Chronique du mardi - 19

Le Bilan d'APOLLO XIII

Chronique d'André Savard

Après la déconfiture électorale des Conservateurs et le retour du gouvernement très autoritaire de Jean Chrétien, Jean Charest devint chef du Parti Conservateur en remplacement de Kim Campbell. Un film américain occupait l'affiche intitulé APOLLO XIII. Comme son titre l'indique, le film retraçait l'expédition tragique.
Jean Charest qui a parfois le sens de l'humour exprima cette remarque significative : « Avez-vous déjà vu APOLLO XIII? C'est l'histoire de ma vie. » Mordecai Richler clamait partout que, comme Québécois, Jean Charest ne serait jamais élu premier ministre du Canada. Les Canadiens en avait eu ras le bol des Conservateurs sous le règne trop complaisant de Mulroney envers la « province », ajoutait Richler. Il fit activement campagne à travers le Canada pour que la pression augmente sur les épaules de Jean Charest. Le point de vue de Richler logeait dans la grande tradition canadienne. Les Québécois n'ont pas d'opinions mais des sentiments. Ils ne demandent pas mieux que de suivre une tête de pipe du moment qu'elle possède des talents pour communiquer.
Jean Charest abandonna le vaisseau conservateur. En prenant le volant du parti Libéral l'image d'APOLLO XIII s'éclipsa. Mais c'est à croire que l'éternel retour soit la règle dans le grand cosmos. Monsieur Charest fait aussi piètre figure que s'il était toujours au volant d'APOLLO XIII. Le gouvernement du Québec est devenu à son tour APOLLO XIII. Et le bilan euphorique il y a deux semaines nous laissait incrédules comme si le premier ministre dérivait avec ses astronautes dans sa capsule.
Pourquoi cela va-t-il si mal? Le dernier budget est un chef d'œuvre de discrétion. Jean Charest semble avoir dit à son ministre Audet que si agir ne réussit pas, l'inaction s'avère la meilleure solution. Il vaut peut-être mieux en effet s'abstenir si on ne sait pas agir. Cependant il n'y a pas de quoi en faire ses lettres de noblesse.
Ce n'est pas toutefois que Mordecai Richler ait eu totalement tort en vouant une telle confiance à Jean Charest. L'habileté de monsieur Charest à façonner des slogans n'a échappé à personne. J'ai déjà écrit dans cette chronique que Jean Charest se comportait, même à titre de premier ministre, comme s'il était engagé dans une campagne électorale permanente. La recension de Louise Harel nous a permis de nous remémorer avec précision le chapelet de slogans qui a ponctué son règne : Réinventer le Québec, Briller parmi les meilleurs, L'avenir résolument et Réaliser le Québec de demain. Il lui reste encore un an. Pourquoi pas le Futur Radieux, Pour un Québec Responsable et Armons-nous du bon guide pour la Route? Nous saurons quoi faire ensuite.
Avant d'être premier ministre, Jean Charest avait le chic pour identifier les sujets populaires. Même Mario Dumont qui ne passe pas pour un novice lui a reproché de penser que certains sujets avaient du génie, utilisant avec le pire opportunisme ce qui était censé emporter la sympathie. La critique de Charest contre la bureaucratie grandissante et la société tentaculaire avait un petit air de film comme s'il avait visionné les Invasions Barbares avant tout le monde.
Il se logeait mine de rien dans la critique du modèle québécois. Si la société québécoise était vraiment cette bureaucratie inhumaine peuplée d'irresponsables qui cherchent seulement à vampiriser le système, peut-être après tout qu'un petit virage à droite s'imposait. Plusieurs en tout cas ont mordu à l'hameçon.
Le slogan « Réinventer le Québec » s'inscrit bien dans cette intention de profiter de la vogue qu'il y eut alors. La santé, les baisses d'impôts, l'attachement des services de proximité, Jean Charest mettait tout ça dans le collimateur qui allait de pair avec l'individualisme et le cocooning.
Il y a six ans Jean Charest avait atteint un brio digne de mention pour tabler sur le mécontentement populaire. On en était presque revenu au mythe de la tache originelle québécoise sous une nouvelle forme modernisée après son apothéose au cours des années Trudeau. Les récitations remplissaient les oreilles sur les grandes tribunes radiophoniques. En voici un résumé: Les Québécois ont trop attendu de l'Etat québécois comme ils ont trop attendu de l'Eglise, pris qu'ils sont dans une fuite de leurs responsabilités individuelles. Rendons-les plus responsables. Donnons-leur le goût de travailler grâce à des baisses d'impôts. Surtout convainquons-les qu'ils sont les auteurs de leur propre bonheur. Ils n'ont pas à lutter contre le Fédéral pour y parvenir. Rien n'empêche la réussite des meilleurs si la bureaucratie ne les arrête pas. Pour cela, il faut faire suivre à l'Etat québécois un régime minceur.
