Le diagnostic du père de l’assurance maladie

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Le régime libéral a volontairement saccagé le système de santé pour nuire au Québec

Notre système de santé est malade. Pour en faire un bon diagnostic, qui de mieux pour en parler que celui qui a été le principal artisan de son implantation, le premier titulaire du ministère de la Santé, ministre de la Famille et du Bien-être social, dans le gouvernement de Robert Bourassa, de 1970 à 1973?


Connu comme étant le «père» de l’assurance maladie, il a joué un rôle déterminant dans la conception et la mise en œuvre du réseau des services de santé et services sociaux au Québec, tout en continuant à en être un observateur averti.


Claude Castonguay fait partie de cette génération de bâtisseurs qui nous ont légué les grandes institutions publiques sur lesquelles reposent les assises de l'État du Québec. Sollicité par le premier ministre, Robert Bourassa, pour faire partie de son équipe, il a succédé au premier ministre, Jean Lesage, à titre de député de Louis-Hébert, en 1970.



Actuaire de formation, il a présidé, de 1966-1970, la Commission royale d'enquête sur la santé et le bien-être social qui va le préparer à devenir, de 1970 à 1973, le premier titulaire, du ministère de la Santé, ministre de la Famille et du Bien-être social qui deviendra le ministère des Affaires sociales.


On ne compte plus le nombre de comités et de conseils d'administration sur lesquels il a siégé à titre de membre ou de président tant au gouvernement que dans le milieu académique et le secteur privé.


Titulaire de plusieurs doctorats honorifiques d'une dizaine d'universités canadiennes, il a été fait Compagnon de l'Ordre du Canada, en 1974, officier de l'Ordre national du Québec, en 1991 puis Grand officier, en 2014.


Je l'ai rencontré, le 13 février dernier pour un tour d'horizon de notre système de santé et de services sociaux.


CONTEXTE DU SYSTÈME DE SANTÉ ET SERVICES SOCIAUX AU QUÉBEC


FHP: Monsieur Castonguay, dans quel contexte le système de santé et de services sociaux a vu le jour Québec? C'était au début des années 1970?


CC: Oui. c'est durant cette période que le gouvernement de Robert Bourassa avait fait adopté la Loi sur l’assurance maladie, la loi sur les services de santé et services sociaux, la Loi sur l’assistance sociale, le code des professions et la loi sur la protection du malade mental, qu’on envoyait auparavant dans les asiles.




FHP: Mais, au départ, cela ne s’est pas fait sans heurts, car il y a eu une grève des médecins?


CC: Oui, en 1970, après l’adoption de la Loi sur l’assurance maladie, les médecins spécialistes avaient refusé de s'engager dans des négociations. Ils avaient même fait la grève et suspendu leurs services. Finalement, en pleine crise d’octobre 1970, le gouvernement s'est vu contraint d’adopter une loi spéciale, les obligeant à retourner au travail, sous peine de sanctions sévères.




FHP: Essentiellement, Quelle était la revendication des médecins spécialistes à ce moment-là?


CC: Ils ne voulaient pas d'un régime d’assurance maladie public.




FHP: Et en quoi le régime public les menaçait-ils?


CC: Ils avaient peur des contrôles de l’État. Ils voulaient garder leur liberté de pratique. Cela n'a pas été dit, mais ils avaient peur de l’impôt sur le revenu, peur qu’on retourne en arrière et leur réclame de l’impôt non payé, car avant la Loi de l'assurance maladie, les médecins se faisaient payer par des honoraires et ce n’était pas clair si tous ces revenus étaient comptabilisés et déclarés. Il y avait donc cette dimension-là, qui n’a jamais été dite ouvertement, mais qui faisait partie de leurs préoccupations.




FHP: Donc, l'infrastructure de base du système de santé a été mise en place sous le gouvernement de Robert Bourassa et les médecins spécialistes ont été forcés de retourner au travail. Et après?


CC: La loi sur les services de santé et les services sociaux est venue en 1971. C'était une loi extrêmement importante. On partait de zéro, on établissait les bases du système, sa structure et son fonctionnement. Il fallait rédiger le projet de loi, et le soumettre pour consultation. On avait reçu des tonnes de mémoires, on a écouté les représentations des groupes, fait les ajustements nécessaires et finalement, en 1972, la loi a été adoptée.




FHP: C’était vous qui étiez ministre de la santé, à ce moment-là?


CC: Oui, j’avais quitté à la fin de 1973, juste à temps pour l’élection du 29 octobre 1973.




FHP: À quel moment les Centres locaux de services communautaires (CLSC) ont-ils été intégrés dans le réseau de la santé ? C'était par la Loi sur les services de santé et services sociaux?


