Pour alimenter le débat sur le projet de loi 94

Laïcité & droits des femmes

Laïcité — débat québécois

Laïcité & droits des femmes
Mme Wassyla Tamzali donnait hier au Musée de la civilisation de Québec une conférence sur la laïcité et les droits des femmes. Un endroit de prédilection (musée de la CIVILISATION) pour donner une telle conférence.
La salle était comble comme lors des deux autres conférences données cette semaine à Ottawa et à Montréal par cette avocate et ex-directrice des droits des femmes à l’UNESCO (entre autres [1]).
Il y avait beaucoup de femmes, mais malheureusement très peu de jeunes femmes. Les jeunes femmes considèrent-elles la condition féminine comme étant satisfaisante et que leurs droits sont immuables ?
Laïcité et surtout droits des femmes, voilà le sujet dont nous entretenait cette Algérienne de culture musulmane. Une vision de l'intérieur alimentée par un vécu riche en actions et en réflexion
Mme Tamzali a eu sa vie profondément marquée par la religion. Sans jamais avoir porté le voile, ses fibres n'en sont pas moins marquées par le port de cet emblème de l'islam. Protégée en quelque sorte par les idées plus "modernes" véhiculées par sa famille immédiate, elle a su développer un regard critique face aux pratiques patriarcales de la religion. Son père étant marchand, c'est par ses contacts avec le monde que les marchandises et aussi «les idées d'ailleurs» envahissaient la demeure familiale.
Sur l'affiche présentant sa conférence, on pouvait lire:
« Un peu partout dans le monde, des citoyens et des citoyennes constatent que, parfois, l’exercice de la liberté religieuse se fait au détriment des droits démocratiques et surtout, des droits des femmes. »
Les droits des femmes…
Wassyla Tamzali nous a rappelé que ces droits sont reconnus à toutes les femmes, peu importe leur lieu d’origine ou leur appartenance religieuse.
On pourrait dire: reconnus "en théorie" parce qu'avec la montée religieuse des dernières années (islamisme, catholicisme, judaïsme), le patriarcat religieux se porte bien. Pensons aux nombreuses sorties du fameux pape contre l'avortement et la contraception, pensons à cette pression sociale exercée sur les femmes dans les pays dont la politique est inspirée par le religieux entre autres, l'islamisme.
Mme Tamzali nous a décrit les bouleversements que son pays vivait. 65% des femmes sont maintenant voilées. Lors de la révolution algérienne (indépendance) en 1962, beaucoup moins de femmes étaient voilées et celles-ci en guise d'affirmation enlevaient leur voile pour bien exprimer leur émancipation anticipée face à la nouvelle indépendance arrachée aux colonisateurs.
Malheureusement, la religion fut rapidement récupérée par les politiciens algériens et instrumentalisée afin de diriger en "limitant" la démocratie.
L'instrumentalisation de la religion à des fins politiques n'est pas unique à l'Algérie, on le vit ici même avec notre gouvernement réformiste Harper. Tentative de réouverture du débat sur l'avortement, coupure d'aide pour les pays pauvres demandant des moyens de contraception [2]… tout en douceur, on met les femmes aux pas avec des méthodes à saveur patriarcale.
Mme Tamzali nous a mis en garde contre l'abandon de l'égalité des hommes et des femmes et son remplacement par un concept "d'équité". L'équité n'est pas du tout l'égalité, il ne faut surtout pas se leurrer. L'équité fait appel à un concept moral tandis que l'égalité se mesure et se place facilement sur les plateaux d'une balance. Ce qui est permis aux hommes doit aussi être permis aux femmes, c'est tout simple. Par contre, l'équité consiste à évaluer "moralement" le poids de chaque "privilège". Si on permet aux femmes telle chose alors c'est "équivalent à autre chose pour les hommes. C'est "équitable" dira-t-on.
L'équité est un piège qu'on nous tend. On parle d'équité dans le projet de loi 94 et on évite le terme sans équivoque, «égalité».
Mme Tamzali nous rappelait que lors du débat concernant le communiqué final de la conférence mondiale des femmes à Beijing en 1995, des pressions exercées par l'Iran et le Vatican ont fait en sorte de changer le mot égalité pour le remplacer par "équité" dans la déclaration finale.
Article 38 de la déclaration de Pékin:
«38. En tant que gouvernements, nous adoptons le Programme d'action énoncé ci-après et nous nous engageons à le traduire dans les faits, en veillant à ce que le souci d'ÉQUITÉ entre les sexes imprègne toutes nos politiques et tous nos programmes. » [3]
Mme Tamzali n'était pas venue au Québec depuis quinze ans. Elle s'est dite estomaquée de constater les positions de certaines féministes. Elle trouve aberrant qu'on troque l'égalité des sexes pour le respect des pratiques religieuses.
Elle n'en revient tout simplement pas, soulignant qu'il y a quelques années les féministes québécoises lui tenaient de longs discours enflammés sur la féminisation des termes telle que écrivainE ou tous ces termes dont il fallait mettre un E pour le respect des femmes. Elle trouve incompréhensible qu'aujourd'hui, certaines féministes luttent pour que les femmes puissent être "différentes" selon la religion et non "égales" selon la loi.
Certaines féministes ont abandonné l'idée d'égalité entre les hommes et les femmes pour adopter le conciliant concept d'équité. Cela nous entraîne vers la hiérarchisation des droits. Le droit "religieux" ayant préséance sur le droit des personnes.
On constate avec les récents jugements de la Cour suprême que le droit de religion est perçu comme étant supérieur à celui du droit des femmes. Il suffit de convaincre le magistrat que notre pratique sexiste est la conséquence de notre croyance profondément religieuse. On peut ainsi devenir polygame, faire porter un voile à sa femme et à ses filles, décider qui elles doivent marier, etc. À la limite, on pourrait peut-être aller jusqu'à faire accepter qu'on ait battu sa femme pour son bien. Le coran permet et même suggère de battre sa femme si elle le mérite (sic).
Mme Tamzali espère que l'islam se ressaisisse et que les musulmans deviennent des musulmans «courageux», c'est-à-dire ne craignant pas de dénoncer les dérives inadmissibles que certains dirigeants islamistes ou que certains politiciens de la charia mettent en pratique.
En conclusion, tout ce débat: laïcité, pratiques religieuses, droits des femmes, est fort complexe. Cependant, on constate que la religion est dans bien des cas, instrumentalisée par les politiciens afin de parvenir à leurs fins.
Dans plusieurs endroits la religion sert à réduire la démocratie. La morale de certains, appuyée par dieu lui-même, devient alors facile à imposer.
(Les lignes qui suivent n'ont pas été dites ou suggérées par Mme Tamzali.)
On peut facilement constater que les régimes de droite du genre Harper ou Sarkozy favorise la pratique religieuse peu importe la confession. On est de grands amis du pape et on respecte tous les grands (sic) représentants religieux.
Les religions sont l'opium du peuple. Un peuple bien drogué est plus facile à manipuler. Le vatican a servi allègrement le capitalisme (et il le sert toujours), l'islam sert à unifier contre l'envahissement occidental, le judaïsme sert à promouvoir le sionisme. Les religions sont instrumentalisées et les frictions religieuses servent la lucrative industrie militaire. Nous avons peur de l'Islam et le monde arabe qui a peur de l'Occident se réfugie dans l'islam pour se protéger.
Il est bien difficile de mettre des balises "morales" aux valeurs religieuses.
Toutefois pour vivre en paix dans une société tolérante, la liberté de pensée doit garantir la liberté de religion. Et non pas l'inverse, c'est-à-dire que la liberté de religion puisse garantir la liberté de pensée.
La laïcité des services publics et des gouvernements s'impose donc pour faire cohabiter les différentes croyances.
Serge Charbonneau
Québec
P.S.: Mme Tamzali a publié plusieurs ouvrages, dont Une femme en colère et Burqa? Tous ceux et celles intéressés par la réflexion sur l’importance de la laïcité pour notre société peuvent approfondir le sujet par l’analyse pertinente et percutante de Mme Wassyla Tamzali [4].
[1] Biographie Wassyla Tamzali
http://laicitequebec.wordpress.com/wassyla-tamzali/
[2] Le Canada contre l’avortement dans les pays en développement
http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article3243
Santé maternelle et infantile au G8 : les conservateurs cachent mal leur idéologie de droite
http://blogue.blocquebecois.org/2010/03/23/sante-maternelle-et-infantile-au-g8-les-conservateurs-cachent-mal-leur-ideologie-de-droite/
«La porte-parole du Bloc Québécois en matière de condition féminine et députée de Laval, Nicole Demers, déplore que le gouvernement Harper exclue l’avortement et la contraception des mesures destinées à venir en aide aux femmes dans les pays les plus pauvres de la planète.»
http://www.ameriquebec.net/actualites/2010/03/07/avortement-contraception-et-le-gouvernement-harper-3128.qc
[3] Déclaration de Pékin
(4e conférence mondiale sur les femmes)
http://www.aidh.org/Femme/pekin.htm
[4] Ouvrages de Mme Wassyla Tamzali:
Burqa ?
http://www.chevre-feuille.fr/ouvrages-a-paraitre/burqa
Une femme en colère
http://sisyphe.org/spip.php?article3475
Une éducation algérienne
http://www.evene.fr/livres/livre/wassyla-tamzali-une-education-algerienne-29393.php
Articles de Mme Tamzali:
Le voile en Algérie est un réflexe à la violence de l’espace public, entretien avec Wassyla Tamzali par Hafida Ameyar, publié sur Liberte-algerie.com

