Le fantasme de la reconnaissance

Que veulent vraiment les Québécois ?

La [note critique d’Yvan Lamonde publiée dans Le Devoir->3347] donne un bon aperçu du livre de Létourneau, Que veulent vraiment les Québécois ? (Boréal, 2006). J’insisterais plus, quant à moi, sur le fait que cet essai, secrètement travaillé par l’incertitude et l’opacité du présent, s’inscrit dans la mouvance de la problématique ayant cours depuis une dizaine d’années dans le camp fédéraliste qui consiste, comme on sait, à ramener la question du statut politique du Québec et des institutions à une question d’identité et de reconnaissance. Que je sache, on n’est pas au gala des artistes ici ni au Metrostar. Alors ?
Je passe sur le mode « surfing » qui autorise Létourneau à parcourir allègrement deux cents ans d’histoire, mais qui le condamne, en définitive, à des généralisations outrancières, quand ce n’est pas de grossières falsifications. Rien ne supplée à vrai dire au travail patient et long des archives. Comme le remarque Lamonde, il aurait été instructif de soumettre le schéma conceptuel bricolé par Létourneau au bon vieux principe comparatif en l’appliquant, point par point, aux étapes de prise de conscience concurrente, sur le même territoire, du peuple britannique en formation.
Mason Wade a depuis longtemps caractérisé la « mentalité de garnison » prévalant chez les tories montréalais, dont un des traits distinctifs est la phobie de l’encerclement sur fond de paranoïa. Dans son Journal de prison récemment édité après plus de cent cinquante ans, André Ouimet, président de l’association des Fils de la liberté, a mis le doigt dessus en recourant à une audacieuse et énigmatique analogie :
« Ça paraît étrange, mais ce péché de TRAHISON est si inexpliquable, si varié, il ressemble tant au secret des francs-maçons qu’il ne faut rien hasarder » (2006, 71).
En ce qui concerne l’explication du phénomène des Rébellions, la question de la nature du conflit est essentielle. Il s’est agi d’un conflit politique doublé par le problème de la coexistence de deux peuples ne disposant pas de l’autorité pour réformer leurs propres institutions et sans mécanismes éprouvés d’arbitrage. Lamonde cite à cet égard Papineau et Garnier, dont la perspicacité me paraît assez douteuse. Loin d’être un handicap, la séparation des pouvoirs est un principe fondamental en politique. Benjamin Constant « en démêle cinq de nature diverses dans une monarchie constitutionelle : 1º le pouvoir royal ; 2 º le pouvoir exécutif ; 3 º le pouvoir représentatif de la durée ; 4 º le pouvoir représentatif de l’opinion ; 5 º le pouvoir judiciaire. » (Écrits politiques, 1997, 324).
Dans sa brochure très dense sur les Rébellions (1996, 26-27), J.-B. Bernard relève, sur ce point, un flottement caractéristique dans le fameux Rapport de Durham (1839). La conclusion s’impose : même à l’intérieur d’une population coloniale homogène, la répartition des pouvoirs dans le cadre colonial canadien aurait généré des tensions.
Pour terminer, si on tient absolument au concept de reconnaissance, on devrait autant mettre l’accent sur ce que le Québec apporte d’indispensable à l’identité canadienne et le traduire dans des institutions nouvelles ; ou si, comme je le crois, l’indépendance politique s’impose (et qui n’interdit aucunement la reconnaissance entre États souverains), il faudrait que les dirigeants du PQ arrêtent de branler dans le manche et proposent la création d’institutions nouvelles, indispensables à notre épanouissement, qui fassent consensus et que le régime fédéral ne peut consentir dans sa forme actuelle sans se remettre lui-même en question.
François Deschamps


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