Lafarge en Syrie: le rôle de la diplomatie française en question

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L'empire Desmarais dans de sales draps

L'enquête sur le groupe cimentier Lafarge, soupçonné d'avoir financé l'organisation État islamique pour rester en Syrie, peut-elle impliquer la diplomatie française ? Un ex-responsable du cimentier affirme que l'ambassadeur de France "était au courant du racket", ce que dément le diplomate.


Dans cette affaire hors norme, où pour la première fois de grands patrons français sont soupçonnés d'avoir financé le terrorisme, Lafarge est suspecté d'avoir versé entre 2011 et 2015 plus de 12 millions d'euros à des groupes armés en Syrie, dont l'État islamique (EI), pour garder ouverte sa cimenterie de Jalabiya (nord), malgré la guerre.


Certains responsables du groupe, dont l'ex-directeur général adjoint Christian Herrault, ont reconnu avoir été soumis à "une économie de racket".



Que savaient les autorités françaises ? "Ont-elles poussé Lafarge à se maintenir pour préparer l'après Bachar el-Assad, quitte à mettre en danger les salariés syriens, restés seuls sur le site à partir de 2012 ? Des diplomates étaient-ils au courant de versements délictueux ? Si c'est le cas, ont-ils tardé à tirer la sonnette d'alarme ?", détaille une source proche du dossier.


Le 9 janvier, une confrontation a été organisée entre Christian Herrault et l'ex-ambassadeur de France en Syrie, Eric Chevallier, a appris l'AFP de source proche de l'enquête. Arrivé en 2009 à Damas, ce dernier a fermé l'ambassade en mars 2012. Il a ensuite été ambassadeur "pour la Syrie", basé à Paris, jusqu'à l'été 2014.


M. Chevallier "était au courant du racket" et disait "+vous devriez rester, les troubles ne vont pas durer+", a affirmé M. Herrault devant les magistrats, assurant avoir rencontré plusieurs fois l'ambassadeur. Ce dernier a rétorqué ne "pas avoir de souvenir de ces rencontres".


Les investigations ont toutefois mis en lumière des réunions entre Lafarge et l'ambassade, notamment une "réunion MAE (ministère des affaires étrangères, ndlr) Syrie" le 29 janvier 2013 à Paris.


Le directeur de la cimenterie de Jalabiya, Bruno Pescheux, a aussi évoqué "des contacts" avec l'ambassade tandis que le directeur de la sûreté de Lafarge, Jean-Claude Veillard, a relaté avoir fait remonter des informations sur la situation dans la région aux services de renseignement français.


Autre élément troublant pour les enquêteurs, une note de M. Herrault sur la situation en Syrie de 2012 à 2015. "Nous avons toujours été encouragés à rester (et) la seule préoccupation exprimée (par les autorités françaises, ndlr) était de ne rien faire qui puisse +irriter+ les Turcs", écrit-il.


"Nous tentions de dire que les Turcs étaient les alliés objectifs sur le terrain des islamistes les plus radicaux qui sont devenus Daesh (acronyme arabe de l'EI), mais cela n'était pas audible à Paris, au moins à l'époque", ajoute-t-il.


"Un mensonge total" pour M. Chevallier qui relève que le ministère a émis dès 2012 des consignes pour les particuliers et les entreprises de quitter la Syrie.



'Pas de consigne écrite'


"Elles ne s'appliquaient qu'aux collaborateurs français, d'ailleurs rapatriés en 2012. Jamais il n'a été demandé de fermer l'usine. Sinon, cela aurait été fait", affirme Solange Doumic, avocate de Christian Herrault.


Certains courriers diplomatiques auraient-ils dû alerter au plus haut niveau du ministère des affaires étrangères? Ainsi cette note de septembre 2014 d'un conseiller qui évoque le "jeu d'équilibriste entre régime de Damas, forces kurdes et État islamique" auquel est soumis Lafarge, tout en relevant que le patron de la cimenterie indique "ne rien verser" à l'EI.


"Démontrer une éventuelle implication des autorités françaises est difficile car il n'y a jamais eu de consigne écrite. Mais il faut que Paris assume les positions prises à l'époque", estime Me Doumic.


L'association Sherpa, partie civile dans ce dossier, a demandé l'audition de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2016. "On nous dit que Lafarge n'a pas été évoqué avec lui. Il est étonnant qu'il ne se soit pas intéressé à la seule entreprise française dans ce pays stratégique", relève l'avocate.


Le quai d'Orsay n'est "aucunement mis en cause" dans cette enquête qui a conduit à la mise en examen de six responsables du cimentier, dont son ex-patron Bruno Lafont, souligne une source diplomatique. "Aucune forme de collusion avec des groupes terroristes n'est admise, en Syrie comme partout dans le monde", ajoute-t-elle.