Laïcité et valeurs québécoises - De Maurice Duplessis à Pauline Marois

Tant il est vrai qu'on connaît mal notre histoire

À l’élection des « accommodements raisonnables », en 2007, l’Action démocratique du Québec, la défunte ADQ, vint près de former un gouvernement. Elle supplanta même un temps le PQ comme opposition officielle. Or, le Parti québécois, clament ses adversaires, mijote à son tour une charte de même nature farcie aux « valeurs québécoises ». Le Québec serait-il donc si vulnérable qu’on pourrait y gagner un scrutin en suscitant un tel enjeu ? Un peu d’histoire aidera peut-être à répondre à la question.

Le 12 mars 1937, à Québec, le premier ministre Maurice Duplessis sonne l’alarme : « Le communisme constitue dans notre province un danger qu’il faut craindre. Nous n’en avons pas peur ici dans cette Chambre, mais la nature de ses tractations, de ses menées, est telle qu’elle met en danger notre foi, et les traditions qui nous sont chères dans cette province. Depuis que le gouvernement actuel est au pouvoir, nous avons mené une lutte active et sans répit contre le communisme. »

Le gouvernement du Québec, peut-on lire aussi dans Le Devoir du lendemain, « ne permet pas aux communistes, pas plus qu’aux anarchistes » de former des compagnies ou des partis politiques. « Et tant que j’aurai un souffle de vie, s’engage le chef de l’Union nationale, je n’épargnerai rien, je ferai tout en mon pouvoir pour faire disparaître le communisme de la province de Québec. Les scènes effroyables qui se déroulent dans l’Europe ensanglantée ne nous permettent pas d’hésiter un moment. »

La même année, Maurice Duplessis fait donc passer « la loi du cadenas », qui permet, à défaut d’interdire les journaux et organisations communistes, de barricader les locaux qui pourraient les abriter. Pourtant, à l’élection qui suit, en 1939, l’Union nationale perd le pouvoir. Les libéraux d’Adélard Godbout forment le gouvernement. La campagne anticommuniste de Duplessis aura échoué sur le plan électoral. En 1940 les femmes du Québec obtiennent le droit de vote.

En 1941, il est vrai, la conscription déchire le pays entre Canadiens anglais et Canadiens français. La guerre fait alors rage en Europe et ailleurs au Proche-Orient et en Asie. Le Canada y participe. La Russie communiste fait partie des Alliés. Destructions sans précédent, exodes de populations et exterminations s’y répandent. Seuls quelques réfugiés seront acceptés au Canada. Entre-temps, au Québec, l’Union nationale n’a pas renoncé à reprendre le pouvoir.

Une élection doit avoir lieu en 1944. Le 7 novembre 1943, Maurice Duplessis prétend avoir la preuve que des libéraux et des juifs se sont entendus pour faire venir 100 000 juifs au Québec. L’hebdo de l’Union nationale, Le Temps, reproduit la lettre d’un H. L. Roscovitz à un rabbin de Montréal. Aucun député « rouge » (au sens de libéral) ne va s’y opposer, y écrit-on, tout candidat libéral favorable à cette immigration obtenant l’aide financière d’une obscure Zionist international fraternity (sic).

Même des députés libéraux, tout en dénonçant ce faux document et l’antisémitisme qui l’inspire, vont s’opposer à toute « immigration massive au Canada ». De partout au Québec affluent pétitions, résolutions municipales, déclarations d’organismes patriotiques, religieux et syndicaux. « Les journaux nationalistes se montrèrent plus modérés », écrit David Rajotte, dans le Bulletin d’histoire politique. La crise économique expliquerait, dit-on, ce refus massif, autant qu’une xénophobie viscérale.

Des députés de l’Union nationale attaquent néanmoins les libéraux en évoquant ces « révélations » sur l’immigration juive. Le 16 février 1944, à l’Assemblée législative, Maurice Duplessis mentionne la lettre en question alors que des personnalités de la communauté juive s’emploient à en réfuter les allégations. Peine perdue. Une résolution de l’Assemblée passe peu après, exigeant du cabinet libéral qu’il dévoile le dossier sur l’immigration. Le 8 août, l’Union nationale revient au pouvoir.

Depuis, ni le crucifix apposé en 1936 à l’Assemblée législative (rebaptisée depuis Assemblée nationale) ni le drapeau à la croix blanche et aux quatre fleurs de lys (adopté en 1948 sous l’Union nationale également) n’ont suscité de campagne populaire, soit pour, soit contre. Mais, en 2008, l’Assemblée rejettera la recommandation des commissaires C. Taylor et G. Bouchard de retirer le crucifix de l’Assemblée. Et nul n’envisage un débat sur le drapeau. Or, il y aurait urgence pour un débat sur les « valeurs québécoises » ?

Les dispositions de ces projets n’étant pas encore publiées, que valent ces réactions du grand public parues dans un sondage chez Québecor ? Comment une majorité de 57 % de Québécois peut-elle appuyer à l’aveuglette une «charte» des valeurs «québécoises» ? Et pourquoi plus de 60 % voudraient-ils interdire le port de signes religieux ? À l’inverse, pourquoi autant de gens d’autant de milieux se sont-ils montrés, sans plus d’information, si opposés à ces mesures ?

Personne ne va monter aux barricades au nom du principe de la séparation de l’Église et de l’État. Et surtout, à quoi une autre déclaration sur l’égalité entre les sexes pourrait-elle bien s’appliquer, alors qu’il s’agit, en l’occurrence, d’inégalité visant d’abord et avant tout des femmes. Plus souvent victimes de violence. Plus nombreuses à vivre dans la pauvreté. À devoir se faire proches aidants. Et bien sûr à être encore sous-représentées dans les institutions de l’État, à commencer par l’Assemblée nationale.

Entre-temps, d’aucuns se demanderont sans doute en quoi l’État qui exclut l’Église de la définition des valeurs peut prétendre imposer les siennes à toute une société.


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