«Taxer un vieil-lard de nostalgie hallucinée n'invalide pas son témoignage, écrit Laurent Laplante. Tenir pour patente la supériorité d'hier sur les conduites modernes ne vaut pas mieux. Vieillir survalorise le rétroviseur? Sans doute. Se passer du rétroviseur? Cela ne confère à personne une acuité visuelle de 25 sur 20. Entre nostalgie et prétention, la voie mitoyenne reste à inventer.» Et c'est à cette tâche que se consacre le septuagénaire dans Par marée descendante. Échos d'un vieillissement.
Entre le journalisme et le journal intime, cet essai propose des «comparaisons crédibles» entre le Québec d'hier et celui d'aujourd'hui, afin d'évaluer si cette évolution correspond à un «mouvement vers le mieux».
Comme dans ses récents ouvrages, Laplante joue sur deux tableaux: «un récit, puis sa marge», explique-t-il, c'est-à-dire un essai de forme classique, agrémenté de réflexions «aux marges de l'écriture» qui nuancent le précédent ou le poussent plus loin. Laplante, en d'autres termes, offre au lecteur à la fois le propos principal et son commentaire, avec une liberté d'écriture plutôt réjouissante.
Après avoir exprimé de façon un peu confuse son désarroi devant une société qui ne sait plus distinguer clairement les âges de la vie, Laplante entre dans le vif du sujet. Il propose le regard d'un vieil observateur sur 60 ans d'évolution de la société québécoise. La docilité d'hier, lance-t-il pour débuter, a fait place à «l'authenticité du présent», mais cette victoire de l'individualisme, qui a ses vertus, s'est accompagnée de reculs sur le plan de la solidarité. Un fossé s'est creusé, note Laplante, entre les syndicats, anémiés par le corporatisme, et la société québécoise.
Le mouvement coopératif a «désappris lui aussi la solidarité», notamment dans le cas du Mouvement Desjardins, qui se comporte désormais comme une banque. Il n'entre nulle nostalgie, insiste Laplante, dans ce triste constat.
Peut-on en dire autant des propos du journaliste au sujet de la place du livre dans la société québécoise? Sil n'est pas faux d'affirmer que l'écrit, «sur son versant littéraire», ne bénéficie pas de toute la considération souhaitée, il est plus difficile de constater là un recul. A-t-on dé-jà, en effet, lu plus au Québec? On peut déplorer que l'augmentation générale du niveau de scolarité ne se soit pas accompagnée d'une augmentation équivalente du taux de lecture, mais ce serait, dans ce cas, «nostalgie hallucinée» que de conclure à une dégradation de la situation.
Sur quelles bases, de même, fonder l'affirmation selon laquelle «l'esthétique de l'écriture» serait aujourd'hui dépréciée? Les anciens auteurs écrivaient mieux? «Dans mes reproches au journalisme actuel et à un segment de la production littéraire, a l'honnêteté de se demander Laplante, que pèsent mon passé et les nostalgies dont il serait le catalyseur?» Force est de conclure qu'ils pèsent lourd. Laplante avoue avoir «cultivé à l'excès, assez vainement d'ailleurs, le souci stylistique». Dans cet ouvrage, comme dans ses récents essais, ce souci s'exprime par une prose un peu touffue, parfois plus évocatrice que simplement claire, que certains, dont je suis, ne prisent pas particulièrement. Querelle de générations? Même pas. De tempérament, plutôt.
Homme de centre gauche capable de reconnaître la nécessité d'un certain conservatisme, Laplante signe ici de bonnes pages sur la famille actuelle et la place de la religion. Au sujet de la première, il dit ne pas rejeter «l'union libre et l'agile remodelage des couples», mais il déplore «ce que les ruptures affichent parfois de désinvolture». Pour former la jeunesse en cette époque de «discontinuité», les «exemples crédibles de dons continus et persévérants» sont nécessaires. Au sujet de la seconde, le «vieux mécréant» qu'est devenu Laplante reconnaît toutefois que le recours à la Bible est essentiel pour comprendre notre monde et que «le sentiment religieux est si profondément fiché dans l'âme humaine que le Québec se discréditerait en tardant encore à l'expliquer à ses enfants». Laplante appuie donc sans réserve le cours Éthique et culture religieuse, même si son souhait le plus cher serait de voir se répandre «une spiritualité exclusivement terrestre, sans dépendance à l'égard d'une quelconque immortalité, sans caution céleste».
Encore sous le charme de «ce fabuleux enfantement» que fut la Révolution tranquille -- grâce aux Lapalme, Gérin-Lajoie et Lévesque plus qu'à Lesage --, Laplante se désole, aujourd'hui, de «ce passage d'une société vibrante à un collage de calculs mesquins et myopes». Depuis une quinzaine d'années, écrit-il, le Québec «oscille d'une droite à l'autre», et le Parti québécois, exsangue, participe à ce conformisme idéologique, cantonné dans la gestion à la petite semaine. Au fédéral, le militariste Harper inquiète encore plus qu'il ne déçoit. Dans l'histoire du Québec du dernier demi-siècle, écrit Laplante, «je ne trouve nulle part un massif de leaders politiques aussi inculte et amoral que celui d'aujourd'hui».
Ce noir constat, difficile à contester dans le domaine politique, le journaliste l'applique aussi aux médias québécois, et surtout, puisqu'il n'attend rien des autres, à Radio-Canada. Or, si on peut déplorer avec lui la disparition de la chaîne culturelle de la radio publique, on ne peut partager ses jugements sévères et gratuits sur le traitement des affaires publiques à la radio et à la télé d'État. Laplante évoque une baisse de calibre, la complaisance, l'imprécision et le manque de rigueur, sans fournir d'exemples convaincants. Il n'y a plus de Point de mire? Non, mais Une heure sur terre, l'émission d'information internationale animée par Jean-François Lépine, est probablement meilleure. Faut-il mentionner, aussi, Enquête, 24 heures en
60 minutes et le maintien de Second regard? «Depuis je ne sais plus combien d'années, avoue Laplante, la télévision n'existe plus pour moi.» Concluons qu'il ne sait pas ce qu'il manque.
«Le grand âge, conclut l'ancien éditorialiste du Devoir, constitue une zone privilégiée de liberté de pensée et d'affirmation.» Franc-tireur sa vie durant, Laplante n'a donc pas la vieillesse tiède. Les échos qu'il en tire interdisent l'indifférence.
***
Par marée descendante
Échos d'un vieillissement
Laurent Laplante
Multimondes
Québec, 2009, 148 pages
Laurent Laplante, d'hier à aujourd'hui
Franc-tireur sa vie durant, l'essayiste n'a pas la vieillesse tiède
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé