Penser le Québec

La sortie de la cage

La période du « sursaut » comme libération de l’avenir

Penser le Québec - Dominic Desroches

« La source de la peur est dans l'avenir,

et qui est libéré de l'avenir n'a rien à craindre »

Milan KUNDERA
***
Il y a parfois de grandes journées, comme la journée d’anniversaire ou la
journée mettant fin à une longue convalescence. Ces grandes journées ont en
commun d’être des journées qui donnent le goût de vivre. Quand on voit le
soleil se lever et qu’il vient réchauffer tout autour, il y a de quoi se
réjouir. Quand on voit le sourire d’un enfant, l’on doit se dire que
l’avenir existe et qu’il se trouve tout condensé dans ce visage. De même
manière, si le réveil se produit au bon moment, l’homme est toujours
capable de sortir des affres de l’angoisse et de choisir la vie, l’avenir.
Car qui choisit le réveil vient de se libérer l’avenir.
Ce texte entend mettre en valeur la période du « sursaut » succédant à
l’instant de vertige devant le choix de l’avenir et l’épreuve de l’abandon
dans l’oubli de soi. On le sait désormais : le « sursaut » est le moment où
l’individu ou la société à laquelle il appartient accepte de voir la
réalité en face. Loin du déni, de la mode de l’aérien et de la pensée
magique, le sursaut est la rencontre obligée avec soi-même. C’est le moment
où l’on quitte le rêve, l’étourdissement et l’abandon dans la sortie de
soi. Car quand on accepte enfin la réalité des causes et des effets, on
peut reprendre contact avec le présent et retrouver la capacité de se
forger un avenir. Confrontés à la cage ou à la mer, moutons de Panurge, il
convient de sursauter…
La période du dégel, le réveil et la possibilité du saut
Une société axée sur le plaisir et le jeu devient très vulnérable parce
qu’elle ne réussit pas à prendre soin d’elle-même. Individualiste,
hédoniste, elle a peur des enfants et, par-là, elle se renie elle-même. Par
contre, si elle accepte le défi et fait le choix de sortir de sa cage, elle
connaîtra le dégel et l’heureuse période du réveil. Le dégel, c’est la
sensation de chaleur résultant du retour de l’énergie. Cette chaleur n’est
pas étrangère à soi-même, elle est dans celui qui décide de vivre. La
chaleur se révèle dans la passion. Quant au réveil, il correspond à la fin
des discussions stériles, au renoncement volontaire à l’idéal esthétique
d’une jeunesse infinie, comme à la remise en question des vacances dans le
sud. Le réveil, c’est donc la rencontre avec la réalité dans l’obligation
d’être là demain. Contre la fuite dans l’abandon, le réveil mène à la
possibilité du saut.
La fierté et la confiance dans les enfants : la continuité
La sortie de soi ne peut se réaliser que dans un saut, non pas un salto
mortale
dans la religion, ni un pari dans la science, mais un saut dans le
choix des enfants. En effet, ce saut, s’il est bien réalisé, peut conduire
à une « construction » rendant possible la fierté. Qu’est-ce à dire ?
Pour bien comprendre l’idée de fierté, il faut se demander de quoi les
parents, nos parents et nous-mêmes, sont habituellement les plus fiers.
Sont-ils fiers de leurs voitures ? Sommes-nous fiers de nos maisons ? De nos
carrières ? De nos haies d’épinettes ? Non, les adultes sont le plus
souvent fiers de leurs enfants ! Car ce qui assure la fierté, c’est
l’accomplissement de soi dans une continuité, dans une descendance. Les
enfants, qui ne sont pas des fardeaux mais des dons d’avenir, donnent un
élan et une continuité à la société. Ils la rendent plus responsable
d’elle-même.
Quand la vie nous donne l’occasion d’élever des enfants, on le sait par
l’expérience qu’enseigne la morale, nous devons accepter de devenir
adultes, matures et responsables. Nous ne nous limitons plus dès lors à
nous-mêmes, mais nous sortons et vivons pleinement dans l’extériorité. On
commence à donner aux autres et le temps, à ce moment comme par hasard,
passe de plus en plus vite car nous sommes occupés à donner aux plus
petits, c’est-à-dire aux autres. La maison exige des soins comme ses
habitants. Face à des enfants, on fait davantage attention à ce que l’on
fait, à ce que l’on dit, et l’on prend la nuit pour se reposer efficacement
parce que le matin revient toujours trop vite…
Que fait-on avec des enfants ?
Quand la période de réveil a donné lieu au « sursaut » et que l’on
cherche résolument à bondir hors de la cage, on veut posséder assez afin
que nos enfants ne manquent de rien. Pour cela, on cesse de jouer et l’on
prend le chemin du travail. On travaille pour nos enfants et aussi pour
nous-mêmes. Or, que fait-on avec nos enfants ? Réponse : on insiste pour
qu’ils aillent à l’école afin qu’ils y apprennent les sciences, la
littérature et l’histoire. On veut aussi que nos enfants parlent clairement
la langue de leurs parents et qu’ils se comportent correctement, à la
maison comme dans la société. Bref, on travaille à leur liberté qui est en
même temps la nôtre.
Dominic DESROCHES
Département de philosophie / Collège Ahuntsic
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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