Conférence au Z Media Institute - L’empire des États-Unis, le Moyen-Orient et le monde

La sauvagerie de l’impérialisme états-unien – 3

Géopolitique — Proche-Orient

[->] Dans[ les 1ère->34948] et 2e parties de La Sauvagerie de l’impérialisme états-unien Chomsky parle du rôle global des États-Unis, du Moyen-Orient, particulièrement de l’Iran et de la Palestine. Il finissait en évoquant la possibilité, suite à une pression mondiale, d’un changement de la politique des États-Unis et de leur éventuel ralliement à la solution à deux États, Israël et la Palestine.
Voici la transcription de la première partie de son échange avec les étudiants présents au Z Media Institute 2010.
Question : Pouvez-vous parler du rôle de l’Égypte dans le siège de Gaza et du mur d’acier qui est en train d’être construit ?
Noam Chomsky : Vous avez raison de signaler que l’Égypte a été complice d’Israël dans le siège de Gaza. En fait le Hamas fait plus peur à l’Égypte qu’à Israël. L’Égypte est une dictature brutale, fermement soutenue par le président Obama, lequel a déclaré tout à fait clairement qu’il ne le critiquerait pas, parce que l’Égypte nous aide à maintenir la stabilité au Moyen-Orient. C’est pourquoi au Moyen-Orient personne disposant d’un cerveau en état de marche ne prend Obama au sérieux lorsqu’il parle des droits humains.
L’Égypte est très inquiète parce que si jamais il y avait un scrutin un tout petit peu démocratique, il existe une force populaire en Égypte qui pourrait s’avérer être majoritaire – les Frères musulmans. Et les États-Unis soutiennent l’Égypte dans cette attitude. Le Hamas est une extension des Frères musulmans et l’Égypte était horrifiée par leur victoire populaire en Palestine. L’Égypte comprend aussi la politique des États-Unis et d’Israël qui est assez claire. Les États-Unis et Israël veulent que l’Égypte récupère Gaza, région qui a été presque complètement détruite par les Israéliens. Les Israéliens n’en veulent pas, les États-Unis n’en veulent pas. Ils ne peuvent pas tuer tout le monde, comme c’était possible au XIXe siècle, parce que aujourd’hui ils auraient des comptes à rendre. Donc l’idée est de maintenir la population de Gaza en état de survie, d’abandonner toute responsabilité, et de les rejeter vers l’Égypte, laquelle n’en veut pas. C’est pour cette raison, et parce qu’ils sont gouvernés par une branche des Frères musulmans, que l’Égypte à collaboré au siège de Gaza.
Ils construisent aussi un mur – apparemment avec l’aide technique des États-Unis – pour les boucler complètement, pour radicaliser le siège, mais aussi pour dissimuler le fait que les États-Unis veulent refiler Gaza à l’Égypte, laquelle n’en veut pas.
Question : Je me suis intéressé aux motivations israéliennes lors de l’attaque contre Gaza. Norman Finkelstein a dit qu’il s’agissait de restaurer la capacité de réaction israélienne. Je voudrais savoir si vous pensez aussi qu’Israël doit subir une défaite militaire, peut-être face au Hezbollah.
Noam Chomsky : Je pense que Finkelstein dit vrai. Israël a subi une défaite en 2006 et ils ont besoin de maintenir l’idée de leur invincibilité après été avoir si fortement blessés. Ils ont peut-être pensé qu’en frappant Gaza ils pourraient restaurer l’idée de leur invincibilité, mais je ne sais pas exactement qui ils croyaient impressionner. Montrer qu’une armée moderne techniquement avancée peut détruire une population sans défense qui ne dispose même pas d’un pistolet pour répondre ce n’est pas une démonstration très impressionnante de capacité de réaction.
Ils savent qu’ils peuvent arrêter les attaques de roquettes, mais il faudrait accepter un accord avec le Hamas et donc offrir quelque légitimité au gouvernement élu de Palestine. Et ils ne veulent pas offrir la moindre légitimité. Cela est inacceptable. En fait la plupart des membres du gouvernement ont été déjà été emprisonnés par Israël. Ils veulent détruire cette force indépendante.
