Le cas Delorme soumis à la GRC

Les relations de l'ex-chef du SPVM avec BCIA et les anciens ministres Tony Tomassi et Jacques Dupuis au centre des préoccupations

L'affaire Delorme-Normandeau



À la GRC, on a refusé d'infirmer ou de confirmer la tenue d'une enquête concernant Yvan Delorme (photo). Du côté de Robert Lafrenière, même silence.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


Kathleen Lévesque - A l'automne 2009, la GRC lançait une enquête sur le chef de la police de Montréal, Yvan Delorme, à la demande du sous-ministre de la Sécurité publique, Robert Lafrenière, aujourd'hui à la tête de l'Unité permanente anticorruption, a appris Le Devoir.
M. Lafrenière s'est tourné vers la Gendarmerie royale du Canada (GRC) parce qu'il ne pouvait confier les informations explosives qu'il avait entre les mains au Service de police de Montréal, dirigé par M. Delorme, ni à la Sûreté du Québec, dont la responsabilité politique incombait au ministre Jacques Dupuis, ami de M. Delorme. Robert Lafrenière venait en effet d'être averti qu'il y avait des liens entre Luigi Coretti, propriétaire de la controversée agence de sécurité BCIA (Bureau canadien d'investigations et ajustements), le chef de police Yvan Delorme, le ministre Jacques Dupuis, ainsi que le ministre de la Famille, Tony Tomassi.
Selon une source bien au fait du dossier, M. Lafrenière a été contacté par un ancien collègue de la Sûreté du Québec, un enquêteur chevronné qui dirige aujourd'hui sa propre entreprise d'investigation. Dans le cadre d'une enquête touchant aux différents réseaux de l'industrie de la construction, cet ancien policier est tombé sur des éléments qui soulèvent des doutes sur les acteurs en jeu. Il lance alors un appel à Robert Lafrenière qui a longuement travaillé à la SQ, où il a notamment dirigé le service d'enquêtes criminelles. La confiance revêt son importance, car la situation est délicate.
Les gens interrogés par l'enquêteur auraient raconté que Luigi Coretti, de BCIA, se vantait à qui voulait bien l'entendre qu'il était un homme influent puisqu'il était à l'origine de l'embauche d'Yvan Delorme comme chef du SPVM. Cela aurait été possible, expliquait-il, grâce à son ami Tony Tomassi, alors ministre de la Famille, qui lui aurait donné accès au ministre Jacques Dupuis.
Il faut savoir que le choix d'un chef de police, à Montréal, se fait en deux étapes. Montréal reçoit d'abord des candidatures. L'ancien président du comité exécutif, Frank Zampino, siège au comité de sélection, qui choisira Yvan Delorme. Il s'agit d'un choix surprenant parce qu'il passe devant des candidats au grade plus élevé que le sien et qu'il n'a que 42 ans, ce qui en fait le plus jeune chef de police de l'histoire de Montréal. En mars 2005, le Conseil des ministres, sous la recommandation du ministre de la Sécurité publique, confirme l'embauche de M. Delorme.
On rapporte également au sous-ministre que M. Delorme aurait partagé plusieurs repas avec M. Coretti, notamment à la résidence de ce dernier. De plus, le chef de police aurait été vu à plusieurs reprises dans les bureaux de BCIA, situés, jusqu'en 2007, dans le même édifice que Louisbourg Construction appartenant à Tony Accurso, lui-même ami intime de Frank Zampino.
Et ce n'est pas tout. L'enquêteur privé suit une piste inquiétante: Yvan Delorme chercherait à influencer des municipalités en périphérie de Montréal pour qu'elles retiennent les services de BCIA en matière de sécurité.
Quand toutes ces informations sont transmises à Québec à la fin de l'automne 2009, Montréal vient de vivre une campagne électorale houleuse au cours de laquelle les allégations de corruption et de collusion ont fusé chaque semaine. Plus largement, une commission d'enquête publique est réclamée à hauts cris auprès du gouvernement. Sans relâche, le ministre de la Sécurité publique martèle qu'il vaut mieux miser sur les enquêtes policières. À plusieurs reprises à l'Assemblée nationale, M. Dupuis rejette l'idée au nom du gouvernement.
Par exemple, le 24 septembre 2009, le ministre Dupuis affirme en Chambre que la volonté gouvernementale est de s'assurer que la police enquête. «On ne protège personne, il faut que les enquêtes se fassent. S'il y a des gens qui peuvent être accusés, qu'ils soient accusés. S'il y a un système qui peut être prouvé, il faut qu'il soit prouvé, puis, s'il y a des gens qui doivent être punis, ils seront punis. C'est clair comme de l'eau de roche», déclare-t-il.
