Le mélange des genres

Citoyenneté québécoise - Conjoncture de crise en vue

Ce n'est pas d'hier que Jean-François Lisée s'attire des critiques au sein du PQ. Déjà, à l'époque où il était le conseiller de Jacques Parizeau, puis de Lucien Bouchard, de nombreux ministres, apparatchiks et simples militants voyaient en lui un intrigant qui fourrait toujours son nez partout.

Mon collègue Antoine Robitaille faisait écho, mardi, dans Le Devoir, à l'agacement qu'ont provoqué ses interventions publiques répétées sur le thème de l'identité québécoise, que ce soit à Tout le monde en parle ou devant la commission Bouchard-Taylor, qui ont donné l'impression qu'il menait Pauline Marois par le bout du nez. «C'est quand même pas lui, le chef!»
Il est vrai que la modestie ne l'a jamais étouffé. Dans son célèbre livre Le Tricheur, il a raconté comment il s'était lui-même proposé à Robert Bourassa pour siéger à la commission Bélanger-Campeau. «Un jeune intellectuel non aligné, de la génération post-bébéboumeur, avec huit ans d'expérience internationale et qui vient d'écrire un best-seller sur les relations Québec-États-Unis, ça ferait un bon commissaire, non?»
M. Bourassa n'avait pas mordu à l'hameçon, mais l'aspirant conseiller n'aurait pas pu imposer sa présence à deux autres premiers ministres qui s'en méfiaient comme de la peste au départ si ceux-ci n'avaient pas eu le sentiment qu'il pouvait leur être utile. Lui-même a fait en sorte de se rendre indispensable au point de devenir une véritable éminence grise. Manifestement, il n'a pas perdu la main.
Louise Beaudoin, qui l'avait observé de près pendant toutes ces années, disait: «Un premier ministre est toujours à la recherche de nouvelles idées. S'il y a cinq personnes dans une pièce, Lisée en a toujours plus que les quatre autres ensemble.»
D'ailleurs, il est le premier à le reconnaître: «Le succès que j'ai eu dans les conseils que j'ai donnés tenait à la capacité de proposition. Ce n'est pas à moi de juger si mes conseils étaient bons ou mauvais, mais ce qui est certain, c'est que j'avais à en donner», a-t-il expliqué aux auteurs d'un livre paru l'an dernier sous le titre Les Éminences grises, Yves Théorêt et André-A. Lafrance.
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En plus, il était tenace. Si, dans un premier temps, son patron rejetait une de ses propositions, il revenait aussitôt à la charge. Il pouvait rédiger une note sur à peu près n'importe quel sujet en un temps record. À l'époque, il rappelait un peu Jacques Attali, ce brillant touche-à-tout dont François Mitterrand s'était entiché.
Le problème est que toutes les idées ne sont pas nécessairement bonnes simplement parce qu'elles sont originales. En 1995, M. Lisée a eu raison de sensibiliser M. Parizeau à la nécessité d'une «ouverture» aux nationalistes mous, symbolisés par Mario Dumont, qui est venue bien près d'assurer la victoire du OUI. En revanche, le spectacle organisé au Grand Théâtre de Québec pour dévoiler officiellement le «préambule» de la «Déclaration de souveraineté» faisait un peu cucul. (sic)
Le discours du théâtre Centaur adressé à la communauté anglophone, que M. Lisée avait inspiré à Lucien Bouchard, n'a valu que des déboires à l'ancien premier ministre. Il a suscité une méfiance indélébile chez les militants péquistes, tandis que les anglophones ont eu le sentiment d'avoir été bernés.
Personne n'avait cependant forcé M. Bouchard à prononcer le discours du Centaur. Il n'a pas mieux évalué que son conseiller l'impact qu'il aurait sur le PQ au moment où la question linguistique allait servir d'exutoire à la frustration engendrée par la défaite référendaire.
Cet automne, Pauline Marois a choisi de suivre l'avis de M. Lisée et de proposer l'instauration d'une citoyenneté québécoise à des conditions qui auraient pour effet de créer deux catégories de citoyens (sic), malgré l'opposition d'autres conseillers d'expérience, notamment Joseph Facal et Yves Martin.
Il semble toutefois qu'elle ait été très surprise d'apprendre après coup que son conseiller préparait un essai sur le sujet. De là à penser qu'il avait tout manigancé pour se mettre en avant, il y a un pas que certains dans l'entourage de la chef péquiste sont fortement tentés de franchir.
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Certes, on ne peut pas reprocher à un homme d'avoir des idées et de chercher à leur assurer la plus large diffusion possible. M. Lisée aime briller et tout le monde reconnaît volontiers sa vive intelligence.
Ce mélange des genres peut cependant être assez déroutant et risque de nuire à sa propre crédibilité. Pour le commun des mortels, il est difficile de déterminer à quel moment M. Lisée parle en sa qualité de conseiller ou en son nom personnel. Ou même à titre de directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM).
En général, un conseiller se signale par sa discrétion, à moins qu'il ne soit en mission commandée. Si elles sont retenues, ses idées deviennent automatiquement celles de son patron. Cela exige une certaine abnégation, qui trouve sa récompense dans le plaisir de se sentir à proximité du pouvoir.
S'il veut faire de la politique active, M. Lisée n'avait qu'à accepter l'Invitation de Mme Marois, qui avait pensé à lui pour succéder à Diane Lemieux dans Bourget avant d'offrir la circonscription à Maka Kotto. Les coulisses du pouvoir sont sans doute plus confortables que la ligne de front, mais on ne peut pas avoir le meilleur des deux mondes.
Tant qu'il a été au service d'un premier ministre, M. Lisée s'est abstenu de publier quoi que ce soit. Même si Lucien Bouchard était sans doute d'accord avec le diagnostic posé dans Sortie de secours, paru en février 2000, il aurait été inadmissible que son conseiller propose la tenue d'un référendum visant à donner au gouvernement du Québec le mandat de négocier un nouveau statut au sein de la fédération canadienne.
Il est vrai que M. Lisée ne fait pas partie du personnel rétribué de Pauline Marois, mais son accès privilégié à la chef du PQ devrait l'inciter à une plus grande réserve.
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mdavid@ledevoir.com


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