Une défaite militaire ? J’étais récemment au Liban et j’ai parlé avec certains des correspondants occidentaux les plus importants. Certains y sont depuis plusieurs décennies, ils connaissent donc très bien la région. Parmi eux celui qui connaît le mieux la région pense qu’une guerre viendra. En fait ils pensent qu’aussi bien Israël que le Hezbollah veulent la guerre. Israël veut la guerre pour pouvoir montrer sa capacité à détruire le Liban – sans connaître la défaite comme la fois passée. Et si Israël, avec le soutien des États-Unis, décide d’attaquer l’Iran, comme cela pourrait arriver, ils doivent détruire le Liban avant, parce que au Liban il existe une force de réaction – le Hezbollah.
Ils pourraient donc attaquer, il pourrait y avoir une guerre, et les deux se détruiront mutuellement. Cela pourrait arriver sans tarder. Les États ne se conduisent pas nécessairement de façon rationnelle, et Israël devient très irrationnel, paranoïaque, et ultranationaliste. Prenez le cas de l’attaque contre la flotille. C’est un acte complètement irrationnel. Ils pouvaient neutraliser les bateaux s’ils l’avaient voulu. Attaquer un bateau à pavillon turc et tuer des Turcs c’est à peu près la chose la plus folle qu’ils puissent faire d’un point de vue stratégique. La Turquie est depuis 1958 leur allié de prédilection dans la région. Attaquer votre meilleur allié dans la région sans aucune raison est complètement fou. Et ce n’est pas la première fois. Un peu auparavant Israël avait délibérément humilié l’ambassadeur turc d’une façon qui n’a pas, je crois, de précédent dans l’histoire de la diplomatie. Tout cela est plutôt irrationnel.
Les Israéliens disent que l’Iran menace leur existence. Mais, selon les analyses stratégiques des États-Unis, cette menace c’est le fait que l’Iran n’obéisse pas aux ordres tout en représentant un contrepoids dans la région face à Israël. Mais si les Israéliens se montent la tête tout seuls et pensent que l’Iran menace leur existence tout peut arriver.
Ce n’est pas que l’Iran soit très rationnel. Un conflit est peut-être en préparation dans la région, et cela fait vraiment peur quand on y pense. Comme vous le savez probablement l’Iran a annoncé qu’il tente d’envoyer des bateaux pour briser le siège de Gaza. Si cela se produit, c’est fini, les jeux sont faits, Israël pourrait se mettre en furie. C’est un État très puissant qui dispose de centaines d’armes nucléaires. Ils pourraient décider de détruire la région et de se détruire eux-mêmes par la même occasion, qui sait. C’est effrayant.
En Israël il existe une doctrine qui remonte aux années 1950. Ils l’appellent parfois le complexe de Samson, c’est le nom du plus honoré et du plus respecté des kamikazes du monde. Samson est un fameux héros qui a tué beaucoup de Philistins. On raconte que Dalila lui a coupé les cheveux et il a perdu sa puissance. Les Philistins l’ont capturé et l’ont rendu aveugle. Mais ses cheveux ont repoussé et il a retrouvé sa puissance. Samson était dans le temple assiégé par des milliers de Philistins lorsqu’il a fait tomber les murs du temple ; il s’est suicidé en tuant plus de Philistins au moment de sa mort qu’il n’en avait tués au cours de sa vie. Le complexe de Samson signifie que si le monde pousse Israël trop loin ils deviendront fous et ils feront tomber les murs du temple. Bien entendu ils mourront aussi. Cette vision est un sentiment national qui est en progression actuellement. Et ce n’est pas une blague. Ça pourrait arriver.
Question : Pouvez-vous parler de la volonté de Netanyahou d’éliminer l’opposition de gauche ?
Noam Chomsky : Ce n’est pas seulement Netanyhaou. On accuse Netanyahou, mais c’est un sentiment national ; l’opinion est en train de se déplacer très loin vers la droite ultra-nationaliste. Regardez les sondages. Le sentiment national est paranoïaque. On pense qu’Israël doit combattre toute tentative de remettre en question la légitimité et la magnificence de tout ce qu’ils font. C’est un changement dramatique qui est survenu dans le pays ces dernières années.
Question : Lorsque la communauté internationale demande une enquête indépendante, qui sont les enquêteurs et quelle est leur légitimité ?
Noam Chomsky : La presse ne parle presque pas de tout ce qui se passe. Il y a quelques jours il y a eu une réunion de ce qui est appelé la communauté internationale – ce qui signifie les États-Unis et quiconque est d’accord avec nous. Le monde entier peut bien être en désaccord, mais alors il s’agit de ceux qui sont contre la communauté internationale. Je ne plaisante pas. Prenez l’idée selon laquelle la communauté internationale demande à l’Iran de cesser d’enrichir de l’uranium. Vous lisez ça partout. Qu’est-ce que c’est que cette communauté internationale au juste ? Ce n’est pas les Pays non alignés, qui représentent la majorité du monde. Ils soutiennent complètement le droit de l’Iran à enrichir de l’uranium. Ils ne peuvent donc pas faire partie de la communauté internationale. Il y a quelques années y compris les citoyens états-uniens étaient d’accord sur ce point. Donc de la même façon la majorité des États-uniens n’appartiennent pas à la communauté internationale parce que la communauté internationale c’est Washington et ses comparses.
On a pu avoir une belle illustration de cela ces dernières semaines. La Turquie et le Brésil sont parvenus à un accord avec l’Iran, accord assez semblable à ce que les États-Unis avaient proposé : on s’arrangerait pour que l’uranium soit enrichi à l’extérieur de l’Iran puis il leur serait remis pour être utilisé à des fins médicales. Il se trouve qu’Obama avait écrit une lettre à Lula, alors président du Brésil, qui défendait un accord similaire, probablement parce que Obama pensait que l’Iran ne serait jamais d’accord et qu’il pourrait alors parler de la lettre et dire, « eh bien, nous avons essayé, ils ne veulent pas ». Mais l’Iran a donné son accord. Alors les États-Unis ont immédiatement réagi en faisant passer une résolution au conseil de sécurité de l’ONU, une résolution si modérée que la Russie et la Chine ont instantanément donné leur accord. Si vous lisez les termes de la résolution – laquelle a été reçue positivement ici, on s’en est félicité –, si vous regardez les détails, elle n’a guère de contenu. Son seul résultat c’est que la Chine accédera encore plus facilement aux ressources de l’Iran. La Chine est donc très contente. La Russie aussi est satisfaite parce que la résolution leur permet de vendre toutes les armes qu’ils veulent à l’Iran.
Mais les États-Unis devaient imposer la résolution pour que le monde sache qui est le boss. Ce n’est pas le Brésil, ce n’est pas la Turquie. La Turquie est la principale puissance régionale, avec une grande frontière avec l’Iran. Le rôle de boss ne peut donc pas leur revenir. Le Brésil est le pays le plus important de l’hémisphère sud, le plus respecté, ils ne peuvent donc pas être les boss. En fait, si vous lisez le New York Times, les titres disent qu’il y a eu « une tâche sur le bilan de Lula », parce qu’il s’est dressé devant les États-Unis. Aujourd’hui il existe un rapport citant un officiel qui dit que « nous avons dû faire quelque chose pour que la Turquie reste à sa place ». C’est un peu comme la mafia. Vous devez vous assurer que personne n’interfère votre droit de tout contrôler. C’est pour cela que les États-Unis ont imposé une résolution presque vide de sens, pour neutraliser une initiative de la Turquie et du Brésil qui aurait pu apporter quelques progrès.
La communauté internationale c’est aussi, je crois, la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA). Elle comprend presque tous les États d’Asie, la Chine, l’Inde, l’Iran, Israël, etc. Ils ont eu une rencontre sur les questions de sécurité et ils ont soutenu l’idée d’une enquête internationale dans l’affaire de l’attaque israélienne contre la flotille. Les règles de la CICA imposent cependant le consensus. Bien entendu Israël n’était pas d’accord, donc le vote était 22-1, ou quelque chose comme ça. Le groupe a alors émis une autre déclaration demandant une enquête internationale. Obama a alors immédiatement bloqué la résulution du conseil de sécurité qui demandait une enquête indépendante et la CICA a été boycottée dans la médias. Tout cela n’est donc jamais arrivé, mais c’est bien arrivé.
La théorie des relations internationales n’est pas très élaborée. Il y a quelques principes. Le plus important c’est probablement le principe mafieux. Le parrain n’accepte pas la désobéissance. Un petit commerçant qui ne paie pas l’argent de la protection en subira les conséquences. Vous n’avez peut-être même pas besoin de l’argent, mais si un petit commerçant peut échapper au paiement un autre fera la même chose et le système va vite se décomposer. Donc vous n’envoyez pas simplement vos hommes de main pour récupérer l’argent, vous les envoyez pour lui donner une correction, pour que tout le monde comprenne. C’est comme ça que fonctionnent les relations internationales. On l’appelle parfois la théorie du domino. Si vous regardez, cas après cas, ça marche toujours comme ça.
