La violence symbolique

Tribune libre

Samedi 24 janvier 2015, La Presse publiait un dossier sur l’absence des artistes issus des communautés culturelles dans le milieu théâtral et des médias québécois.
Membres à la haute direction de l’Union des Artistes et de l’École nationale de Théâtre, acteurs de diverses origines, scénaristes et producteurs de téléséries de Radio-Canada ont été interpellés, à tour de rôle, sur la question.

La divergence des opinions soulève une question: Qui est responsable du capital culturel québécois?

Après 40 ans, nous tentons encore de comprendre pourquoi il n’y a pas assez de visages, d’accents, de races à la télévision et au théâtre. Personne n’essaye de repérer les responsables de l’exclusion de cette cohorte d’artistes. Le désengagement des producteurs, réalisateurs, directeurs artistiques, metteurs en scène, scénaristes, dramaturges, membres de jurys est ahurissant. Plutôt qu’être à la fine pointe des tendances sociales, ils continuent d’entretenir ce gâchis socioculturel en faisant la sourde oreille, comme si leurs choix esthétiques n’avaient pas le devoir citoyen de refléter la diversité. Au cours des ans, il y a eu publications de bottins, auditions, subventions, créations d’organismes, jurys, prix pour assurer la visibilité des artistes ethniques. Tant d’argent investi, ôté aux contribuables, pour arriver à quoi? Dans le Québec métropolitain actuel, il suffit d’aller dans une épicerie, dans les écoles ou sur la rue pour être entourés d’une symphonie d’accents et de races; notre réalité baigne dans cette multiplicité culturelle que plusieurs domaines professionnels ont incorporée, tandis que les médias et les théâtres la boycottent.

L’infime présence d’artistes ethniques sur les écrans et sur les scènes démontre qu’il y a un décalage entre notre société qui a su s’ajuster aux changements démographiques et un milieu artistique conservateur. En 2013 on comptait 709 159 immigrés, soit 11,5 % de la population québécoise. Le nombre d’artistes ethniques qui travaille dans les médias et au théâtre n’est pas proportionnel à ces données, car moins que 5% travaille dans ces milieux. Cela engendre un clivage: d’une part, ces artistes ne sont pas considérés comme des professionnels; d’autre part, ils ne sont pas assez représentatifs de notre société au point d’obtenir plus de rôles. Ces deux positions sont discriminatoires et, surtout, pas vraies: les scènes et les écrans présentent un portrait social auquel 11% de néo-Québécois ne s’identifie pas et les autres Québécois qui vivent en harmonie dans la pluralité culturelle se trouvent mal servis.

En revanche, l’inclusion des artistes des communautés culturelles demeure une exception parce que les créateurs ne sont pas inspirés par des enjeux interculturels. La productrice Fabienne Larouche, interviewée par La Presse, affirme qu’on ne peut pas imposer de barèmes de création: « Un auteur est un auteur et il écrit ce qu’il veut». En effet, l’abolition de la liberté d’expression nous détournerait de la démocratie. Cependant, il faudrait se demander d’où vient ce manque d’urgence. L’allégation que seul le gout personnel de l’artiste justifie les contenus est de convenance. Les théâtres subventionnés et les réseaux de télévision publique ont la responsabilité de représenter toute la population. Autant plus que les artistes, ont toujours été les précurseurs des mouvements sociaux, ils anticipent les tendances avant même que la société les ait comprises. Le Québec d’aujourd’hui est une société plurielle. Pourtant, ni les médias ni les théâtres ne semblent avoir assimilé cette évidence.

Cette résistance à l’accueil de l’altérité n’est pas le fruit du hasard. Freud et Jung pensaient que tout comportement humain a sa raison d’être. Même si les phénomènes d’amnésie ou d’actes manqués sont inconscients, leurs enjeux sont à l’œuvre. Les créateurs n’échappent pas à cette dynamique psychique. Quelle intention se cache derrière l’oubli anodin d’inclure les artistes d’origine ethnique dans un projet de création? En autocélébrant une création qui refuse d’évoluer avec sa société, ils nous envoient un message réactionnaire et immobiliste. Leur désintérêt aiguillonne les inégalités et fomente le statu quo d’un panorama tristement monoculturel. Pierre Bordieu considérait que le statut d’un individu dépend de son capital économique (salaire, biens matériels), mais aussi du capital culturel (ressources culturelles) et du capital social (relations avec son réseau social). Bien que le capital culturel soit immatériel, son impact sur les mentalités conditionne le statut de la personne. Quand la classe dominante impose des choix péremptoires sans que leur légitimité soit remise en question, il y a violence symbolique.

Les agents du capital culturel adoptent couramment cette stratégie afin de sauvegarder leur pouvoir. Ainsi, les messages subliminaux de nos médias et de nos théâtres semblent prouver qu’il n’y a qu’une identité qui l’emporte sur les autres. Cette attitude ne favorise pas une réalité multiculturelle, car, il faudrait que des identités diverses soient présentes même si elles n’ont pas de relations. Elle ne suggère non plus une réalité transculturelle parce qu’il n’y a pas eu fusion de deux cultures pour donner vie à une tierce-culture métissée. Elle écarte également une réalité interculturelle puisque les artistes ethniques ne sont pas bienvenus à la télé ou aux théâtres donc, toute possibilité de dialogue est piégée à priori.

En fait, l’indifférence de ces ambassadeurs du capital culturel nous enfonce dans une réalité monoculturelle. Pier Paolo Pasolini, en s’inquiétant du danger de la standardisation, accusait l’unilatéralité des messages médiatiques qui visaient à homologuer les gens à un modèle de pensée unique. Manifestement, le message que les écrans et les scènes nous renvoient renforce l’idée que tous les citoyens du Québec sont blancs, sans accent et québécois pure laine. Tant pis pour ceux qui ne s’y conforment pas, car pour les médias et les théâtres, ils n’existent pas. C’est ainsi que les artistes ethniques finiront par être appelés «les artistes invisibles des communautés visibles».


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    3 avril 2015

    Jamais rien lu d'aussi insipide de ma vie sur Vigile. Votre diatribe marxisante est tout à fait ridicule. Freud, Jung ? Pour placer vos propres pensées racistes dans la tête des créateurs québécois afin de les culpabiliser, pfff!