Le capitalisme, «cancer» incurable?

1er mai 2010 - Fête des Travailleurs



20 août 2007: manifestants et policiers s’affrontent à Montebello, lors du sommet du Partenariat pour la sécurité et la prospérité.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir

1er mai: fête des Travailleurs. Aussi fête de l'«anticapitalisme». Mais quel contenu donner à l'anticapitalisme aujourd'hui sans retomber dans les vieilles critiques du passé, les vieilles recettes qui ont échoué? Questions à Amir Khadir, Pierre Mouterde, Francis Dupuis-Deri, entre autres.
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Québec — En 2008, le président français Nicolas Sarkozy avait déclenché un débat mondial en déclarant qu'il fallait «refonder le capitalisme». Depuis, les chefs de gouvernement ont bel et bien discuté de réformes lors de grands sommets. Il ne fallait pas «gaspiller une crise», répétait-on. Nous sommes le 1er mai 2010 et rien n'a vraiment été accompli.
Ajustements à la marge
«Trop ambitieux», lance, de l'autre côté de la table, dans un café de la capitale, un Québécois qui appartient à la haute direction d'une grande banque américaine; un vrai personnage de cette finance internationale tant honnie: «Il n'y aura pas de refonte du capitalisme. Ça va être des ajustements à la marge, prédit-il. C'est un système qui fonctionne, nonobstant la crise qu'on a eue. Grosso modo.» «Refonder» le capitalisme serait une tâche titanesque. Surtout qu'il n'a jamais vraiment été «fondé», soutient le banquier, qui se déclare toutefois favorable aux «ajustements à la marge» que le président Obama propose actuellement.
On aurait pu croire que la gauche profiterait davantage de cette crise. Certes, Barack Obama a été élu aux États-Unis. Et la patrie de Margaret Thatcher, le Royaume-Uni, s'apprête à causer une surprise avec la renaissance des libéraux-démocrates. On est toutefois loin ici de la «gauche de gauche». Et en France, le Nouveau Parti anticapitaliste, né en 2009, a «contre-performé» aux dernières régionales.
Chez nous, au sein de Québec solidaire (QS), une certaine ambivalence demeure à l'égard du «capitalisme». En témoigne les discours d'Amir Khadir, depuis 16 mois le seul député de QS à l'Assemblée nationale. Il parle la plupart du temps de «sortir [...] du capitalisme» ou de «dépasser le capitalisme» (6 mai 2009). Le 8 avril 2009, soulignant la démission de la ministre des Finances Monique Jérôme-Forget, il lance: «Ce qui est certain, c'est que le capitalisme devra être radicalement réformé, sinon dépassé, et visiblement Mme Jérôme-Forget n'était pas la femme de la situation.» S'il parle souvent d'une crise du capitalisme, il précise toutefois: c'est celle d'un «certain capitalisme», victime d'un détournement financier, qui est surtout à condamner: «Le capitalisme [...] pour continuer à générer du profit, s'est financiarisé et s'est réfugié dans la spéculation. Depuis plus de 30 ans, les entreprises, les États et les ménages s'endettent massivement. Nous sommes collectivement floués, pris à la gorge par le pouvoir financier.» En septembre 2009, il déclarait en Chambre que «les choses seraient plus simples si, par exemple, un gouvernement Québec solidaire pouvait appliquer ses propres recettes». Mais, ajoutait-il: «Non pas en abolissant le capitalisme, rassurez-vous.»
Exit les grandes ambitions
En entrevue, Amir Khadir admet que prendre position sur le capitalisme n'est plus aussi simple qu'à l'époque où il militait, en Iran, «pour un changement de régime», contre la dictature du shah et ensuite contre celle les ayatollahs. «Mon groupe parlait d'une société unitaire sans classes. Mais on s'est aperçu que ça, c'est comme la quête du Saint-Graal.»
QS est d'une gauche typiquement contemporaine, qui a rompu avec l'idée de révolution. Même la gauche «extrême» n'est plus habitée de grandes certitudes d'antan. «Nous ne pensons pas détenir LA solution», écrit la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) dans son communiqué annonçant sa manifestation d'aujourd'hui, à 16h au carré Saint-Louis à Montréal.
Amir Khadir ne sera pas de cette manif, mais participera à une autre grande marche du 1er mai. À QS, on ne parle évidemment pas de renverser l'ordre actuel. M. Khadir présente son programme comme «une première tentative très modeste» de «réduire l'hégémonie du capital». Le député rappelle que son parti, dans sa déclaration de principes, se dit favorable à «une économie mixte où il y a de la place pour le capital privé, mais pas toute la place [...], où l'économie sociale et le modèle coopératif sont très présents.»
Une gauche moins utopique