Question : La Turquie appartenant à l’OTAN, comment analyser l’attaque d’un bateau turc par Israël dans les eaux internationales ?
Noam Chomsky : Il y a eu un débat technique quant au pavillon qui était celui du bateau, mais il portait un drapeau turc, comme on l’avait affirmé, ce qui signifie que c’est un territoire turc. Selon les lois maritimes une embarcation dans les eaux fait partie du territoire dont elle porte le drapeau. Il existe un traité de l’OTAN qui requiert des pays membres de l’OTAN d’assister tout autre pays membre qui subirait une attaque. Donc, si les traités signifient quelque chose – ce n’est pas le cas, bien entendu – les pays membres de l’OTAN, dont les États-Unis, auraient dû immédiatement se porter au secours du bateau turc. Si un bateau iranien avait attaqué un navire de l’OTAN, l’Iran aurait probablement été effacé de la surface de la Terre.
Question : Vous parlez de ce boss qui dit ce qui est possible et ce qui ne l’est pas comme mode de fonctionnement des États-nations. Ne devons-nous pas parfois analyser plutôt les classes économiques ? Comment cela fonctionne-t-il ?
Noam Chomsky : C’est une question intéressante. Et l’Iran est un cas très intéressant. Il existe des principes dans les affaires internationales mais ils ne se trouvent dans la théorie des relations internationales. J’ai déjà mentionné le principe mafieux. Il en existe un autre qui remonte à Adam Smith. Nous sommes supposés adorer Adam Smith mais nous ne sommes pas supposés le lire. C’est beaucoup trop dangereux. Il n’a rien à voir avec le capitaliste fou que l’idéologie dominante nous vend. C’est un gars très sensible. Smith, je le cite, soulignait qu’en Angleterre « les principaux décideurs de la politique ce sont les marchands et les manufacturiers », ceux qui possèdent l’économie. Et ils s’assurent que « leurs propres intérêts soient particulièrement bien défendus », quelles que soient les conséquences négatives pour le peuple anglais, pour ne pas parler des autres qui étaient soumis à, ce qu’il appelait, « la sauvage injustice des Européens ».
Parfois ces principes entrent en conflit, et ce sont alors des cas d’école qui permettent d’étudier l’élaboration de la décision politique. L’Iran par exemple. Les plus puissants secteurs économiques seraient assez contents de voir les États-Unis normaliser leurs relations avec l’Iran. Les grandes entreprises états-uniennes du secteur énergétique ne se réjouissent pas de voir la Chine tout emporter. Mais la politique d’État requiert que les ressources de l’Iran soient laissées à la Chine malgré les objections des grandes corporations états-unienne du secteur énergétique, lesquelles ont pourtant généralement un rôle décisif dans les choix politiques.
Voilà le conflit entre deux principes : le principe mafieux et le principe d’Adam Smith. Dans ce dernier cas le principe mafieux l’emporte. C’est très clair, si vous observez les différents cas dans l’histoire vous verrez que les mêmes personnes prennent des décisions différentes selon qu’elles se trouvent à la tête d’une grande entreprise ou à la tête du gouvernement. Les mêmes personnes qui prennent ces décisions concernant l’Iran – donnons les richesses à la Chine – si elles géraient leurs grandes entreprises elles prendraient les décisions opposées. Ces personnes ont maintenant un rôle institutionnel dans l’État, lequel est différent du rôle d’un PDG de grande entreprise. Le rôle des PDG, légalement, c’est de maximiser les profits. C’est une exigence légale, et s’ils ne le font pas ils sont écartés et remplacés par quelqu’un qui le fera. Le rôle du même individu au département d’État, par exemple, ou au Pentagone, est d’évaluer les conséquences à long terme des choix politiques, lesquels peuvent être en contradiction avec les intérêts étroits de certains secteurs économiques. Vous avez donc un conflit et dans le cas de l’Iran le principe mafieux l’emporte.
Les mêmes individus, qui se sont peut-être trouvés à la tête d’entreprises pétrolières, doivent maintenant décider pour l’objectif à long terme qui est de contrôler le Moyen-Orient. C’est nécessaire pour faire des choix qui de fait sont contraires aux intérêts des grandes entreprises du secteur énergétique.
