Le début d'un temps nouveau

Si les Québécois veulent sanctionner les promesses rompues, ils veulent également se libérer du bipartisme de stagnation qui s'est imposé à eux depuis une quarantaine d'années. Ils s'apprêtent à injecter une dose d'adrénaline à un système de gouverne sclérosé par trois décennies de chicanes superficielles et de division collective.

Québec 2007 - Analyse

Par Marc-André Gravel
Selon les derniers sondages, les Québécois s'apprêtent à donner un grand coup de pied au postérieur de leur système politique. En consacrant l'émergence d'une troisième voix, l'Action démocratique du Québec, les électeurs désirent désavouer ceux qui, apparemment sans gêne, trahissent leurs promesses et leurs engagements. Les Québécois veulent aussi dire haut et fort qu'un mandat politique obtenu sous de fausses représentations est une fraude à la démocratie.
En agissant de la sorte, les Québécois démontrent qu'ils sont beaucoup plus intelligents que ce que semblent trop souvent en penser ceux qui les gouvernent. Ils manifestent collectivement le dédain que suscite et que doit susciter toute forme de manipulation de l'opinion populaire.
Mais il y a plus. Si les Québécois veulent sanctionner les promesses rompues, ils veulent également se libérer du bipartisme de stagnation qui s'est imposé à eux depuis une quarantaine d'années. Ils s'apprêtent à injecter une dose d'adrénaline à un système de gouverne sclérosé par trois décennies de chicanes superficielles et de division collective.
Plusieurs signes évidents démontrent que les Québécois sont à l'aube d'une nouvelle ère démocratique. La popularité de l'ADQ et l'émergence de Québec solidaire et du Parti vert marquent la fin de la démocratie québécoise bipolaire et la résurrection du nationalisme inclusif et innovateur qui a servi de tremplin à la Révolution tranquille.
Bipartisme de division
Cet éveil témoigne d'une mutation fondamentale. Les Québécois en ont assez de se faire diviser par un enjeu identitaire qui les isole entre souverainistes et fédéralistes. Ils comprennent aujourd'hui que cette division n'a bénéficié à personne, sauf aux partis politiques, qui l'ont savamment alimentée à des fins souvent électoralistes.
Qui peut nier qu'au terme de 40 ans de débats identitaires, le Québec a régressé par rapport à ses voisins? Comment ne pas constater les effets paralysants qu'a produits cette dynamique divisive sur l'essor économique, politique et social du Québec? On a tellement tergiversé sur le destin de la nation qu'on en a oublié celui de la population.
Au cours des derniers jours, Jean Charest a de nouveau eu recours à cette vieille recette pour tenter de polariser le vote. La partition du territoire et la précarité des pensions de vieillesse font partie de cet arsenal d'épouvantails qui (malheureusement) ont déjà eu un certain succès.
Mais là, ça ne semble plus marcher. Le peuple en a marre de telles sornettes. Avant de tergiverser sur la question de la partition, la population veut savoir pourquoi son premier ministre sollicite, tout sourire, un nouveau mandat, alors qu'il n'a honoré aucun des principaux engagements sur la base desquels il s'était fait élire en 2003.
Les Québécois exigent de leurs politiciens qu'ils cessent de se quereller sur des enjeux discordants et qu'ils se consacrent plutôt à développer des solutions aux problématiques concrètes qui les préoccupent. Démographie, mondialisation, changements climatiques, endettement collectif: voilà quelques-uns des enjeux qui mobiliseront nos capacités et nos ressources au cours de la prochaine décennie. Ce n'est pas une questions de choix. Ces enjeux s'imposeront à nous par-delà les opinions politiques. Le vieillissement de la population et la concurrence des pays émergents affecteront les souverainistes comme les fédéralistes, les solidaires comme les lucides. Les défis de cette nature ne discriminent pas. Ils interpellent la nation tout entière.
Évangiles politiques
À cet égard, l'histoire dicte un principe essentiel: la capacité d'une nation à relever ses défis collectifs est tributaire de sa capacité à être unie dans les épreuves qu'elle affronte. Une nation divisée est une nation vulnérable. C'est là une évidence à laquelle aucune nation n'échappe.
