Réplique à l'éditorial de Yannick Patelli

Le français, l'anglais et le Québec

Si le bilinguisme vous tient tellement à coeur, pourquoi votre article ne fait nullement mention du besoin des anglophones résidant au Québec d'apprendre le Français?

Tribune libre

Ce texte est en réaction de l'éditorial de Yannick Patelli intitulé "Plus d'anglais" paru dans les pages du journal L'oie Blanche et repris sur le site de Vigile.
M. Patelli, je dois tout d'abord dire que j'ai rarement vu une argumentation aussi creuse et mal ficelée que celle présentée dans votre texte.
Outre le fait que vous prenez en exemple une France "Vichysée" face à l'anglais, votre texte comporte quelques raccourcis malhonnêtes que je vais rectifier ici de ce pas.
Tout d'abord, vous parlez d'un "sentiment d'amertume" que la nouvelle génération ne partagerait pas avec les baby-boomers concernant la langue anglaise. Baser son analyse politique du Québec sous le seul prisme linguistique consiste à rayer tout simplement tous les autres facteurs liés à ce débat, qui sont surtout de nature politique et économique. Nous pourrions parler Hindi-Ourdou plutôt que le Français, et ces composantes politiques et économiques seraient toujours tout aussi présentes et importantes. En ce sens, le mouvement souverainiste au Québec n'est pas qu'un simple sentiment d'amertume, et n'est pas seulement marqué par un clivage linguistique tel que celui que vous indiquez.
Vous affirmez également, de manière plutôt gratuite, que "seuls les parents québécois prêts à investir beaucoup d’argent peuvent se permettre de mener leurs enfants vers le bilinguisme". Ceci est totalement faux. Je pourrais vous donner mon exemple personnel, où j'ai appris l'anglais de manière complètement auto-didacte simplement en regardant la télé et en lisant des livres. Mon anglais m'a permis de me faire connaitre sur la scène internationale dans mon domaine d'expertise. Ma soeur est elle aussi bilingue, de la même manière, et est même devenue traductrice de métier. Pourtant, nous sommes foncièrement souverainistes, et nos parents, pas très fortunés, n'ont jamais eu à débourser un sou pour que l'on devienne bilingue. Je dirais même que mon père est farouchement francophone (un de ces Boomers que vous pourfendez), alors que ma mère a appris l'anglais sur le tard pour des raisons professionnelles. J'en connais plusieurs de mon âge qui sont dans des situations plutôt similaires à celle que je viens de décrire, et qui torpillent votre argument face aux "difficultés" de se bilinguiser au Québec.
Vous me direz que mon seul cas n'est pas statistiquement significatif. Et pourtant, mon seul cas démolit en pièces votre argument selon lequel sans une volonté forte des parents de bilinguiser leur progéniture et sans de gros bidous ($$$), point de salut!
Vous dites également : "Le combat pour défendre la langue française se fait ailleurs dans le cercle de la francophonie". Ah oui? Où? En France? C'est drôle, moi qui me suis toujours fait dire par des francophones hors-Québec que justement, le Québec était LE chef de file en matière de promotion de la Francophonie. surtout que de votre propre aveu, la France elle-même est en train de s'angliciser.
Vous parlez également du fait que la culture anglaise serait mal connue au Québec, un peu comme si nous étions demeurés dans un vase hermétiquement clos et francophone au cours des 400 dernières années. Vous avez même dit, et je cite : "L’anglais est une force intrinsèque du Québec non exploitée dans le passé". Je vous inviterai donc à regarder le film "Maurice Richard" afin que vous puissiez vous-même constater à quel point on était "ouverts" à la culture anglophone il n'y a que seulement 50-60 ans de cela et à quel point on exploitait cette "force" dans le passé.
De plus, quiconque si connait un tant soit peu dans le domaine des langues vous dira qu'il est primordial de bien maîtriser sa langue maternelle avant de procéder à l'apprentissage de langues secondes. Ce qu'on propose au Québec est exactement le contraire : un enseignement "bilingue" dès le plus jeune âge, les deux langues entrant ainsi en compétition comme "langue maternelle". Bref, on désire former des gens qui se débrouilleront dans les deux langues, mais n'en maitriseront aucune! Comme Jean Chrétien! Beau programme!
Finalement, je voudrais prendre cette tribune pour déboulonner un mythe qui a la vie dure au Québec, c'est à dire celui de la prospérité assurée due au bilinguisme. Je suis bilingue. Parfaitement bilingue. Je peux tenir n'importe quelle discussion en anglais aussi bien qu'en français, en oral ou en écrit, sur n'importe quel sujet. J'ai fait des travaux de recherches en sécurité informatique, tous publiés en anglais. J'ai participé à des conférences internationales, grâce à mon anglais. Mais bizarrement, au Québec, c'est tout simplement comme si je n'existais pas. Voilà maintenant 10 ans que je suis dans un cul de sac professionnel au Québec, que ce soit à Montréal ou dans ma région natale, que ce soit pour des démarches d'emploi ou de démarrage d'entreprise. À un point tel que j'en suis venu à considérer non pas l'exode, mais bien l'exil, un exil politique et économique, tant la corruption fédérale est omniprésente au Québec. Et je peux vous assurer que cet exil ne se fera pas en terre canadienne anglaise non plus. Je ne serais pas non plus surpris de ne pas être le seul dans ce cas.
Et pour terminer, je voudrais parler de vos compatriotes Français qui "achètent encore leur baguette en français, écoutent la télé en français, manifestent en français et s’engueulent en français". J'ai moi-même vécu quelques mois en France il y a quelques années. L'assimilation à l'anglais qui s'y fait est tellement insidieuse que les gens en viennent à ne même plus comprendre ce qu'ils disent eux-mêmes. En exemple, un vendredi après-midi, un collègue qui me souhaite de passer un "bon week". Sûrement qu'il voulait parler de la "fin de semaine" tout en faisant plus court.
Je vous laisse donc sur ce dernier paragraphe, M. Patelli, afin que vous y méditiez un peu. Cela vous aidera peut-être à réaliser à quel point votre éditorial ne vaut pas cher la livre!
***
Adam Richard
Consultant en Sécurité de l'Information
P.S. : Si le bilinguisme vous tient tellement à coeur, pourquoi votre article ne fait nullement mention du besoin des anglophones résidant au Québec d'apprendre le Français? Deux poids, deux mesures? Le bilinguisme n'a-t-il pas les mêmes vertus pour tout le monde?


