Laïcité : François Legault doit tenir bon

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« Entre le nationalisme québécois, qu’il soit «laïciste républicain» ou «conservateur» et «identitaire» (on aurait tort d’exagérer la différence entre ces deux sensibilités) et le multiculturalisme canadien, l’opposition est frontale. »

En s’engageant 48 heures après son élection dans le combat pour la laïcité, François Legault a envoyé un signal très fort à la majorité historique francophone qui l’a porté au pouvoir: désormais, les Québécois francophones pourront de nouveau dire «maîtres chez nous». Depuis près de quinze ans, ils étaient traités comme un groupe historique résiduel, presque folklorique, coupable de nombreuses phobies, et appelé à se dissoudre dans la figure sacrée de la diversité. Leur moindre velléité d’affirmation était xénophobisée. Ils peuvent de nouveau se poser à la manière de la culture de convergence autour de laquelle doit se rassembler la société québécoise. Il faut dire qu’au fil des ans, cette question en est venue à symboliser dans l’esprit public la question de l’intégration des nouveaux arrivants, pour leur rappeler ce principe essentiel: à Rome, on fait comme les Romains. Le multiculturalisme prescrit le contraire, en soutenant qu’à Rome, les Romains ne sont plus qu’une communauté parmi d’autres et qu’elle fait preuve de repli identitaire et de racisme quand elle n’accepte pas cette rétrogradation symbolique et politique. Entre le nationalisme québécois, qu’il soit «laïciste républicain» ou «conservateur» et «identitaire» (on aurait tort d’exagérer la différence entre ces deux sensibilités) et le multiculturalisme canadien, l’opposition est frontale.


Legault, on le sait, a créé une vraie surprise, et un bel enthousiasme avec cette annonce, au point où bien des souverainistes, occupés le 1er octobre au soir à pleurer l’effondrement du PQ, se disaient qu’à la fin de la semaine, ce nouveau gouvernement avait certaines vertus, et se tiendrait au moins droit pour l’identité québécoise, au point même de confronter la sacro-sainte charte des droits d’Ottawa en se montrant résolu à utiliser la clause nonobstant si nécessaire. Mais en mettant la barre haute, Legault n’a plus le droit de décevoir. C’est-à-dire qu’il n’a pas le droit de reculer, et cela, même s’il commence à venter. Legault le sait, ou doit le savoir, il aura contre lui le parti médiatique, et plus particulièrement, le diffuseur public qui ne fait même pas semblant d’être neutre en la matière. De la plus simple nouvelle à l’analyse la plus officielle, il faudra comprendre son message comme un vaste éditorial contre la Charte de la laïcité. Il la présentera comme un scandale moral, il utilisera la stratégie victimaire lacrymale en présentant ceux et celles qui refusent de faire quelque compromis que ce soit avec leur signe religieux comme de pauvres victimes. Et ainsi de suite. L’intelligentsia diversitaire s’en mêlera. Ce sera difficile mais on ne passe pas à l’histoire en se faisant flatter dans le sens du poil.


On dira aussi, et en fait, on le dit déjà, que la position gouvernementale ne repose sur aucun consensus. C’est vrai. La gauche radicale ne l’endosse pas, le libéralisme multiculturaliste non plus. Et les idéologues du montréalisme voudront encore en profiter pour soustraire la métropole à la souveraineté québécoise. Mais ce n’est pas très grave. Car en démocratie, le consensus est toujours illusoire. L’exigence du consensus est même paralysante. Le gouvernement peut toutefois avancer en ayant l’assurance d’avoir une très claire majorité avec lui, qui entend en finir à la fois avec le gouvernement des juges et avec le pouvoir exagéré de certains groupuscules idéologiques qui n’en finissent plus d’étouffer le débat public en multipliant les interdictions intellectuelles à coup d’insultes. Le parti multiculturaliste veut faire passer ceux qui le contredisent comme des ennemis de la démocratie et des droits de la personne, ce qui est aussi loufoque qu’injurieux. Il n’y a qu’une chose à faire: s’en ficher. En d’autres mots, François Legault a l’occasion de marquer l’histoire en donnant une traduction politique positive au désir de réaffirmation identitaire des Québécois francophones, qui en ont marre d’être traités comme des étrangers chez eux. Ce ne sera qu’un premier geste, qui en appellera d’autres, mais sachant ce qu’est devenu le débat autour de cette question, c’est un geste important, et même inaugural, qui permet de rompre avec l’impuissance. Il ne doit pas gaspiller cette occasion historique, et les nationalistes des autres formations politiques ne devraient pas s’interdire de le soutenir en se rappelant que la patrie est plus importante que les partis.