L’Iran n’est pas le seul cas. La politique états-unienne vis-à-vis de Cuba est assez intéressante à étudier pour comprendre les relations internationales. Depuis 50 ans les États-Unis agressent et punissent le peuple de Cuba. Et nous savons très bien pourquoi. Les documents sont disponibles. Vous devez punir le peuple de Cuba – il s’agit de Kennedy, Einsenhower, etc. – parce que Cuba n’obéit pas aux ordres. Ils parviennent – selon l’expression en cours durant les gouvernements Kennedy et Johnson – à « défier avec succès » les plans états-uniens qui remontent à la doctrine Monroe, laquelle selon les États-Unis régit la vie de l’hémisphère.
Or depuis des décennies la grande majorité du peuple états-unien est favorable à la normalisation avec Cuba. Le reste du monde est totalement opposé à la politique états-unienne vis-à-vis de Cuba. Regardez simplement les votes annuels des résolutions à l’Assemblée de l’ONU. C’est le monde contre les États-Unis – accompagnés des Îles Marshall ou d’un pays de ce genre. C’est presque toujours comme ça. Ce qui est frappant dans ce cas c’est que globalement les secteurs d’affaires aux États-Unis sont également contre. Cela comprend les grandes entreprises des secteurs énergétiques, pharmaceutiques et agricoles. Ils veulent tous normaliser avec Cuba. Selon le principe d’Adam Smith, vous vous attendriez à les voir décider de la politique, mais le principe mafieux prend le dessus.
Si vous voulez vraiment étudier les affaires internationales, voilà les cas que vous devriez analyser. De la même façon si vous voulez comprendre la politique états-unienne pendant la guerre froide vous devriez regarder ce qui est arrivé en 1990. Mais ce sont là exactement les thématiques qui ne sont jamais abordées. Vous ne les étudiez pas à l’école, il n’y a pas de textes universitaires à ce propos, on n’en parle pas. C’est simplement trop révélateur.
Il se trouve que pour l’Iran ce n’est pas la première fois. En 1953, quand les États-Unis et la Grande-Bretagne ont renversé le régime parlementaire pour installer le Chah, le gouvernement des États-Unis voulait que les grandes entreprises pétrolières états-uniennes prennent 40% des concessions britanniques. Il s’agissait d’une politique à long terme des États-Unis pour écarter la Grande-Bretagne du Moyen-Orient, pour contrôler la situation et pour transformer la Grande-Bretagne en partenaire de second ordre. Les grandes entreprises pétrolières, alors, s’en tenant à des considérations à court terme, n’étaient pas d’accord. Il se trouve qu’il y avait des excédents de production de pétrole à l’époque, et s’ils prenaient le contrôle des concessions en Iran ils auraient dû baisser leurs opérations d’extraction en Arabie saoudite, lesquelles étaient primordiales à leurs yeux. Mais le gouvernement les a obligés à les prendre, les menaçant même de leur appliquer la loi anti-trust. Ils ont fini par obéir aux ordres. Dans ce cas-là le contrôle du pétrole sur le long terme a pris le dessus sur les intérêts spécifiques de certains secteurs.
Je devrais ajouter que durant la Deuxième Guerre mondiale il y a eu comme une mini-guerre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne pour le contrôle du pétrole du Moyen-Orient, principalement celui de l’Arabie saoudite. Dès les années 1930 on savait que c’était le plus important, le joyau de la couronne. La Grande-Bretagne voulait le garder et les États-Unis voulaient le prendre. Il y avait un conflit – les documents sont disponibles – et bien entendu les États-Unis se sont imposés. La Grande-Bretagne était en difficulté à cette époque-là, les États-Unis ont donc pris l’Arabie saoudite.
À la fin de la guerre les Britanniques ont compris que leur statut de puissance mondiale avait pris fin et le Foreign office savait qu’ils allaient devoir devenir ce qu’ils ont appelé un partenaire mineur des États-Unis. Ils n’avaient aucune illusion quant à la volonté des États-Unis. Ils disaient que les États-Unis prenaient le contrôle du monde sous le prétexte de faire le bien, mais ils ne veulent que la puissance, et nous n’avons pas d’autre choix que de devenir un partenaire mineur.