Laissez un commentaire



3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 janvier 2011

    En ce qui concerne l'anglicisation de la France hélas M. Richard vous avez entièrement raison.
    J'ai connu Montréal la première fois lors de l'hiver 68 69.
    Aujourd'hui quand je me promène dans Paris j'ai bien l'impression de faire un saut dans mon passé et, horreur, je ne suis pas à Montréal mais bien à Paris !
    Comme le prône l'ancien ministre de l'éducation nationale socialiste M. Claude Allègre-( le même pour qui il y a aucune preuve du réchauffement planétaire dû à l'activité humaine)-que l'anglais ne soit pas une langue étrangère en France est bien entendu; puisqu'une grande partie de l'enseignement supérieur-écoles de commerce, économie, communication se fait uniquement en anglais ! Des professeurs francophones sont invités à faire leur cours en anglais pour des étudiants francophones.
    En ce qui concerne les conférences internationales, je ne peux que vous demandez d'exiger que les deux langues pouvant bénéficier d'une traduction simultanée soient toujours l'anglais et le français(sauf bien sûr cas particulier comme celui que vous nous indiquez mais au minimum au Canada ou en France est d'abord dans tout pays dont le français est une des langues officielles ainsi que dans toutes les instances européennes) et que vous-même ayez la volonté de le faire.
    Je me permets de vous conseiller de consulter le site : « avenir de la langue française » vous y trouverait les contributions à un idéal de survie et de développement de la langue française dont le Québec doit rester un exemple.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 janvier 2011

