Le latin est mort, vive le latin!

l n’est pas exagéré de constater que cette grande langue vit une renaissance, dont les signes tangibles abondent

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Un retour du pendule ? À souhaiter. Ça presse !

Depuis quelques décennies, on assiste, au Québec, à un recul marqué de l’enseignement du latin. Amorcé durant la Révolution tranquille, ce mouvement a connu une accélération au cours des dernières années, à la suite de l’abolition du certificat en enseignement (1996) et de la réforme des programmes (1997).
Une telle situation découle cependant d’une mauvaise compréhension de l’ensemble des effets positifs des études classiques, mais aussi de l’évolution internationale en matière linguistique.
Pour ce qui est de l’enseignement des langues, le Québec est en effet à contre-courant d’un grand nombre de pays: Finlande, Belgique, Suisse, Allemagne, Angleterre, Écosse, France… voici quelques pays qui ont choisi de conserver ou de redonner une place à cette matière dans leur programme.
Mais cet intérêt pour le latin n’est pas seulement un phénomène européen. Aux États-Unis, le regain du latin fait suite à une série d’études réalisées depuis le début des années 1990.
Ces études révèlent que les élèves inscrits en latin présentent systématiquement des habiletés langagières supérieures, de même qu’une plus grande facilité à résoudre des problèmes mathématiques.
En outre, ces mêmes élèves ont accru de façon considérable leurs connaissances en histoire, en compréhension du monde contemporain, en sciences et en langues étrangères. Fait encore plus intéressant, le latin n’est plus uniquement un phénomène élitiste puisqu’il est dorénavant offert à des groupes d’élèves exclus des programmes de langue étrangère en raison de leurs faibles habiletés en lecture.
Plus proche de nous, en Ontario, après avoir frôlé l’extinction, les études classiques sont clairement de retour. Plus de quarante écoles secondaires offrent maintenant cette matière et au moins une cinquantaine des cours de civilisation gréco-romaine. Pour répondre à la demande croissante en professeurs qualifiés, l’Université de Toronto a réintroduit un baccalauréat en enseignement du latin.
Même au Québec, la situation n’est pas celle qui fut décrite dans deux articles parus dans le présent quotidien. De fait, le collège Jean-de-Brébeuf n’est pas le seul établissement secondaire québécois à accorder une place aux études classiques. Le latin est en effet offert parmi les cours optionnels au collège Villa Maria et à l’Académie de Roberval (une école publique !). Le collège Mont-Saint-Louis, sans offrir le volet linguistique, a aussi intégré à sa grille horaire un cours de civilisations classiques. Enfin, à compter de septembre 2013, le Cégep de Trois-Rivières offrira un cours d’initiation à la langue latine.
L’annonce de la mort du latin et des études classiques est donc prématurée. Plus juste serait même de parler d’une renaissance dont les signes tangibles abondent. De célèbres oeuvres littéraires ou populaires sont traduites en latin, dont Le petit prince, Le petit Nicolas, Harry Potter, Le Hobbit, Robinson Crusoé ainsi qu’un grand nombre de bandes dessinées (Astérix, Alix, Murena, Snoopy, Tintin…). D’autres sont clairement inspirées du monde gréco-romain, tels Eragon, Amos Daragon, Percy Jackson, Hunger Games…
Plusieurs sites Internet présentent des nouvelles radiodiffusées (Nuntii latini) ou écrites en latin (Ephemeris). Des revues pour adolescents voient le jour (Adulescens) et des groupes de musique rock et hip-hop sont créés. Même Wikipedia et Facebook sont disponibles en langue latine.
Comment expliquer un tel intérêt pour cette matière au début du XXIe siècle ? C’est que des études récentes ont confirmé ce que les latinistes proclamaient déjà depuis plusieurs années. Un cours de latin bien structuré procure de nombreux avantages que l’apprentissage d’une langue moderne ne permet pas : le développement d’un esprit logique et scientifique, un enrichissement linguistique en français et en anglais, une simplification de l’apprentissage ultérieur des langues modernes, l’acquisition d’une solide culture générale et une meilleure compréhension du monde d’aujourd’hui, puisqu’il est toujours fortement imprégné de la civilisation gréco-romaine et que plusieurs conflits, événements ou structures politiques ne se comprennent véritablement qu’à la lumière du prisme gréco-romain.
Mais l’utilité des études classiques ne se limite pas à ces seuls bénéfices intellectuels. Dans un grand nombre de pays, elles trouvent maintenant des utilités professionnelles, certaines jusqu’alors insoupçonnées.
Dans l’industrie du tourisme et du patrimoine, même en Amérique, elles constituent un avantage indéniable, puisqu’elles permettent d’expliquer nombre d’éléments décoratifs qui ornent monuments et édifices, voire de mieux présenter aux visiteurs un certain nombre d’oeuvres d’art qui sont exposées dans les musées.
En archivistique, il s’agit d’un instrument indispensable pour classer et informatiser les archives historiques et les collections de livres rares. Dans l’industrie cinématographique, on recherche des techniciens, des concepteurs de décor ou de costumes possédant une formation de base en latin et en civilisation gréco-romaine pour plus d’exactitude historique.
Même les industries basées sur les nouvelles technologies considèrent maintenant les études classiques comme un atout, notamment pour la conception de ludiciels.
Est-ce dire qu’il faut retourner au cours classique et contraindre tous les élèves à apprendre le latin ? Loin de là : les études classiques ne sont qu’une des innombrables voies menant à la réussite.
Mon souhait serait toutefois qu’on cesse de considérer le latin comme une matière vétuste et inutile. Peut-être aussi pourrait-on envisager de lui accorder une place comme matière optionnelle au secondaire, au collégial et même dans le programme universitaire de formation des enseignants.


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