Le gouvernement fédéral et l'opposition libérale consacrent ces jours-ci le Canada comme paradis judiciaire des industries extractives à l'échelle mondiale. Le rapport gouvernemental intitulé Renforcer l'avantage canadien, paru en mars dernier, se présente comme une «stratégie de responsabilité sociale des entreprises pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l'étranger». Il se contente pourtant d'officialiser les lacunes de la juridiction canadienne quant à l'encadrement de son industrie controversée.
En matière de droits de la personne, le Canada ne reconnaît pas d'obligations aux très nombreuses sociétés minières enregistrées ou cotées chez elles. Or, 60 % des sociétés minières du monde sont canadiennes. Les conséquences de ces largesses sont donc internationales. «Les obligations conférées par les conventions internationales en matière de droits de la personne s'appliquent aux États et non pas directement aux entreprises», insiste le rapport.
Les industries extractives sont uniquement invitées à reconnaître des «principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme». Le Canada «informera» au besoin ces acteurs économiques des «risques associés au recours à des services de sécurité publics et privés», comme s'il ignorait que des sociétés canadiennes aujourd'hui bien en vue ont été fondées par des marchands d'armes ou des experts en mercenariat.
Silence noir
Les autorités canadiennes continueront d'observer un noir silence face aux allégations sérieuses à l'étranger de destruction environnementale, de pillage, de contrebande, d'évasion fiscale, d'expropriation violente et d'abus économiques qui pèsent contre les sociétés qu'elles «encadrent». Plutôt que de faciliter la spéculation boursière autour d'actifs acquis à l'étranger potentiellement dans des conditions controversées, elles continueront de prévoir des modalités lâches de divulgation d'information et de maintenir un vide juridique quant aux abus que les entreprises d'ici pourraient commettre à l'extérieur de nos frontières.
Pis, le Canada entend promouvoir un modèle ultrapermissif pour ses sociétés actives à l'étranger, tant dans les organisations internationales de «développement» que dans des forums diplomatiques ou dans des traités de libre-échange.
Il comptera notamment encore sur l'Agence canadienne de développement international (ACDI) pour défendre «l'avantage canadien». Ce, en renforçant «les capacités» (sic) des États du Sud à refonder leurs institutions ainsi que leurs cadres législatifs et réglementaires, pour qu'y soient adoptés, par exemple, des codes miniers outrancièrement avantageux pour... les sociétés minières canadiennes. Comme le rappelle un collectif d'experts, «l'appui de l'ACDI au développement des investissements privés canadiens dans le secteur minier en Afrique [...] peut se résumer comme suit: elle prépare le terrain». (S. K. Aoul, É. Revil, B. Sarrasin, B. Campbell et D. Tougas, Vers une spirale de la violence?, Montréal, mars 2000).
Laisser-faire consacré
Du reste, la perspective de poursuivre au criminel les entreprises canadiennes actives à l'étranger n'est pas même évoquée. Seul un «conseiller» en «responsabilité sociale des entreprises» remplira un office privatif, décrit dans un jargon qui semble provenir directement d'un paradis fiscal des Caraïbes. «Le conseiller n'entreprendra pas d'examens de sa propre initiative des activités d'une entreprise extractive canadienne, ne formulera pas de recommandations contraignantes, ni de recommandations de politique publique ou législative, n'établira pas de nouvelles normes de rendement, et n'agira pas comme médiateur officiel entre les parties.» De surcroît, le «conseiller» ne pourra procéder à l'examen de dossiers qu'avec le consentement de la partie accusée d'abus à l'étranger...
La contre-proposition libérale, le projet C-300 déposé par John MacKay, consacre elle aussi le laisser-faire. Tout au plus évoque-t-on un lien à faire entre les investissements publics canadiens et l'industrie minière, et prévoit-on qu'un groupe interministériel se saisisse de plaintes lorsqu'il les jugera fondées.
