Le Hezbollah est « un mouvement qui lutte et est intégré »

Par Abdallah Hammoudi

Géopolitique — Proche-Orient

Analyse - Professeur d'anthropologie, Abdallah Hammoudi vit entre le Maroc, son pays d'origine, et les États-Unis où il enseigne à Princeton. Il étudie depuis trois décennies les structures autoritaires du pouvoir arabo-musulman. Il analyse pour nous le soutien au Hezbollah


Quel crédit accorder à une «réunion d'urgence» des pays arabes à l'issue de près d'un mois de conflit ?
Personne n'était pressé de voler au secours du Liban et du Hezbollah qui combat les Israéliens. Cela n'est pas sans lien avec le peu d'empressement des Américains et des Européens, les grands régimes arabes étant soumis à des pressions américaines très fortes. Par ailleurs, le Hezbollah dérange car il remet en cause des situations acquises. Dans toute la région, y compris en Afrique du Nord, les régimes arabes, les États-nations sont à bout de souffle. Les politiques de développement ont échoué. Face à cela, des alternatives se dessinent qui, toutes, s'inspirent de l'islam. Il y a un nouveau langage qui rallie de très larges masses et le Hezbollah apparaît comme un mouvement qui prouve son efficacité là où ces régimes ont échoué : projets sociaux et accumulation depuis quarante ans de défaites face à Israël. Il est donc normal que ces régimes se sentent très menacés par le Hezbollah qui catalyse les mouvements sociaux politiques d'inspiration islamiste dans toute la région.
Le Hezbollah serait donc perçu comme une possibilité d'en finir avec l'échec ?
Pour la première fois, il s'agit d'un mouvement qui lutte efficacement, mais qui est aussi intégré au sein des composantes politiques libanaises. On ne peut ni le traiter «d'extrémiste hors du consensus national» ni de «terroriste». C'est un mouvement de résistance nationale et qui a su, à l'instar de nombre de mouvements islamistes, trouver le langage que les élites modernistes ont abandonné. Faisant sans cesse des compromis avec des régimes autoritaires, ces élites ont aussi laissé le champ de la lutte démocratique au vrai sens du terme, c'est-à-dire alliant à la fois libertés et développement économique avec une meilleure distribution des richesses. Les gens ne sont pas dupes de la faillite de ces discours galvaudés sur la modernisation. Je ne dis pas que la masse des musulmans est devenue islamiste, mais elle connaît le langage qui n'a rien produit de tangible dans la réforme sociale et économique et dans le domaine des libertés. Dès lors, il est normal que les gens perçoivent un discours plus sérieux dans un mouvement comme le Hezbollah.
Les Libanais ne semblaient pourtant pas mécontents de voir le Hezbollah désarmé, fût-ce par Israël...

C'est vrai, mais la violence israélienne a changé la donne. De plus, plusieurs de mes étudiants qui travaillent au Liban me disaient depuis déjà un an que le Hezbollah était respecté dans une large frange des élites politiques et pas seulement dans le peuple. Je sais que dans les communautés sunnite et chrétienne du Liban, on peut avoir peur de ce mouvement, mais il a appris à être pragmatique et à négocier avec l'échiquier politique...
Au-delà de l'émotion, l'identification de la rue arabe au Hezbollah va-t-elle perdurer ?
La réaction émotionnelle existe d'autant plus que les gens sentent que les Israéliens et les Américains n'ont plus aucun respect pour eux, qu'ils les tuent comme des lapins en leur parlant de démocratie. Mais au-delà, quelque chose d'important est apparu : des voix respectées du sunnisme ont appelé, sans réserve, à soutenir le Hezbollah. La nouveauté, c'est que les sunnites reconnaissent avoir des différences avec les chiites, mais disent qu'elles ne portent que sur des points doctrinaux, et sont secondaires par rapport au devoir des musulmans de soutenir le Liban et le Hezbollah. C'est très important : auparavant, on ne parlait même pas des différences.
Le fait que Nasrallah soit plus perçu comme un leader politique que religieux augure-t-il d'un dépassement du clivage sunnite-chiite ?
Ce qui est intéressant dans le Hezbollah, c'est qu'il sait traduire ses convictions religieuses sur un plan politique et qu'il n'exclut ni les autres convictions, ni les autres protagonistes, y compris religieux, de la scène politique. Même si le Liban est un cas particulier, on peut y voir une sorte d'avenir : des mouvements islamistes qui, malgré leur puissance, ne soient pas exclusifs. Cela fera-t-il tache d'huile ? Je ne sais pas. Mais si c'était le cas, cela nous sauverait du tête-à-tête entre un islamisme extrémiste et dangereux, que je n'accepte pas, et ce discours de la démocratie à la canonnière venu d'Amérique et d'ailleurs.
La sympathie à l'égard du Hezbollah fait ainsi peu de cas de son lien avec l'Iran chiite ou des accusations de terrorisme à son encontre...
Pour les sunnites, c'est secondaire, ils ne vont pas se rallier à la politique de l'Iran, et je ne crois pas en un Hezbollah simple carte iranienne. Je pense d'ailleurs que les gens s'en fichent. Je refuse en outre de le qualifier de terroriste : il résiste à la terreur de l'État hébreu, c'est donc terreur contre terreur. Je le répète : on est dans l'intégration au jeu politique et à des formes de résistance qui mettent en échec la supériorité militaire des pays les plus avancés comme Israël et les États-Unis. Cela doit faire réfléchir ces puissances mais aussi les régimes qui se mettent sous leur parapluie.


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