Cela se passait à Los Angeles, au printemps 2009. Le Consul général du Canada avait rassemblé à sa table plusieurs personnalités californiennes autour d’un Premier ministre d’une province de l’Ouest que je ne puis nommer. J’étais de passage, en promotion des écoles internationales d’été du Cérium, et je fus invité.
Un Californien aborda avec le PM canadien la question de l’immigration. “Nous, ici, on a des tas de problèmes avec les immigrants mexicains, dit-il. Mais vous, au Canada, vous semblez avoir trouvé la formule qui marche. Pouvez-vous nous donner des conseils.”
Nous étions en pleine crise des accommodements au Québec et, ayant entendu souvent des représentants canadiens de par le monde, je m’attendais à la cassette habituelle des exploits multiculturels de notre beau grand pays, phare post-moderne de l’univers. Eh non. Le PM eut la franchise que permettent l’éloignement et l’anonymat.
“Ce n’est pas aussi rose que vous le pensez. Les problèmes d’intégration sont très réels partout au Canada. Il y a un mécontentement que je sens grandir dans la population. Il n’en faudrait pas beaucoup pour que les braises s’enflamment.” Le Californien était très déçu. Pas moi.
J’avais encore à l’esprit un article de La Presse qui avait démontré qu’il y n’avait pas plus de plaintes de discrimination raciale au Québec qu’en Ontario (même si nous n’avons pas de leçons à donner pour l’embauche des minorités, loin s’en faut). La seule grande différence entre le Québec et l’Ontario: ici, on en parle !
Du moins, c’était vrai. Car la prédiction du PM de l’Ouest est en train de se réaliser. Dans le Globe and Mail de ce mardi, la chroniqueuse Margaret Wente écrivait ce qui suit au sujet des cas allemands et canadiens:
Comme les Canadiens, les Allemands ont été inondés de propagande officielle célébrant les joies de la diversité ethnique. Dans les deux pays, le fait d’exprimer des doutes au sujet de la politique d’immigration était socialement verboten. Comme l’explique la journaliste allemande Sabine Beppler-Spahl dans le magazine en ligne Spiked!, “être ‘pro-immigration’ ou ‘pro-multiculturalisme’ en Allemagne aujourd’hui est l’équivalent d’un statut social, une façon de prouver que vous êtes culturellement raffiné et cosmopolites, contrairement aux classes populaires incultes et racistes.”
L’histoire et la composition de l’immigration au Canada sont résolument différentes de la situation allemande. Mais notre point de bascule est aussi sur le point d’arriver. Et lorsqu’il arrivera, il n’y aura pas de retour possible.
La date du point de bascule
Ce point de bascule pourrait avoir une date: le lundi 25 octobre prochain. C’est la date où l’une des villes les plus cosmopolites du monde, la plus importante au Canada, Toronto, pourrait élire un maire très nettement post-multiculturel: Rob Ford. (La course est très serrée.)
Il est ouvertement critique de la politique d’immigration canadienne, juge que le pays a suffisamment d’immigrants et a voulu déclarer Toronto une “zone libre de réfugiés” pour refuser d’accueillir les Tamouls réfugiés en Colombie-Britannique. Comme l’indique ma collègue Chantal Hébert, ces déclarations très un-canadian ont fait monter sa cote de popularité.
Ford surfe sur un retour de balancier défavorable aux immigrants qu’on n’aurait pas cru possible dans le Canada multiculturel il y a quelques années à peine. Je vous ai parlé récemment des sondages réalisés en juillet et en septembre par la firme Angus Reid sur les attitudes des Canadiens et des Américains face à l’immigration.
Angus Reid perçoit un durcissement de l’opinion canadienne face à l’immigration ces dernières années. La moitié des répondants, notamment, souhaitent que les réfugiés Tamouls soient déportés et retournés au Sri Lanka !
Un révélateur, la burka
En avril dernier, les éditorialistes bien-pensants du Canada anglais ont fondu sur le Québec pour la décision du gouvernement Charest d’interdire le port du voile intégral dans les services publics.
Angus Reid a la bonne idée de faire un sondage qui démontre, comme prévu, que l’immense majorité des Québécois y sont favorables. Mais il révèle aussi, ce qui est surprenant, que des majorités existent également au Canada anglais pour cette interdiction:
Manitoba, Saskatchewan: 65%
Colombie-Britannique: 70%
Maritimes: 73%
Ontario: 77%
Alberta: 82%
Québec: 83%
Un autre sondeur, ayant obtenu des résultats similaires, a avoué que lui et son équipe avaient été très surpris de ces réactions. “On est au Canada, on n’interdit rien ici” a-t-il commenté.
Étrangement, dès la publication de ce sondage, le chef du parti qui a inventé le multiculturalisme, Michael Ignatieff du PLC, s’est découvert une tolérance nouvelle pour l’approche québécoise !
Ces mouvements de mauvaise humeur de l’opinion canadienne envers l’immigration, les réfugiés et les cas comme la burka n’épuisent évidemment pas le débat sur le multiculturalisme et n’en annoncent pas le décès. Mais elles sont symptomatiques d’un ras-le-bol palpable.
Or le déclin du multiculturalisme n’est pas seulement perceptible chez les Rednecks et les intolérants des classes inférieures “incultes et racistes”, mais dans toute l’opinion canadienne.
Il est aussi perceptible dans la haute société canadienne. Chez des intellectuels et même, chez les juges. Ce que nous verrons dans notre épisode de demain…
Le multicul au Canada: au point de bascule ?
Multiculturalisme - subversion intégrale! - 2
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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