Ces discours sont archiconnus. Les variantes existent de pays en pays. Ici, en conclusion, on dira que le Fédéral est l'allié des intérêts personnels.
Dans les faits, l'intérêt personnel dont on parle tant consiste à avoir une bonne position sociale. S'il y a des baisses d'impôts, les bonnes positions sociales seront encore meilleures. Jean Charest avait bien compris cela mais très peu du reste. Au cours de la campagne électorale, selon sa bonne vieille habitude de rabattre les sujets qui paraissent avoir du cœur pour s'en servir, Jean Charest critiqua âprement les exemptions fiscales dont profitent les grandes entreprises. On aurait presque pu le confondre un moment avec un altermondialiste s'il n'eut pas tant parler de baisser les impôts des particuliers.
Un examen plus poussé montrait que Jean Charest ne distinguait pas entre points d'impôts, baisse d'impôts, crédits d'impôts, subsides et exemptions fiscales. En outre, le cadre financier du parti Libéral souffrait d'un trou de treize milliards suite à des lacune comptables patentes. On avait même oublié de calculer les indexations des salaires des fonctionnaires dans les projections. Le gouvernement Charest n'était pas encore élu que déjà il était manifeste que son plan d'action ne pouvait pas servir de base. Le slogan battait la mesure sans discontinuer : Nous sommes prêts.
On pouvait s'arrêter devant un présentoir de presse, lire l'article de tête. Heureusement pour monsieur Charest on retrouvait le même auto-aveuglement qu'aujourd'hui dans les grands groupes de presse. Les écrans de télé faisaient pire avec leurs légendes graduées qui devaient nous indiquer en temps réel le taux d'occupation des salles d'urgence. Dans la promotion de sa couverture de la campagne électorale, Radio-Canada nous montrait des gens se plaignant de la pénurie des médecins en région. C'était en soi une charge contre le gouvernement en place et un gage de la bonne information que l'on trouvait à Radio-Canada...
Monsieur Charest avait l'air soudain d'être du côté de ceux qui sont accablés par l'engrenage. La vérité paraissait du côté de ce personnage du moins tel qu'on le laissait percevoir à l'échantillon majoritaire de la population. Charest énonçait le message que les gens croyaient avoir pensé de tout temps : la souveraineté ou la santé. Il suffit que le personnage énonce le boniment. Franchement Mordecai Richler devait rire dans sa tombe.
Jean Charest n'est qu'un homme et le problème n'est pas qu'un homme. Charest sait juste saisir les slogans qui ont l'air d'engager une éthique : Briller parmi les meilleurs. Quarante-huit heures après son élection, le gouvernement Charest laissait planer la nouvelle d'une découverte. Il venait de trouver un gouffre de treize milliards de dollars dans les finances publiques. Il était étrange que le gouffre corresponde à la taille de trou qui figurait dans leur cadre financier. Vu la complexité des systèmes comptables, il était tout aussi bizarre que la rumeur se soit matérialisée après seulement quatorze heures ouvrables. En matière de poudre aux yeux, le gouvernement Charest a su rapidement mettre la main à la pâte. Il faut lui accorder cela.
Ensuite le gouvernement Charest se mit à défaire des pans entiers du « modèle québécois » qui avait si mauvaise presse. Les ministres interrogés répondaient souvent : « Oh, vous savez, c'est à cause du gouffre financier de l'administration précédente. » L'excuse ayant trait au gouffre hypothétique a servi au bas mot pendant deux ans, deux ans! On a rarement vu un gouvernement qui prend autant de temps pour se responsabiliser.
Jean Charest, chantre de la responsabilité individuelle, nous a ainsi fait baigner dans son appréhension confuse de la réalité. Nous ne saisissons plus rien à bonne distance comme si nous étions dans la capsule d'APOLLO XIII.
Monsieur Charest rencontre monsieur Harper sans plan public touchant le marché qu'il voudrait conclure avec le Fédéral. Ce sera une des étapes nouvelles d'APOLLO XIII. Il faut dire qu'au Canada, les marchés espérés avec le Québec ont le plus souvent le côté irrationnel d'une expédition qui se promettait un croissant de lune. Monsieur Charest préfère donc ne rien jauger à l'aune de la précision.
La prochaine fois que l'heure sera au bilan, que monsieur Charest se contente de répéter sa boutade sur APOLLO XIII et son parallèle avec l'histoire de sa vie.
André Savard


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