Les États-Unis les ont traités avec arrogance et la Grande-Bretagne l’a accepté. Le cas le plus illustratif c’est en 1962 lors de la crise des missiles à Cuba. Les dirigeants états-uniens – les Kennedy – prenaient des décisions qui pouvaient mener à la destruction de l’Angleterre et de toute l’Europe. Ils poussaient les choses au point qu’il aurait pu y avoir un acte de représaille russe et ils n’en parlaient pas aux Britanniques. En fait Harold MacMillan, le premier ministre, ne savait pas ce qui se passait, il cherchait désespérément des informations. À un moment donné l’un des principaux conseillers de Kennedy – probablement Dean Acheson – a défini ce qu’il a appelé « la relation spéciale » entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui selon lui signifiait que « la Grande-Bretagne est notre lieutenant – le terme à la mode étant ‘‘partenaire’’ ».
Bien sûr la Grande-Bretagne avait le choix. Ils pouvaient intégrer la zone euro. Mais ils préfèrent être un partenaire mineur et se considérer un acteur indépendant sur la scène mondiale. Bien. L’Europe aussi pouvait faire des choix et c’était sujet d’inquiétude pour les États-Unis à partir de 1950. Les décideurs états-uniens avaient compris que l’Europe allait connaître une récupération industrielle dans l’immédiat après-guerre. Dès qu’ils le font ils deviennent une puissance équivalente aux États-Unis, avec une grande économie, une grande population, formée, avec beaucoup d’avantages. Ils pouvaient devenir une puissance indépendante dans les affaires du monde – on parle de troisième puissance. Tout a été fait pour que cela ne se produise pas. L’OTAN a servi à cela. L’OTAN servait en partie à garantir que l’Europe restât vassale, contrôlée par les États-Unis.
Ce qui est arrivé en 1990 est très éclairant de ce point de vue. Si vous croyez à la propagande de ces 50 dernières années, aussitôt que l’Union soviétique s’est écroulée vous vous attendriez à la dissolution de l’OTAN. La propagande concernant l’OTAN, à l’époque, c’était qu’on l’avait créée pour nous protéger des hordes russes. Bon, il n’y a plus de hordes russes, démantelons l’OTAN. Est-ce ce qui est arrivé ? Non. L’OTAN s’est étendue d’une façon assez intéressante. Gorbatchev a fait une concession incroyable : il a accepté qu’une Allemagne réunifiée rejoigne l’OTAN. Si vous y pensez, c’est stupéfiant. L’Allemagne seule a quasiment détruit la Russie à plusieurs reprises dans le siècle antérieur. Maintenant Gorbatchev acceptait que l’Allemagne se joigne à une alliance militaire hostile. Pourquoi a-t-il fait cela ? Parce qu’il a eu un quiproquo. Il a fait un accord avec le gouvernement de Bush père selon lequel l’OTAN ne s’étendrait pas d’« un pouce vers l’est ». Cela ne comprendrait pas l’Allemagne de l’Est, et bien sûr rien au-delà. Bon, Gorbatchev était naïf. Bush a pris soin de ne jamais mettre l’accord sur papier – nous disposons d’une littérature universitaire détaillée sur tout cela. Gorbatchev a fait la stupide erreur de croire qu’il pouvait encore parler comme entre gentlemen avec les États-Unis. C’est assez stupide. Les États-Unis n’avaient pas la moindre intention de respecter l’accord. Et ils ne l’ont pas respecté. Donc, bien sûr, l’OTAN s’est étendue vers l’est, sous Clinton, jusqu’à la frontière russe, et même au-delà.
Le rôle officiel de l’OTAN est de contrôler le système global de l’énergie, les routes maritimes et les pipelines. Il y a eu une conférence à Washington récemment donnée par l’ex secrétaire d’État Albright, elle a indiqué la mission globale de l’OTAN. L’idée c’est que l’OTAN devienne une force d’intervention globable conduite par les États-Unis. Il existe un conflit sur ce point. Les Européens ne sont pas très contents de payer cependant que les États-Unis les accusent d’être trop non-violents.
Ce qui s’est passé avec l’OTAN est unedramatique illustration du fait que toute la propagande sur le thème de la guerre froide n’était que pur mensonge. L’OTAN ne disparaît pas quand les hordes russes cessent d’exister, elle s’étend pour garantir que l’Europe ne puisse pas faire le choix de devenir une troisième puissance sur la scène mondiale.
***
Noam Chomsky
Juin 2010
Traduction : Numancia Martínez Poggi
Source :http://www.zcommunications.org/u-s-savage-imperialism-part-3-by-noam-chomsky
EN COMPLEMENT
Chomsky : [la sauvagerie de l’impérialisme états-unien 1ère partie->34948]


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