    @Tétraèdre : Je crois que le sens de certains de mes propos ont été mal perçus dans votre analyse, je vais donc m'efforcer ici d'éclairer ma pensée.
    Tout d'abord, mon texte n'est pas issu d'une pensée spontanée sur le sujet, mais est bien en réponse directe au texte de M. Patelli, dont vous trouverez un lien vers celui-ci au début de mon article. En ce sens, la plupart de (sinon tous) mes arguments sont donc en réponse directes aux propres arguments de M. Patelli. C'est donc dire que la substance même du texte de M. Patelli, dont je dénonce la teneur, influe directement la substance de mon propre texte. Cela pourrait être profitable au lecteur de prendre connaissance de l'article de M. Patelli afin de faire une meilleure lecture de mon propre article.
    Je ne vois pas où vous voyez dans mon texte que je fais de la propagande pour apprendre l'anglais pour accéder aux conférences internationales. Ce que je mentionne à ce sujet est tiré de mes propres expériences personnelles, telles que je les ai vécues. Oui, le Français est sûrement une langue utilisée dans le contexte de conférences internationales; seulement, moi, ce que j'ai vécu, c'est l'accès à des conférences qui ont eu lieu au Mexique, et dont les langues utilisées étaient l'espagnol et l'anglais. Ne parlant pas espagnol, et désirant tout de même être compris, l'anglais a été pour moi une porte d'accès. La raison même de pourquoi j'ai cité cet argument était pour démonter le mythe que le bilinguisme assurait la prospérité au Québec, car bien que ce bilinguisme m'a permis d'obtenir mes lettres de noblesse dans mon domaine au niveau international, ma réalité au Québec est bel et bien celle d'une précarité continue depuis près de 10 ans, avec difficultés à l'emploi etc, etc... Nulle propagande pro-anglophone dans ces propos. La réalité, MA réalité, est que je n'aurais jamais eu accès à ces conférences en particulier si je m'étais contenté du Français. Cela ne veut en rien dire que de telles conférences n'existent pas en Français; ce ne sont tout simplement pas celles auxquelles j'ai participé.
    En ce qui concerne l'anglicisation de la France, là encore point de propagande. Je parle encore une fois de mes expériences vécues. Je n'ai pas mentionné les panneaux publicitaires, tous en anglais, sur le chemin entre l'aéroport Charles-de-Gaulle jusqu'au centre-ville de Paris, ou encore dans les tunnels du métro, mais j'aurais pu le faire. Ces publicités anglophones n'étaient quand même pas une fabrication de mon esprit! Idem pour l'anecdote raconté du Français qui a voulu me souhaiter un bon "week-end", mais qui s'est contenté de dire "bon week". Réalité, pas fiction, ni propagande.
    Ce que je comprends encore moins, c'est quand vous associez mes propos avec des "mensonges fédéralistes" concernant ce phénomène. Comme je viens de le dire, il s'agit d'une réalité, et non d'une propagande ou d'un mensonge. Et bien que je trouve intéressante l'idée que le fédéral puisse instrumentaliser ce phénomène à son avantage pour banaliser l'anglicisation du Québec, comme vous le sous-entendez, je vous assure, et cela aurait dû être clair à la lecture de mon texte, que je dénonce cet état de choses; je n'en fait pas la promotion. Ça, c'était ce qu'a fait M. Patelli.
    J'espère donc Tétraèdre que mon texte vous paraitra moins ambigu sous cet éclairage, et vous prie de ne point mettre en doute ma "bonne volonté" à la lumière de ces précisions.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 janvier 2011

    Toute la confusion des langues est dans ce textes
    Défense de la langue française et à la fois propagande sur l'obligation d'apprendre l'anglais pour participer à des conférences internationales . Ce qui est faux bien entendu car le français est autant une langue internationale que l'anglais mais jamais au Québec vous entendrez dire que le français est notre langue internationale mais des millier de fois par année que l'anglais est LA langue internationale .
    Et de dire que la France s'anglicise comme le Québec relève aussi d'un vulgaire mensonge fédéraliste pour banaliser l'anglicisation de toutes nos institutions au Québec et l'auteur de ce texte dit pourtant être indépendantiste ou souverainiste .
    On est pas sortie du bois de l'anglicisation avec des textes aussi ambigus, pourtant l'auteur semble de bonne volonté