Le congrès des jeunes libéraux du Québec - La politique, entre perversion et hystérie

Congrès des jeunes libéraux

Dominique Trudel, L'auteur est doctorant et chargé de cours à l'Université de Montréal. Il est spécialiste de la théorie politique.
Il fallait quand même le faire. Non pas exiger simplement le dégel des droits de scolarité, poursuivant ainsi la critique libérale classique de l'État social, mais présenter une dépense annuelle supplémentaire de 4000 $ pour chaque étudiant du Québec comme un geste «courageux» qui allait enfin «bien les préparer à affronter la vie». Ce qui permet d'affronter véritablement des affirmations si grotesques, ce qui se révèle enfin au grand jour dans l'immense écart séparant ces deux discours, c'est la matrice plus générale d'une vie politique contemporaine structurée par une série d'allers-retours entre perversion et hystérie.
La prémisse de la position politique des jeunes libéraux est en fait à l'exact opposé du courage ou d'un quelconque engagement vertueux envers la vie. Au contraire, difficile de ne pas voir une tendance exacerbée à la mortification dans le fait de proposer avec grande satisfaction son propre appauvrissement. Car, paradoxalement, c'est précisément au nom même de l'avenir que les jeunes libéraux sont prêts à assumer un fardeau fiscal supplémentaire hypothéquant leur propre avenir.
Un tel comportement, loin d'être le résultat d'une analyse rationnelle des enjeux économiques et démographiques, témoigne plutôt de ce que le psychanalyste Jacques Lacan appelait une «structure perverse». Ce qui caractérise la structure perverse, c'est un certain rapport à la Loi (c'est-à-dire au père et, en ce sens, la présence parmi les jeunes libéraux d'Antoine Charest, le fils du premier ministre, est significative), fait de défiance et de provocation. Ce faisant, ce que recherche le pervers, ce n'est jamais tant de renverser la Loi ou de lui faire face «courageusement», mais bien de s'assurer de sa présence et d'en éprouver la solidité.
Si les jeunes libéraux voulaient changer la Loi plutôt que de la «tester», ce qui est très différent, ils se seraient contentés d'une proposition plus modeste, incrémentale et réaliste considérant les forces politiques en présence. En ce sens, la nouvelle structure d'imposition postuniversitaire est une fantaisie absolument incompatible avec l'idéologie libérale du rôle restreint de l'État, tout comme ces débats surréalistes sur l'habillement décent, le port du string à l'école et Britney Spears. Le pervers sombre facilement dans le moralisme et la remise en cause des «valeurs», un lieu commun constamment évoqué lors du congrès, constitue l'essentiel de son rapport à la Loi.
La Loi, évidemment, accueillera avec enthousiasme une telle invitation à se réaffirmer. Jean Charest félicitera la vision de l'aile jeunesse tout en repoussant aux calendes grecques ces demandes faites dans l'urgence d'une envie de pénal désinhibée. La Loi, précisément en écartant les propositions des jeunes libéraux, satisfait leur demande fondamentale de voir la Loi se réaffirmer. Qui se souvient aujourd'hui des projets du congrès 2006 où, après avoir mangé un bon repas de hot-dogs préparé par les ministres libéraux, les jeunesses libérales exigèrent une vaste campagne d'élimination de la malbouffe assortie d'une surtaxe de cinq sous sur les croustilles? Pourtant, l'histoire se répète aujourd'hui dans l'allégresse, car les jeunes libéraux pervers autant que les «vieux» libéraux hystériques trouvent leur compte à ce petit jeu.
Le pervers est celui qui connaît le désir secret de l'Autre, et son plaisir consiste à être pleinement l'objet de ce désir. Dans le cas des jeunes libéraux, ils devinent (ce n'était pas bien difficile) l'envie de leurs aînés de hausser les droits de scolarité, d'en découdre avec les syndicats et même, à l'encontre de toute tradition libérale authentique, d'établir vaniteusement de nouvelles structures étatiques d'imposition afin que l'on ne les oublie pas.
L'hystérique, au contraire, ne connaît pas le désir de l'Autre et le lui demande. D'après Lacan, la question hystérique première, qui est étonnamment électorale par ailleurs, se formule ainsi: «Que suis-je pour l'Autre?», ce qui, dans ce cas précis, signifie très concrètement: «Que veulent les jeunes?» La réponse d'un pervers qui connaît le désir secret de l'Autre consiste toujours à retourner un miroir vers l'hystérique, à lui montrer l'image inversée de son propre désir. L'hystérique est alors maintenu dans cette position ambivalente et constitutive du doute, confronté à son désir véritable mais inavouable qui à la fois le fascine et le repousse. Telle est l'hystérie, un champ de bataille de désirs nécessairement secrets dont le seul désir vraiment fondamental consiste finalement à maintenir son désir éternellement insatisfait. Ainsi, la question hystérique seconde de Lacan est aussi la question hystérique des libéraux, de la réingénierie de l'État jusqu'au CHUM et en passant par le Suroît: «Est-ce réellement ça?»


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