CC: Non, c'était avant. Des CLSC existaient déjà, informellement. Le gouvernement les avait financés et on en a lancés d’autres, avant même que la Loi de la santé ne soit adoptée.




FHP: Pourquoi les médecins n’étaient pas si enthousiastes à intégrer les CLSC?


CC: Ils craignaient que l’État exerce trop de contrôle sur leur pratique et qu’ils deviennent éventuellement des employés du gouvernement. De plus, les CLSC étaient perçus comme des agents de changement, ce qui ne les rassurait pas.




FHP: Vous avez été un artisan principal dans la mise sur pied du système de santé au Québec. Est-ce qu’on peut dire que le ver était dans le fruit puisque les médecins avaient, au point de départ, le gros bout du bâton?


CC: Non, ils n’avaient pas le gros bout du bâton. Nous avions signé une entente avec les omnipraticiens et forcé le retour des médecins spécialistes au travail. Mais il y avait une résistance sourde.


La mise sur pied du système de santé était une tâche colossale. Elle nécessitait plusieurs changements en un court laps de temps. Imaginez, il fallait construire de nouveaux établissements, aménager des hôpitaux dans les milieux défavorisés, allouer des ressources importantes pour le financement des services, l'acquisition des équipements, le recrutement du personnel. etc...


Il y avait aussi un problème épineux à régler, celui de l'intégration des hôpitaux, propriété des congrégations religieuses, dans le réseau public. On a négocié avec toutes les communautés religieuses la transformation de leurs hôpitaux en des corporations sans but lucratif à caractère communautaire, une tâche fastidieuse. Donc, on avait fort à faire et pas seulement l'aspect des rapports avec les médecins.


CONTRÔLE ET CENTRALISATION


FHP: Le système de santé a beaucoup évolué depuis. Vous avez été sur la ligne de front pour son implantation, vous continuez à suivre ses turpitudes. Qu’est ce qui ne fonctionne pas, selon vous, dans notre système?


CC: La question est très complexe et comporte plusieurs volets. Il y a le fait que les coûts des soins ont constamment augmenté, à un rythme supérieur à la croissance de la richesse collective, la hausse des coûts de médicaments, la fréquence de l'utilisation des soins, la spécialisation du personnel, l'introduction de nouveaux équipements technologiques, etc...


Au fil des ans, les gouvernements ont tenté de freiner la hausse de ces coûts, ce qui est une bonne chose, mais le gouvernement actuel ne se limite plus au contrôle des coûts. Il en est venu à vouloir tout contrôler dans le réseau de la santé. On est rendus à un niveau ultime où le ministre actuel de la santé s’est emparé d’à peu près tous les pouvoirs, et agit par-dessus tous les conseils d’administration, sans se préoccuper de quoi que ce soit.


Du coup, ce pouvoir excessif a conduit à une politisation du réseau, d'où l’augmentation des coûts et la sous-performance du système. Les citoyens sont justifiés de penser qu'ils n'en n'ont pas pour leur argent. Des études, comme celles de l’OCDE, le démontrent. Voilà pourquoi nous sommes rendus-là, aujourd’hui.




FHP: Donc, pour vous, la centralisation des pouvoirs entre les mains du ministre de la santé, est à la base de ce qui ne fonctionne pas dans notre système de santé?


CC: C’est l'un des gros problèmes : la centralisation, les contrôles, la politisation... La culture du système de santé, que nous avions implantée pour impliquer tous les intervenants du réseau, les motiver à performer sans contrôles excessifs ni coercition, cette culture a été complètement évacuée.


Le contrôle excessif du Dr Barrette l'a poussé à faire adopter des lois punitives comme la Loi 20 et la Loi 30, avec des mesures coercitives qui menacent les médecins de poursuites judiciaires. Or, ces lois à peine adoptées, le gouvernement a été obligé de les écarter et les mandats qui relevaient de lui ont été confiés au Président du Conseil du Trésor.




FHP: Vous faites référence aux négociations avec les médecins?


CC: Oui. Et là, tout à coup, le ministre de la Santé a été mis à l’écart et les lois 20 et 30 ont été suspendues. Le gouvernement n'est même pas retourné devant l’Assemblée Nationale pour modifier ses lois. Il a tout simplement décidé de ne pas les appliquer.




FHP: Quel est donc le regard que vous jetez, aujourd’hui, sur le réseau, de part sa structure et son organisation des services?


