La tarte aux pommes

Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»

J'ai la fâcheuse habitude de ne pas commenter des rapports que je n'ai pas lus. Lorsque vous lirez ces lignes, chanceux que vous êtes, vous aurez eu accès au VRAI rapport Bouchard-Taylor. Mais j'avoue que les longs extraits de l'ébauche finale qu'on retrouve sur le site de The Gazette, s'ils sont véridiques et reflètent le rapport final, ont de quoi à inquiéter.
La première crainte est qu'une fois toutes les nuances comptées, le rapport nous serve une grosse pointe de tarte aux pommes sur les vertus du pluralisme à tout crin, le tout nappé d'un généreux coulis de bonne vieille culpabilisation à peine voilée des francophones en les appelant à une "ouverture" qu'ils pratiquent pourtant déjà amplement. Pas besoin de vous dire à quel point j'espère me tromper là-dessus! Tout comme je souhaite ne pas y voir cette espèce de relativisme mièvre qu'on lit dans l'ébauche voulant que les "inquiétudes" des uns valent celles des autres ou que tout est de la faute de l'"insécurité" atavique des francophones face à l'"Autre".
Voilà donc plutôt ce que j'espère y voir en échange des 5 millions $ de fonds publics qu'aura coûté cette commission, dont près de 400 000 $ versés à chaque coprésident. 1) Une absence de blâme sur les francophones pour leur présumée fermeture envers les minorités. 2) L'urgence de renforcer la francisation des nouveaux arrivants et des lieux de travail plutôt que d'encourager tout le monde à apprendre l'anglais pour s'"ouvrir" au monde. 3) L'affirmation claire que la question du religieux dans l'espace public est un débat transfrontière n'ayant rien de spécifique au Québec. 4) Des balises nouvelles quant à cette place du religieux dans l'espace public. 5) Un refus de banaliser la question de l'égalité des femmes dans l'expression plus orthodoxe de certaines religions chrétiennes ou non chrétiennes. 6) La reconnaissance de l'impact du statut du Québec dans sa capacité ou non de provoquer l'adhésion des immigrants de toutes origines à une véritable identité nationale de langue française. Bref, qu'on refuse d'esquiver le politique. Que l'on reconnaisse que politiquement, la "majorité" francophone, toutes origines confondues, est celle d'une province, ce qui l'oblige à protéger aussi ses propres droits parce qu'elle est en fait la minorité d'un pays gouverné par le bilinguisme et le multiculturalisme officiels. Pas besoin d'être Einstein pour comprendre ça. Mais en ces temps où l'on tente d'enterrer la question nationale pour de bon, il serait peut-être important qu'on se redise certaines choses.
PAS DE NOUVEAU CATECHISME, S'IL VOUS PLAIT!
Espérons aussi que Gérard Bouchard et Charles Taylor nous épargneront leur nouveau "catéchisme" qu'on lit dans l'ébauche. Surtout cette référence répétée aux Québécois "canadiens-français" réduits dans ce texte à un groupe ETHNIQUE, mais majoritaire. Non, merci. Don Cherry peut attendre. Je ne redeviendrai jamais une French Canadian.
J'avoue, à tort ou à raison, que mes attentes face à cette commission sont plutôt limitées. Étant donné la manière dont l'exercice a été lancé, il est aussi possible que le rapport finisse par dire tout et son contraire. Prenons le mandat tel que compris par les coprésidents: "(...) voir dans le débat sur les accommodements raisonnables le symptôme d'un problème plus fondamental concernant le modèle d'intégration socioculturelle institué au Québec depuis les années 1970. Cette perspective invite à revenir sur l'interculturalisme, l'immigration, la laïcité et la thématique de l'identité québécoise." Grosse commande. Trop grosse peut-être.
Rappelons aussi la motivation surtout partisane de Jean Charest, qui a créé la commission B&T pour court-circuiter Mario Dumont. Sachant où loge M. Charest sur les questions d'intégration - du genre "il est urgent de ne rien faire" -, il a certes nommé deux coprésidents respectés, mais aussi connus pour leur penchant vers un pluralisme vertueux.
Ratoureux, il a réuni un souverainiste et un fédéraliste admiratif du modèle canadien. L'espoir étant qu'ils se neutralisent l'un l'autre et finissent par évacuer la question du statut politique du Québec et de la compétition ouverte que livre auprès des immigrants une identité canadienne majoritairement anglophone.
Bref, lorsqu'on combine les ingrédients d'une sauce à spaghetti, ce n'est pas pour servir du couscous! Il n'y a rien comme un tandem souverainiste-fédéraliste pour dire que tout est faisable, que le Québec soit une province, un pays ou qu'il ait un statut particulier...
À LA DÉCHIQUETEUSE?
Souhaitons aussi que le rapport n'enverra pas le message qu'on lit dans l'ébauche à l'effet qu'il est de mise de soupçonner les francophones d'ignorance face aux minorités et qu'on aurait besoin de mieux les "éduquer" à la diversité. Un tel message provenant de deux intellectuels respectés aurait sans contredit un impact négatif sur les relations interculturelles.
Je vous avouerai aussi qu'en voyant la plupart des audiences publiques, mes craintes demeurent. Prenez ce moment, à Montréal. Un homme ayant immigré ici il y a plus de 30 ans s'est levé pour se plaindre, en anglais, qu'il avait parfois eu des difficultés à trouver du travail parce qu'il ne parlait pas français. M. Taylor est resté muet. Quant à M. Bouchard, j'aurais cru qu'après avoir sermonné plusieurs francophones et accusé certains de racisme ou d'antisémitisme, il aurait au moins posé une question. Du genre: "Pourriez-vous nous éclairer quant aux raisons qui ont fait qu'en plus de 30 ans, vous avez appris l'anglais mais pas le français? Était-ce par manque de ressources, de volonté ou les deux?" Mais non. M. Bouchard l'a écouté patiemment et l'a remercié sans dire un mot.
Franchement, il est à souhaiter que le rapport final ne reprenne pas cette espèce de culpabilisation constante des francophones qu'on lit dans l'ébauche quant aux relations interculturelles au Québec, ni leur réduction surréaliste et inacceptable à un groupe ethnique canadien-français! Car si tel était le cas, ce rapport n'aurait d'autre vie que celle qu'il mériterait dans les lames d'une déchiqueteuse.


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