J’avais invité Bernard-Henri Lévy à venir à Montréal parler de son livre sur l’exécution du journaliste américain Daniel Pearl par les islamistes du mouvement Al-Qaeda. En attendant le début de la conférence, j’avais réuni quelques personnalités dans la loge principale pour un cocktail privé. Concentré à la préparation de sa présentation, BHL s’était reclus dans un coin de la pièce, loin des discussions amicales des convives. Puis, la porte s’est ouverte pour laisser entrer la présidente d’honneur de l’événement, la Gouverneure générale de l’époque, Michaëlle Jean. J’ai alors vu le regard du philosophe français s’illuminer d’une admiration qu’il me confirmera à la fin de la soirée: « Elle est belle, lumineuse et brillante. Le Canada a de quoi être fier de son chef d’État… » Le charme de Michaëlle Jean avait de nouveau opéré.
Et du charme et du charisme, il lui en faudra beaucoup pour réussir le prochain défi qu’elle s’est fixée: devenir la prochaine patronne de l’organisation de la Francophonie, à la suite du Sénégalais Abdou Diouf qui achève son mandat l’automne prochain. Soutenue par le Canada, le Québec et le Nouveau Brunswick qui ont mis à sa disposition une équipe de diplomates pour l’accompagner dans sa campagne de ralliement des voix des membres votants, elle pourra aussi compter sur l’appui de son pays d’origine: Haïti.
À la tête de la Francophonie, Michaëlle Jean incarnerait un formidable visage d’une institution renouvelée, moderne, en phase avec les temps actuels. Femme, à la fois Nord-américaine et du Sud (Haïti), tous ses engagements des dernières années l’ont mené à la défense de la jeunesse, catégorie populaire la plus importante de l’espace francophone. Ancienne journaliste, elle a toujours fait preuve d’une grande rigueur dans la maitrise des dossiers, tout en ayant le ton juste pour les porter en public. Son empathie naturelle et subtile renforce son sens de la diplomatie éprouvé à l’occasion des différentes visites d’état qu’elle a effectué en qualité de Gouverneure générale et toutes les autres missions qui lui ont été confiées autant par l’UNESCO que la Francophonie elle-même (qui l’avait désigné Grand Témoin de la Francophonie lors des derniers Jeux Olympiques à Londres).
Jeunesse, économie, éducation et saine gouvernance sont les éléments clés du projet de candidature de Michaëlle Jean. Clairement, tout ce en quoi la Francophonie doit s’investir.
Pour autant, les jeux ne sont pas faits pour la candidate qui fera face à d’âpres adversités. Le bloc africain sera-t-il tenté d’imposer plutôt un représentant du continent noir? Les dirigeants votant voudront-ils privilégier la candidature d’un ex président africain (l’ex-président burundais Pierre Buyoya) qu’ils croiront plus conciliant avec leurs lacunes dans le respect des règles de bonne gouvernance? Après tout, l’année prochaine, quelques dirigeants africains (Burkina Faso, République Démocratique du Congo et le Burundi notamment) envisagent de défaire des constitutions qui leur interdisent de briguer un troisième mandat. Ce qui provoquera des remous politiques nationaux que l’Occident et les institutions internationales seront appelés à condamner.
Par ailleurs, le désengagement du Canada du continent africain a froissé plusieurs chefs d’état qui pourraient alors voir en la défaite de Michaëlle Jean une occasion d’asséner une gifle à Ottawa.
Dans le contexte, c’est donc la voix du Québec qui aura plus d’effets positifs. La ministre des relations internationales, Christine St-Pierre, a confirmé l’engagement total du Québec derrière cette candidature. Mais il faudra faire plus: s’activer à rallier les partenaires majeurs (la France, la Suisse, la Belgique), mener une vraie campagne de séduction, rappeler l’engagement de notre province dans l’accueil des étudiants francophones dans nos universités, etc.
Il ne s’agit pas ici d’un banal « trip » d’ego, il devient essentiel que la Francophonie consolide sa crédibilité et affiche sa modernisation afin de pouvoir garantir la vitalité de la langue française. La tentation de se détourner de cette langue qui est le socle de notre société est grande auprès des jeunes séduits par l’anglais et les promesses d’opportunités d’affaires que la langue de Shakespeare affiche. La perspective, ici comme en Afrique et l’Asie, que la Francophonie soit encore dirigée par un autre ancien dirigeant africain à la feuille de route critiquable en matière de respect des règles démocratiques serait un message déprimant (d’une institution figée dans ses alliances du passé) envoyé à la jeunesse francophone partout dans le monde.
L’engagement de Michaëlle Jean est donc un pari à la fois audacieux et porteur d’espoir. Dans trois mois, on saura si son charme et sa capacité de persuasion auront convaincu les dirigeants votant quand ils vont se retrouver à Dakar pour un sommet de l’organisation.
« Lumineuse et brillante »a dit de Michaëlle Jean l’écrivain Bernard-Henri Lévy. Il lui faudra briller de toutes ses feux pour illuminer les allées parfois sombres des arcanes de la politique en Afrique et dans l’espace francophone.
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