CC: Le fait que les conseils d’administration des établissements n’aient pratiquement plus de rôle est très dommageable pour le réseau. Il faut rééquilibrer le système, défaire ces grands ensembles qu’on appelle les CUSSS et rendre aux hôpitaux et aux CHSLD, leur autonomie.


Il faut reconstituer des conseils d’administration avec une véritable autorité qui leur permette de gérer leurs effectifs, sans ingérence ministérielle. Regardez ce que ce modèle a crée comme crise chez les infirmières!


Il faut apporter les correctifs qui s'imposent là où c'est nécessaire et rendre les établissements responsables, imputables et sujets à des évaluations, au lieu de leur imposer des décisions purement arbitraires.


LES DOCTEURS SOUS LA LOUPE


FHP: Le gouvernement Couillard est fortement critiqué part pour la généreuse rémunération supplémentaire de 2 milliards $ qu'il a consentie aux médecins spécialistes qui atteindra 5,4 milliards $ en 2023. Comment se présente la situation dans les autres provinces?


CC: Le financement des soins de santé est un problème un peu partout dans le monde. La population vieillit et l’ensemble des coûts de la santé augmentent. La rémunération des médecins est un élément important de cette hausse. Les médecins ont toujours voulu garder leur autonomie et se considèrent comme des travailleurs autonomes au lieu de se voir comme des médecins engagés dans l’assurance maladie.


Les fédérations des médecins ont réussi à s’accaparer le monopole de la négociation des conditions de travail des médecins. Elles se sont octroyées un monopole de cette négociation et veulent contrôler tout changement dans la pratique médicale et dans l’organisation des soins de santé. Ca dépasse le cadre de la simple négociation des conditions de travail, c’est un monopole.




FHP: Selon vous, les fédérations des médecins se sont arrogées une sorte de droit de regard sur tout le système?


CC: Non, plus qu’un droit de regard, tout doit être négocié avec eux avant que cela prenne effet au niveau de la pratique et de la livraison des soins.




FHP: Ce pouvoir hypertrophié des médecins, est-ce un cas unique au Québec ou c'est partout pareil?


CC: C’est un peu partout pareil dans la mesure où les gens veulent avoir confiance en leurs médecins et les médecins ont beaucoup d’influence auprès de leurs patients. Rares sont les gouvernements qui s'aventurent à contrôler leur pratique professionnelle.


Au Québec, dû à la présence de DBarrette, ça a pris des dimensions qui dépassent l'entendement, d’autant plus qu’on a toujours eu, ces dernières années, des médecins comme ministres de la santé. Donc le ministre de la santé voit toujours la profession médicale de façon particulière car lui-même étant médecin, il est presque en conflit d’intérêt.


De là les conditions extrêmement généreuses qui ont été consenties aux médecins spécialistes. Vous avez un médecin, ministre de la Santé (DrBarrette), un premier ministre qu’il l’est (Dr Couillard), un secrétaire général du Conseil exécutif du gouvernement qu’il l’est (Dr Iglesias). On avait même un quatuor quand Dr Bolduc était ministre de l'éducation.


Le Dr Barrette avait conclu une entente avec le Dr Couillard et le Dr Bolduc. Il les a convaincu que la rémunération des médecins au Québec devait être au moins au même niveau que celle des médecins en Ontario, société beaucoup plus prospère que la nôtre, avec le résultat que non seulement ils ont rattrapé les salaires des médecins de l’Ontario mais ils les ont dépassé.




FHP: Vous parlez de Dr Barrette quand il était président de la Fédération des médecins spécialistes? Mais ce principe ne peut pas tenir la route car l'Ontario est plus riche que le Québec, n'est-ce pas?


CC: Oui. C’est un faux principe. S'il fallait rémunérer tous les corps de métier, toutes les professions au même niveau que l’Ontario, à un moment donné, ça éclaterait. On ne peut pas soutenir la comparaison.




FHP: Pour la rémunération des médecins, est-ce que ce déséquilibre est propre à notre système de santé ou est-ce qu’on le retrouve ailleurs dans les pays occidentaux?


CC: Le système de santé canadien est assez différent de celui des pays de l’OCDE. Dans ces derniers, la couverture des soins est beaucoup plus large. Vous n’avez pas uniquement les soins médicaux et hospitaliers qui sont couverts mais également les soins dentaires, ophtalmologiques, etc... les gens paient une contribution obligatoire de l'ordre de 25 %.


EN AVONS-NOUS POUR NOTRE ARGENT?


FHP: Faites-vous référence à la Caisse Nationale de Solidarité en France, par exemple?


CC: En France, en Allemagne, en Suisse, en Belgique, etc... les gens payent une partie de leurs soins alors ça maintient l’équilibre du système. Ici, on a juste les soins hospitaliers et médicaux qui sont couverts, c’est une situation totalement différente.