http://www.cciel.ca/le-voile-en-algerie-est-un-reflexe-a-la-violence-de-l%E2%80%99espace-public-entretien-avec-wassyla-tamzali-par-hafida-ameyar-publie-sur-liberte-algerie-com/
La violence de la nation, la première violence contre les femmes
http://sisyphe.org/spip.php?article3448
Le voile – Le courage de dire non !
http://sisyphe.org/spip.php?article675


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    22 octobre 2010

    Merci, Monsieur Charbonneau pour cet intéressant résumé ainsi que pour vos réflexions.
    Il nous faut lutter contre le principe de « laïcité ouverte ». Il me semble c'est en maintenant une barrière très étanche entre les affaires de l'État et celles de l'Église (peu importe laquelle) que l'État respecte le mieux la liberté de conscience. Dans la sphère publique, nous devons tous être égaux : athées comme croyants, hommes ou femmes. La pratique et les symboles religieux doivent relever de la sphère privée.
    Quant aux femmes, seraient-elles plus malheureuses si elles devaient uniquement porter les vêtements ou objets propres à leur religion chez elles ou dans leur lieu de culte ? Je crois que non; au contraire elles s'en porteraient probablement mieux à plus ou moins longue échéance. Si ces symboles sont si libérateurs et si bien, pourquoi les hommes ne s'empressent-ils pas de les porter ?..