Depuis la chute du mur de Berlin, la gauche se veut certainement moins utopique que jadis. «Comme si l'échec patent des pays dits "socialistes", ainsi que la crise de représentation politique dont nous pâtissons, nous avaient à tout jamais prémunis contre le désir collectif de changer le monde et nous avaient éloignés de toute réflexion stratégique pensée dans la durée», écrit le philosophe Pierre Mouterde dans le chapitre d'un ouvrage à paraître.
Pour Mouterde, la période historique actuelle se caractérise par une «crise très profonde du politique» qui contraste avec celle d'avant la décennie 80 où l'on on imaginait que l'action politique pouvait modifier substantiellement quelques-uns des effets les plus pervers de l'économie de marché capitaliste: 1- par la régulation du capital (social-démocratie), 2- par la socialisation des moyens de production (le communisme) et 3- par la remise en cause des rapports de dépendance Nord-Sud (nationalisme populaire). «Ce n'est plus le cas aujourd'hui — tout au moins pour l'instant —, car ces différents modèles ont tous failli chacun à leur manière, nous ramenant au statut d'orphelin (en panne de modèle et de tradition) et nous entraînant dans un formidable sentiment d'impuissance subséquent», déplore l'auteur de Pour une philosophie de l'action et de l'émancipation (Écosociété, 2009).
Le mouvement «antimondialisation» de 1999 à Seattle (et d'avril 2001 à Québec) est devenu très vite l'«altermondialisation». Parmi les principales propositions qui ont animé la gauche dans la dernière décennie: le «budget participatif» de Porto Alegre et la taxe Tobin de ATTAC sur les flux financiers. Ambitieux, bien sûr, mais on est loin des idées révolutionnaires d'antan. Dans sa version la plus light, la gauche donne dans la pédagogie des «petits gestes» où «acheter, c'est voter».
Le capitalisme, un cancer?
Amir Khadir confie ceci: «J'ai toujours cherché une manière de dépasser le capitalisme, mais je n'en ai pas trouvé encore. Beaucoup de solutions ont été proposées. Elles se sont avérés difficiles à appliquer, ont donné des résultats plus ou moins heureux, mais ce n'est pas une raison pour abandonner.»
Soudain, il a cette métaphore: «On cherche un médicament contre le cancer depuis des décennies, dit le docteur Khadir. Et on ne l'a pas encore trouvé. Est-ce une raison pour abandonner?»
L'image du cancer est intéressante: le capitalisme, une multiplication «cellulaire» de l'économie humaine? Une tentation permanente pour laquelle les lois antimonopole, la redistribution, etc., constituent une sorte de chimiothérapie préventive? Surtout que «tous les faits convergent pour nous faire prendre conscience que le capitalisme n'est pas vraiment soluble dans un développement vraiment durable», note Amir Khadir.
Les penseurs anticapitalistes n'ont pas de mots assez durs lorsqu'il est question du système économique actuel. Francis Dupuis-Déri, politologue de l'UQAM, dénonce le capitalisme d'un point de vue «institutionnel», où le pouvoir de l'argent finit par avoir des effets nocifs sur les processus de gouvernance. «C'est ce qu'on voit bien avec les différentes histoires de corruption qui font les manchettes depuis quelques mois; les capitalistes disent en public qu'ils veulent une réduction de la taille de l'État et moins d'interventions publiques, mais ils manoeuvrent dans l'ombre pour que l'État travaille dans leur intérêt, et ils sont évidemment pour des interventions publiques en faveur des firmes privées (subventions, exemptions fiscales, infrastructures, protectionnisme, etc.), si cela leur permet d'augmenter leur marge de profit.»
Les remèdes produisent les crises
À l'autre bout du spectre idéologique, un intellectuel comme Martin Masse soutient que c'est plutôt les prétendus remèdes qui créent les crises. «L'interventionnisme semble se nourrir de sa propre instabilité: les crises qu'il provoque sont autant de justifications pour les gouvernements d'intervenir davantage», écrivait Masse dans Argument à l'été 2009, dans un dossier intitulé «Le capitalisme est-il une fatalité?». À ses yeux, «la crise actuelle, comme celle des années 30, ajoutera à nos vies une nouvelle couche de structures bureaucratiques et de restrictions de toutes sortes qui demanderont peut-être des décennies à déconstruire. Mais si nous voulons sortir de ce cercle vicieux et retrouver une prospérité stable et durable, seul le capitalisme pourra nous y mener».
Alors, le capitalisme, cancer ou phénomène «naturel» que l'intervention humaine ne doit pas brider? À cette question, assurément, les réponses tranchées ne semblent plus faire recette.


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