FHP: Est-ce que le modèle de la contribution obligatoire à 25% avec une couverture totale des soins est un modèle qui pourrait s’implanter au Québec?


CC: Non. On ne peut pas transposer ce modèle comme tel. Notre système de santé a un problème de performance qu'il faut régler avant de penser couvrir les soins dentaires et autres.




FHP: N'empêche, qu'avec la hausse des coûts et le vieillissement de la population, on a l'impression d'être dans un cercle vicieux. Comment s'en sortir?


CC: Il est possible d'avoir un système de santé plus performant avec des coûts passablement moindres, comparativement à d’autres juridictions. Même si ramener la hausse des coûts au même niveau que celle de la richesse collective demeure un défi, il y a de la place pour beaucoup d'amélioration.


On a une période difficile à franchir, mais on peut y arriver. Il faut mettre nos ressources aux bons endroits. Par exemple, on peut investir davantage dans les soins à domicile et dans l'appui aux aidants naturels au lieu d'hospitalier et héberger dans les CHSLD.


De là l'importance de confier plus de tâches aux infirmières et d'investir dans les déterminants de la santé : la prévention, l'alimentation, les saines habitudes de vie, le logement, l'éducation, les conditions de travail, etc...




FHP: Et la réforme de Dr Barrette, pourquoi estimez-vous qu’elle n’a pas fonctionné?


CC: La situation au Québec est assez particulière. C'est inaccaparable tous ces problèmes d’accès pour voir un médecin de famille. Même quand vous réussissez à vous inscrire sur une liste de médecin, il y a rien qui vous garantit que vous pouvez avoir un rendez-vous ou un traitement, sans parler de l'engorgement des urgences, des délais dans les interventions, des reports de traitements, etc...




FHP: Dr Barrette qui a mené sa réforme, tambour battant, vient d'annoncer qu’elle est terminée. Ca vous rassure?


CC: On ne sait pas où le Dr Barrette voulait aller et où il veut encore aller. Vous vous souvenez à l’élection, en 2014, il promettait 50 super-cliniques, il y en a qu'une de créée. Alors où veut-il aller? Personne ne le sait exactement... Chose certaine, vous avez un haut niveau d’insatisfaction dans la population à son égard. Ça c’est très clair.


L'ÉPUISEMENT DES INFIRMIÈRES?


FHP: En ce qui concerne les infirmières. Elles sont soties pour dire qu'elles sont épuisées, que le système de santé les rendaient malades. Que faut-il faire pour les soutenir, de même que le personnel soignant?


CC: Dans certains hôpitaux, notamment anglophones, les gestionnaires forment des équipes au lieu d’avoir un médecin qui est le patron et des infirmières à son service. Quand vous avez une meilleure gestion des effectifs, vous n'avez pas besoin de leur imposer du temps supplémentaire obligatoire. Il faut introduire plus de souplesse dans le système comme offrir aux infirmières des quarts de travail de 12 heures, les faire travailler par alternance, le jour, le soir ou la nuit. On ne peut pas gérer le fonctionnement d' établissements aussi complexes, à partir du bureau d’un ministre. C’est ce que le DBarrette a essayé de faire et c'est un échec.


FUMEZ-VOUS DU POT ?


FHP: Changement de sujet : que pensez-vous de la légalisation de la marijuana?


CC: Ça fait 50 ans qu’on en discute. En 1968, les jeunes fumaient déjà de la marijuana.




FHP: Mais les gens ne cachaient pas leur argent dans les paradis fiscaux?


CC: Non. Après 50 ans, tout à coup, dès son élection, Justin Trudeau a fait de la marijuana une priorité nationale. Il veut rapidement implanter la législation d'ici juin-juillet prochain, alors que nous avons plus urgent à régler.


Dans cette précipitation, le fédéral s’aperçoit que c’est beaucoup plus compliqué qu'il ne le pensait. La marijuana n'est pas seulement un problème en soit, c'est aussi un seuil qu'il faut franchir avant d’aller vers d’autres drogues. Il faut mesurer tous ses impacts surtout sur les jeunes.


Pour Ottawa, c’est assez facile de dire on y va, mais ce sont les provinces qui doivent organiser tout ça. Moi je trouve que ça va beaucoup trop vite, sans en connaître toutes les conséquences.




FHP: Je vous remercie infirment Monsieur Castonguay pour le temps que vous m’avez consacré. C’est toujours un plaisir d’échanger avec vous.


Cette entrevue a été réalisée le 13 février 2018 à Brossard.