Financement fédéral des partis

Le Bloc ne mérite pas d'argent, selon un ministre conservateur

L'idée fédérale

Hélène Buzzetti - Ottawa -- Le gouvernement conservateur partage officiellement un avis répandu à l'extérieur du Québec selon lequel le Bloc québécois de Gilles Duceppe ne devrait pas recevoir de financement gouvernemental parce que cette formation est souverainiste et non représentative du pays.
L'idée refait surface de manière épisodique depuis 2004, lorsque le financement étatique des partis politiques fédéraux a été instauré. Cette idée consiste à dire que le Bloc québécois ne devrait pas toucher les subsides de l'État à cause de son orientation idéologique et de son caractère régional.
La semaine dernière, Andrew Stark, un ancien conseiller de Brian Mulroney, a signé dans le Globe and Mail une charge en ce sens: il a fait valoir que ce serait la meilleure façon de se débarrasser des gouvernements minoritaires à répétition que l'élection d'une importante cohorte bloquiste semble rendre inévitable.
Hier, un ministre du gouvernement de Stephen Harper a fait sienne cette réflexion. Il s'agit de Steven Fletcher (Manitoba), le ministre responsable de la Réforme démocratique. Dans une entrevue à l'hebdomadaire Hill Times, M. Fletcher a dit partager l'avis d'Andrew Stark. «Virtuellement, chaque Canadien est obligé de faire une contribution non volontaire sur la base des résultats des partis politiques. Je sais qu'il y a beaucoup de gens dans d'autres régions du pays qui ne sont pas du tout contents que la vaste majorité du financement d'un parti, le Bloc québécois, provienne de cette subvention.»
M. Fletcher réitère la position du Parti conservateur, qui veut que cette subvention gouvernementale de 1,95 $ par vote obtenu à l'élection soit abolie. Lorsque le gouvernement de Stephen Harper a tenté de supprimer cette subvention, l'automne dernier, le pays s'est retrouvé en pleine crise politique. Ce n'est qu'en suspendant les travaux du Parlement que M. Harper a pu éviter le renversement de son gouvernement minoritaire, réélu à peine six semaines plus tôt. M. Fletcher n'était pas disponible pour donner une entrevue hier, mais son porte-parole a renvoyé Le Devoir à l'entrevue du Hill Times.
Une leçon non comprise
Le Bloc québécois ne s'est pas fait prier pour descendre en flammes les déclarations du ministre Fletcher. «Les règles doivent être les mêmes pour tous les partis politiques représentés à la Chambre des communes, a déclaré le chef adjoint, Pierre Paquette. Pendant les années où le Parti conservateur n'était pas représenté dans l'est du Canada, était-il moins légitime?»
Pierre Paquette attribue cette déclaration à la même philosophie qui a animé le sénateur-ministre Michael Fortier, lors de la dernière élection, lorsqu'il a fait circuler à Montréal un chèque géant dénonçant les 350 millions de dollars qu'avait coûté la présence bloquiste à Ottawa depuis 1993. «Les conservateurs n'avaient pas compris qu'en attaquant ainsi, ils n'attaquaient pas seulement la légitimité du Bloc québécois, mais aussi la légitimité du vote de ceux qui ont appuyé le Bloc québécois. Ils ont insulté des millions de gens qui ont voté pour le Bloc.»
Selon Pierre Paquette, les conservateurs «n'ont absolument pas compris la leçon, car j'estime que la fortiermobile a été le tournant de la dernière campagne. Ils ont commencé à perdre des plumes à ce moment. Disons que ça augure bien mal s'il y a une campagne à l'automne».
Le dernier sondage de la firme Nanos place les intentions de vote à 33,8 % pour les libéraux et 31,3 % pour les conservateurs (avec 1002 répondants pour une marge d'erreur de 3,4 %, 19 fois sur 20). Au Québec, toutefois, le Bloc reste bien en tête à 38 %, les libéraux les talonnent à 35,4 % et les conservateurs ferment la marche à 14 %.
Le libéral Denis Coderre n'est pas d'accord non plus pour attaquer ainsi le parti qui est pourtant son adversaire. «En parlant ainsi, le Parti conservateur démontre qu'il ne comprend pas ce qu'est la démocratie», a-t-il dit.
Pourcentage trompeur
Le Bloc québécois se fait souvent critiquer pour le fait de tirer la vaste majorité de son financement (plus de 85 % en moyenne) de la subvention gouvernementale d'environ 2,6 millions de dollars. Ce pourcentage est trompeur.
Avant 2004, le parti national récoltait l'argent et en redistribuait une partie à ses candidats locaux. Depuis que la subvention existe, le Bloc québécois ne fait aucune campagne de financement nationale: il demande à chacune de ses associations de circonscription de le faire elles-mêmes pour s'autofinancer, le Bloc conservant pour son fonctionnement la subvention d'Ottawa. Les 75 associations récoltent donc environ la même somme qu'avant, mais elle n'est plus déclarée de la même manière à Élections Canada, donnant l'impression que le Bloc québécois ne se finance plus. «Ça fait cinq ans que Gilles Duceppe ne participe plus à aucun tournoi de golf pour ne pas nuire aux campagnes de financement locales, explique M. Paquette. C'est un choix délibéré.»


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