Le commode pardon

Du cynisme à l'état aussi pur que du cristal

Nouvel Ordre mondial

Même partielle, la grâce accordée par le président Bush à Lewis Libby, ex-directeur de cabinet du vice-président Dick Cheney, a provoqué un tollé. À l'unanimité, les commentateurs, et bien évidemment les démocrates, reprochent au chef de l'exécutif une décision précipitée mais surtout contraire à l'esprit de la loi. Libby, faut-il le rappeler, a menti à répétition.
Indice de l'isolement aussi volontaire que croissant du président Bush, tout le processus ayant débouché sur l'annulation de la peine de prison décidée par un jury et confirmée par une cour d'appel fédérale s'est fait dans le secret. À telle enseigne que le ministère de la Justice a eu écho de la décision en même temps que les journalistes. Selon les témoignages recueillis auprès de mandarins, la Maison-Blanche a pris peu de conseils.
Jugée inhabituelle par des historiens de la Maison-Blanche, la manière employée par Bush en la matière suscite tout naturellement un chapelet d'interrogations. Parmi celles-ci, une revient avec une constance d'autant plus troublante qu'elle est formulée comme suit: quel est le poids qu'a eu dans la décision finale l'influence de Cheney, le mauvais génie des deux mandats du président?
Évidemment, il faudra patienter quelque temps, voire attendre que les Sherlock Holmes de l'histoire auscultent cet épisode avant d'être en mesure de jauger avec une bonne dose d'exactitude l'influence du vice-président. En effet, tout part de son bureau, y repasse et souvent s'y conclut. Reprenons.
Dans les semaines qui ont suivi les attentats du 11-Septembre, un groupe restreint d'individus très haut placés ont constitué une cellule qu'ils avaient baptisée «La Cabale». Au sein de cette assemblée restreinte, on retrouvait Paul Wolfowitz, alors numéro deux du Pentagone, Donald Rumsfeld, alors patron du Pentagone, Dick Cheney et, bien évidemment, Libby, dit «Scooter». Ce sont eux qui se sont livrés à un travail de sape sans équivalent dans l'histoire moderne des États-Unis.
De quoi s'agissait-il? Capter certaines informations colligées par la CIA avant qu'elles ne se retrouvent sur le bureau du président. Puis, les dramatiser, les amplifier, les remodeler, de manière à ce que le chef de l'exécutif ait la ferme conviction qu'il n'y avait pas d'autre solution que d'attaquer l'Irak. CQFD: ils se sont habitués à mentir, à tricher et à écarter de leur chemin, parfois brutalement, ceux qui affichaient leur scepticisme à propos de leur entreprise, qu'on sait aujourd'hui tragique.
Ex-ambassadeur, Joseph Wilson était l'un deux. On se rappellera qu'il avait révélé que l'affirmation d'achat d'uranium nigérien par Saddam Hussein était un mensonge. On connaît la suite. Pour le punir, les Vulcain de la Maison-Blanche ont chuchoté à l'oreille de journalistes que l'épouse de Wilson travaillait à la CIA. Soit dit en passant, il est bon de rappeler que ce que l'exécutif a fait à ce couple, le premier ministre Tony Blair l'a fait à l'endroit du biochimiste et expert en armes de destruction massive Dave Kelly. Passons.
Passons pour mieux souligner qu'en graciant Libby de manière précipitée, le président Bush donne du crédit à une thèse qui circule depuis plusieurs mois maintenant et que de nombreux commentateurs et élus partagent. Beaucoup émettent l'hypothèse selon laquelle l'exécutif s'applique à brouiller les pistes, à multiplier les paravents, afin de sauver ce qu'il juge essentiel, à savoir que la croisade dont l'objectif était la démocratisation de tout le Moyen-Orient était fondée. Et, comme la fin justifie pour eux les moyens, le mensonge, et le plus énorme d'entre eux -- Saddam Hussein disposait de tout un arsenal d'armes chimiques et autres --, s'avère un outil indispensable. Vu l'évolution du dossier, Libby a été sacrifié. Mais si peu, si provisoirement, qu'il a en fait été... récompensé. Du cynisme à l'état aussi pur que du cristal.


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