Or, depuis 40 ans, le Québec est une nation divisée. Notre société s'est emprisonnée dans un débat identitaire où s'opposent deux clans et deux évangiles politiques. Quarante ans nous séparent de cette belle époque où, uni et résolument nationaliste, le Québec créait Hydro-Québec, accueillait l'Expo 67, instaurait la carte soleil et promulguait la Charte des droits et libertés de la personne.
Où est-il passé, ce Québec qui se servait de sa différence comme d'un levier et non comme d'une simple fin en soi? Où est passé ce Québec qui s'enorgueillissait de son audace et d'y voir, avec fierté, la démonstration de son autonomie? Ce Québec n'est certes pas mort. Mais 40 ans de chicanes intestines l'ont rendu indolent. Au point où le plus grand projet d'affirmation nationale du gouvernement actuel est d'obtenir plus d'argent du fédéral.
Nous constatons à regret que 40 ans de division nous ont fait passer d'un nationalisme de conquête à un fédéralisme de quêteux. En cela, la plus grande calamité qui guette le Québec n'est pas la séparation du Canada mais bien la séparation de la société québécoise elle-même.
La révolution autonomiste
Les fédéralistes et les indépendantistes sont, par la force des choses, en opposition sur la question du destin de la nation québécoise. Cette opposition tient de l'écart considérable qui existe entre ces deux options qui, au fil du temps, se sont radicalisées. Il est en effet étonnant de constater que le fédéralisme de Jean Charest est beaucoup plus fédéraliste que l'était celui de Jean Lesage et que le projet souverainiste d'André Boisclair est beaucoup plus indépendantiste que l'était celui de René Lévesque.
Le fédéralisme de Jean Lesage était résolument nationaliste et rassembleur. Son slogan «Maîtres chez nous» témoignait de la quête d'autonomie de la nation québécoise. Or le fédéralisme de Jean Charest consacre le Québec au rang de province comme les autres et, à cet égard, se situe à mille lieues de la position autonomiste de Jean Lesage.
Le projet souverainiste de René Lévesque était lui aussi fondé sur un nationalisme d'autonomie. Il faut se rappeler que par le référendum de 1980, M. Lévesque demandait «le mandat» de négocier d'égal à égal une nouvelle entente confédérale. Il s'agissait donc d'une consultation non pas sur la sécession pure et simple du Québec mais plutôt sur la négociation d'un nouveau partenariat entre un Québec autonome et le gouvernement canadien. Or le programme d'André Boisclair prévoit, contrairement à l'approche de René Lévesque, un référendum sur la sécession pure et simple du Québec.
Les positions de Jean Lesage et de René Lévesque n'étaient donc pas si éloignées. Elles prenaient toutes deux assises sur ce nationalisme d'autonomie qui rejoignait et rejoint toujours une grande proportion de Québécois. Et c'est ce nationalisme qui, par le passé, a mobilisé les Québécois dans l'atteinte de leurs plus grandes réalisations.
Or ce nationalisme ne se retrouve ni dans le fédéralisme peinard de Jean Charest ni dans le souverainisme dogmatique d'André Boisclair. Il ne trouve écho que dans la démarche autonomisme proposée par l'ADQ, et cet écho est loin d'être étranger à l'engouement que ce parti suscite à l'heure actuelle.
Les positions constitutionnelles actuelles du PQ et du PLQ, parce qu'elles sont aux antipodes, ne rejoignent qu'une minorité de Québécois. La vaste majorité d'entre eux aspire à renouer avec la philosophie autonomiste qui marquait le nationalisme de la Révolution tranquille. C'est dans ce nationalisme que germe la fierté du peuple québécois. C'est aussi dans ce nationalisme que les Québécois retrouvent le goût d'être audacieux, de se dépasser et de s'épauler dans la promotion de leur culture.
Le destin du peuple québécois ne réside pas dans les extrêmes ou dans le mensonge mais dans la convergence et l'intégrité. Lors du prochain scrutin, les électeurs auront une occasion en or de bouleverser l'échiquier politique de façon à ce que ce destin soit lesté des divisions chroniques qui l'affligent. À cet égard, il se pourrait bien que ces élections constituent le point de départ d'une nouvelle révolution et d'une ère plus favorable au développement de la nation québécoise.
Marc-André Gravel, Avocat


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