De façon concomitante, la Ville de Montréal fait alors une vérification administrative concernant les services de sécurité donnés par BCIA: surveillance du quartier général de la police montréalaise, son centre de communications ainsi que la Cour municipale, entre autres. La firme de Luigi Coretti, qui a deux faillites à son actif et plusieurs poursuites contre lui, agit sans contrat. Ce dernier élément titille l'administration.
Montréal, à travers son contrôleur d'alors, Pierre Reid, fait appel à une firme privée spécialisée dans les enquêtes nécessitant la filature. Cette même entreprise sous-traite alors une partie de son mandat à une autre firme d'investigation. Le premier rapport de ce sous-traitant, rapport remis à Montréal concernant BCIA, a mis en lumière les amitiés du chef de police Delorme avec Luigi Coretti.
Quand Le Devoir fait ses premières vérifications auprès de Montréal pour ce qui est de la filature de M. Delorme, en juin 2010, tout est nié. Aujourd'hui, le maire maintient sa position, balayant de la main les mandats accordés à des enquêteurs privés.
À la GRC, on a refusé d'infirmer ou de confirmer la tenue d'une enquête concernant Yvan Delorme. Du côté de Robert Lafrenière, même silence. «Dans le contexte de l'enquête sur Montréal et du mandat actuel du commissaire [Lafrenière], aucun commentaire ne sera fait», s'est borné à dire Mario Vaillancourt, porte-parole du ministère de la Sécurité publique.
Plus tôt cette semaine, le ministre Robert Dutil, mû par «une inquiétude profonde», a annoncé que la nouvelle Unité permanente anticorruption enquêtera sur l'espionnage fait à Montréal, mais également sur tout autre dossier. Le cas Delorme pourrait donc remonter à la surface. Et M. Lafrenière a été aux premières loges dans ce dossier.
Enfilade de démissions
Le cas BCIA arrive sur la place publique en avril 2010. La Presse annonce la faillite de l'entreprise qui a bénéficié d'une aide substantielle de l'État et surtout, met en doute le bien-fondé de voir cette firme faire la surveillance du quartier général de la police de Montréal. Dès le lendemain, le chef de police annonce au cabinet du maire qu'il entend quitter son poste.
Cette démission-surprise survient alors que le renouvellement de son contrat vient d'être confirmé, un mois plus tôt, par décret gouvernemental. Ainsi, M. Delorme se voit reconduit dans ses fonctions sous recommandation du ministre Dupuis alors même que le sous-ministre, Robert Lafrenière, connaît tous les doutes qui pèsent sur M. Delorme et le ministre Dupuis.
Officiellement, M. Delorme prend sa retraite pour des raisons personnelles.
Trois jours plus tard, le ministre de la Famille, Tony Tomassi, talonné par le Parti québécois depuis des semaines pour l'attribution de places en garderie, est expulsé du Conseil des ministres ainsi que du caucus libéral. Le premier ministre Jean Charest dit avoir la confirmation que M. Tomassi avait utilisé une carte de crédit Petro-Canada appartenant à BCIA pour payer des factures d'essence à l'époque où il était simple député. M. Tomassi est un ami de Luigi Coretti.
À travers cette tourmente, La Presse révèle que M. Coretti avait sollicité l'aide de M. Tomassi pour obtenir un permis d'arme à feu, une démarche impliquant le ministre Dupuis. À la même période, le gouvernement laisse couler l'information que M. Dupuis pense à se retirer. Ce sera chose faite quelques mois plus tard.
Cette semaine à l'Assemblée nationale, le Parti québécois a accusé le gouvernement de «protéger les libéraux» en faisant diversion avec l'enquête de l'Unité permanente anticorruption. Selon le PQ, le gouvernement Charest est «en partie responsable du pourrissement à Montréal». Pour le gouvernement, il s'agit d'insinuations et de salissage.
Enquêtes et politique
Dans les milieux policiers, notamment à l'opération Marteau, on se montre sceptique quant à la capacité ou à la volonté des décideurs de voir déboucher les enquêtes qui se rapprochent du monde politique. «Plus on monte, plus il y a du sable dans l'engrenage. Les arrestations à Boisbriand, c'était un bon coup, mais c'est des petits politiciens. Il y a d'autres dossiers», a indiqué récemment au Devoir une source bien informée.
La semaine dernière, Le Devoir révélait que l'enquête sur la collusion entre firmes de génie-conseil amène l'opération Marteau à fouiller le financement occulte des partis politiques. Les firmes d'ingénieurs, mais également d'avocats, d'architectes et de comptables pourraient être impliquées dans un système de financement des partis à partir des nombreux contrats professionnels accordés par le gouvernement et ses sociétés d'État.


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