politique, la disposition de dérogation est un outil particulièrement puissant. Les efforts pour contester le raisonnement quant à son utilisation n'ont eu aucun succès jusqu'ici. - Eric Adams, professeur en droit constitutionnel à l'Université de l'Alberta, dans une entrevue accordée à CBC.
Source :
Henri Marineau, Québec
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