«Gouvernance» et tables rondes
Les autorités politiques canadiennes signalent ainsi à la population n'avoir nullement l'intention d'enquêter sur le rôle controversé des très nombreuses sociétés minières enregistrées au Canada, contrairement à ce qu'ont pourtant fait plusieurs juridictions étrangères, ce à quoi l'ont invité les experts mandatés par le Conseil de sécurité de l'ONU sur les guerres de 1996 à 2003 dans les Grands Lacs africains.
Pis, le Canada se montre aujourd'hui incapable de satisfaire aux recommandations des «tables rondes nationales sur la responsabilité sociale et l'industrie extractive minière dans les pays en développement», pourtant établies a minima par ses différents membres en 2007. À l'unanimité, des représentants de l'industrie minière, des gestionnaires en «développement international», des spécialistes en droit de la personne, des juristes, parlementaires et autres experts ont notamment recommandé aux autorités politiques de nommer un ombudsman et de conditionner l'aide financière canadienne, dont bénéficie l'industrie, à l'adoption de principes volontaires en matière de sécurité et de droits de la personne.
Le problème et la solution
Le rapport prévoyait aussi que l'on puisse, du Canada, poursuivre au criminel les sociétés canadiennes visées par des allégations soutenues à l'échelle internationale, mais les signataires unanimes dudit rapport ont eux-mêmes publiquement négligé cette proposition.
Jamie Kneen de l'organisation Mining Watch a bien résumé la situation: «Tant que le gouvernement du Canada ne fera pas partie de la solution, il continuera de faire partie du problème.»
Les déclarations d'Ottawa marquent aujourd'hui toutes les limites de cette stratégie dite de «la bonne gouvernance» adoptée ces dernières années par ceux qui ont été autorisés à parler au nom de la «société civile» dans des échanges formels à plusieurs. Ces forums se trouvent à exclure de fait les acteurs civiques qui ne conviennent pas de règles de discussion devant impérativement mener à un «consensus» avec les tenants d'intérêts miniers.
Ils débouchent sur des négociations avec le gouvernement central se faisant sur la base de requêtes quasi minimales. Étant donné les intérêts contradictoires des acteurs en présence, ils permettent difficilement l'établissement de diagnostics exhaustifs, sur la base de la documentation publique existante, quant aux problèmes qu'on prétend résoudre. Bref, ils marginalisent l'opinion publique et nuisent à la démocratie.
Investissement responsable
Puisque cette voie de la «gouvernance» ne donne lieu à aucun résultat probant, force sera pour les citoyens canadiens de colliger par eux-mêmes les documents critiques sur les sociétés dans lesquelles ils sont amenés à placer leur épargne (par l'entremise des fonds de retraite et des différents fonds collectifs à la Bourse de Toronto). Ils pourront eux-mêmes mettre sur pied, avec les moyens qu'ils ont, un organe de collection et de synthèse des critiques qui fusent à l'échelle internationale quant à l'industrie extractive canadienne et aux instances gouvernementales qui les soutiennent.
Les citoyens de ce pays pourront, à partir de ces données, s'enquérir des investissements que font en leur nom, dans une industrie qui reste aujourd'hui résolument hors de tout contrôle au Canada, différents fonds collectifs publics comme privés, tels que la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Régie des rentes, le Régime de pensions du Canada, le Fonds de solidarité de la FTQ et autres Teacher's. Ils s'inspireront ainsi du fonds souverain norvégien qui, en janvier dernier, a retiré ses actifs de la société Barrick Gold, au regard de son dossier environnemental en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Les notions de «placements éthiques» et d'«investissements responsables» sont les références légitimes de notre démocratie libérale que des citoyens peuvent invoquer pour conserver quelque espoir en leurs capacités de peser, sans s'en remettre aux seuls experts, sur le cours historique des choses. Et cela sera tant que l'État canadien refusera d'assumer en la matière ses fonctions souveraines.
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William Sacher, Auteurs de Noir Canada, Pillage, corruption et criminalité en Afrique (Écosociété, 2008)
Alain Deneault,
Delphine Abadie,
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