LA RÉPLIQUE › SONDAGE SUR LE CATHOLICISME QUÉBÉCOIS

Le mot « délitement » ne convient pas

Le catholicisme entre plutôt dans une nouvelle phase de son exculturation, c’est-à-dire de « déliaison » avec la culture québécoise

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Une société en voie de redéfinition

Dans Le Devoir du 31 mars, Jean-Pierre Proulx soutient qu’un récent sondage CROP–Radio-Canada révélerait le « délitement » du catholicisme au Québec. Le terme est-il bien choisi ? Je ne le pense pas. Je pense plutôt que le catholicisme entre dans une nouvelle phase de son exculturation, c’est-à-dire de « déliaison » avec la culture québécoise, marquée sur le plan individuel par la remise en question de l’affiliation religieuse et, sur le plan collectif, par une vaste réflexion autour de son apport patrimonial. Cette situation aurait comme conséquence non pas le délitement ou la fin du catholicisme au Québec, mais la transformation de sa place au sein de la culture ; le catholicisme devenant peu à peu une religion parmi d’autres.

L’ambivalence des catholiques québécois

Contrairement à ceux qui jugent encore le catholicisme d’aujourd’hui à l’aune de ce qu’il fut à l’époque de la chrétienté triomphante, les catholiques québécois ne présentent pas un portrait unifié quant aux questions religieuses. Ils sont en cela similaires aux individus interrogés dans la plupart des enquêtes depuis une trentaine d’années (voir les travaux de R.Lemieux, de L.Rousseau et de J.Grand’Maison et S.Lefebvre, et les miens). Rarissimes (moins de 5 % dans ce sondage) sont ces individus se disant catholiques, adhérant à toutes les croyances de base du catholicisme, ayant une connaissance étendue de leur religion, qui en mettent les préceptes au coeur de leur quotidien tout en fréquentant la messe dominicale. Depuis les années 1960, les catholiques du Québec, c’est-à-dire ceux se déclarant tels, ont entretenu un rapport amour/haine quant à l’institution cléricale. S’ils ont délaissé de plus en plus la pratique religieuse, ils ont continué à faire baptiser leur enfant (près de 3sur 4 jusqu’en 2001) ; s’ils préfèrent l’union libre au mariage catholique, ils se sont très majoritairement identifiés au catholicisme (70 % en 2010). Bref, la situation d’ambivalence dénotée par J.-P. Proulx n’a rien bien de nouveau — c’est celle du catholicisme culturel post-Révolution tranquille.

Quelques nouveautés à surveiller

Ce qui, en revanche, marque la nouveauté des résultats du sondage, ce sont deux aspects complémentaires : d’abord, l’identification des motifs de l’appartenance catholique, ensuite, l’accélération et l’intensification de la baisse des indicateurs de religiosité. Ce sondage cherchait à déterminer les motifs de l’appartenance chez une personne se déclarant catholique. Le répondant pouvait choisir plusieurs réponses. Si, sans surprise, les choix de réponse les plus généraux (« parce que j’ai été baptisé » ; « parce que mes parents sont catholiques ») ont été les plus fréquemment cités, le motif de la foi (« je me déclare catholique parce que j’ai la foi ») n’a été choisi que par un peu plus du tiers des répondants. Aucun sondage n’avait fourni ce portrait auparavant ; impossible donc de le comparer à d’autres pour évaluer la tendance. L’analyse des données nous permet toutefois de faire l’hypothèse qu’il y aurait trois types de catholiques au Québec, divisés grosso modo en trois tiers : 1. les plus engagés (tant sur le plan de la croyance que de la pratique religieuse), qui forment une minorité active dans l’Église ; 2. les catholiques culturels, qui partagent certains éléments du christianisme, peu ou prou pratiquants, et estimant que les valeurs québécoises doivent conserver l’empreinte du catholicisme ; 3. les catholiques nominaux pour qui la religion catholique représente tout au plus une assise patrimoniale. Ces trois types de catholiques coexistent assurément depuis longtemps dans le paysage québécois. La nouveauté, s’il en est une, c’est de pouvoir mieux mesurer leur poids respectif, et de montrer combien plus que jamais le rapport au catholicisme tient ici de la question identitaire.

C’est peut-être le rejet de cette même question par les 18-34 ans qui explique une part de la baisse du taux d’appartenance catholique au Québec, qui passe ici de 70 % qu’il était en 2010 (ESG, Statistique Canada) à 59 %. Jean-Pierre Proulx l’a bien noté, sur à peu près toutes les variables : cette strate d’âge se distingue de celles des plus âgés, et de façon très marquée en ce qui a trait aux croyances et aux motifs de l’appartenance (seul 1jeune catholique sur 5 indique que c’est parce qu’il a la foi qu’il se dit catholique). C’est parmi cette strate d’âge que l’on retrouve le plus de « sans-religion » (plus de 30 %). C’est aussi parmi elle que l’on compte le plus de catholiques nominaux. Ces 18-34 ans sont les enfants des réformes de l’enseignement religieux au Québec et il n’est pas étonnant de lire dans leurs réponses une rupture affirmée avec un certain catholicisme culturel.

Produit du débat de la charte ?

Une chute de 10 % en 4 ans du taux de catholiques au Québec est très importante, surtout si l’on garde en tête que ce taux n’a baissé que d’environ 15 % en 40 ans auparavant. Elle peut être causée par un mauvais échantillonnage ; elle peut être aussi le résultat d’une nouvelle méthode de cueillette de données. Elle peut aussi être le fruit des circonstances. Le sondage a été préparé dans un temps fort de la redéfinition religieuse et identitaire du Québec, celui de la charte des valeurs et de la laïcité. Tout ce débat n’est pas seulement un produit de la sécularisation, comme le propose J.-P. Proulx, il est aussi producteur d’une transformation sociale. Semaine après semaine, les débats entourant la charte enjoignent les citoyens québécois à prendre position, à réfléchir sur leur religion, sur celle des autres, sur la relation de la leur à celle des autres, sur le religieux en général, sur sa portée et sa charge politique, culturelle et sociale. Bien que nécessaire, cette situation demeure historiquement exceptionnelle. Ne transforme-t-elle pas les représentations religieuses fragiles d’hier en accélérant ce qui aurait pu prendre une décennie à survenir avec une telle intensité ? Autrement dit, sans vouloir prendre l’effet pour la cause, il faut malgré tout tenter d’évaluer l’influence du débat de la charte sur l’effritement du catholicisme culturel. Une part importante de la sociologie des religions suggère que la disparition de l’entre-deux mène à la polarisation… N’y sommes-nous pas déjà un peu ?
E.-Martin Meunier - Professeur au Département de sociologie et d’anthropologie et titulaire de la Chaire Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles à l’Université d’Ottawa


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