Le Canada est toxique pour l’identité québécoise

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C'est lorsqu'il l'a été le moins que le Québec s'est le plus émancipé (1955 à 1970)

Il est courant, aujourd’hui, d’entendre dire que l’anglicisation du Québec est moins causée par notre appartenance au Canada que par la mondialisation qui ferait de l’anglais la langue universelle, à laquelle nous devons tous nous convertir pour participer à l’humanité réunifiée par le métissage généralisé des cultures. Le message implicite, suggéré par cette analyse, c’est qu’il ne sert à rien de chercher à contenir l’anglicisation du Québec, et surtout, qu’il faudrait cesser d’accuser Ottawa de miner les fondements de l’identité québécoise puisque la bataille se passerait désormais sur un autre terrain. On explique en même temps que le Québec disposerait en ce moment de tous les moyens nécessaires à la défense du français, et qu’il ne serait pas nécessaire de pousser plus loin la loi 101. Libre à chacun de souhaiter la souveraineté, mais on ne saurait plus la souhaiter pour sauver l’identité culturelle et linguistique du Québec.
L’étude de l’IREC à la laquelle Le Devoir consacrait aujourd’hui un passionnant article de Robert Dutrisac nous rappelle que la réalité est infiniment plus complexe. Je la résume ainsi : Ottawa finance l’anglicisation des services de santé au Québec et le gouvernement du Québec y consent. Autrement dit, le Canada travaille à l’anglicisation du Québec, au nom, bien évidemment, du droit à ne pas vivre en français, car il s’agit désormais, pratiquement, d’une langue optionnelle lorsque vient le temps d’interagir avec l’État. On ne se contente pas de servir dans sa langue la minorité historique anglaise: on travaille à la bilinguisation systématique du système de santé, ce qui revient, pratiquement, à relativiser le statut du français comme langue nationale.
Cette étude nous le rappelle, mais le mouvement de fond est connu : l’appartenance au Canada est toxique pour le Québec et derrière le fédéralisme canadien, on apercevra toujours une logique de dissolution de l’identité québécoise. Non pas parce que le Canada est méchant. Mais il nie la différence québécoise et pousse à la déconstruction de tout ce qui pourrait l’amener à se construire comme société distincte. La loi 101, au Québec, est en concurrence avec la loi fédérale sur les langues officielles et c’est l’esprit de la seconde qui façonne désormais les rapports sociaux, surtout à Montréal, où se joue évidemment la question de l’avenir du français. Beaucoup de jeunes Québécois francophones font ainsi de ce bilinguisme systématique la marque distinctive de l’identité montréalaise. D’ailleurs, on réinterprète à la baisse la loi 101 en oubliant qu’elle devait faire du français la seule langue officielle du Québec. Désormais, on se contente de lui assigner la mission de préserver le droit des francophones d’avoir des services en français.
De même, si la loi 101 est encore debout, on ne doit pas oublier que le système fédéral l’a progressivement démantelé, en en faisant tomber de grands pans, par le travail minutieux de la Cour suprême. On ne saurait oublier non plus que tant que nous serons dans le Canada, les immigrants qui arriveront auront le choix entre deux langues, et que le français ne sera jamais la plus forte des deux. Plus largement, le système fédéral reprogramme la conscience collective en nous amenant à reconstruire notre vision de l’identité québécoise dans ses propres paramètres. On l’a vu avec le débat sur la Charte des valeurs, à l’automne dernier, quand il suffisait à plusieurs, et même à des souverainistes, de dire qu’elle entrait en contradiction avec la Charte canadienne des droits de la personne pour croire clore la discussion. Nous assistons à une canadianisation de l’esprit public.
Mais les souverainistes se sont laissés convaincre d’une chose: ils veulent un discours exclusivement positif, et s’interdisent de critiquer le Canada, comme s’ils sombraient alors dans le ressentiment victimaire et revanchard. Ils s’interdisent d’expliquer que notre appartenance au Canada est fondamentalement néfaste, qu’elle blesse culturellement notre peuple, qu’elle entrave l’épanouissement de son identité. Ils ne veulent jamais être contre le Canada, même quand celui-ci travaille contre nous. Mais à ne pas critiquer ce qui nous étouffe, on finit par s’habituer à manquer d’air. Le souverainisme Calinours, positif jusqu’au jovialisme, bon joueur au point d’être bon perdant, préfère ainsi conserver la bonne imagine d’un nationalisme sympathique plutôt que montrer comment notre entêtement à demeurer dans le Canada correspond à un long suicide par déculturation et négation de soi.


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