La Révolution tranquille est-elle un bloc? D'autres réponses...

Révolution tranquille - 50 ans!



Éric Bédard, dans un texte publié dans Le Devoir du 22 juin 2010, affirme l'importance de poser un regard critique sur la Révolution tranquille et sur le rôle de l'État afin de libérer de «nouveaux» discours et, espère-t-il, de «nouvelles» politiques. En effet, voilà maintenant 50 ans que le Parti libéral de Jean Lesage prenait le pouvoir et amorçait la Révolution tranquille. Un demi-siècle plus tard, en des temps bien plus moroses, l'héritage de cette période est difficile à assumer pour une société en panne d'inspiration.
S'il y a panne d'inspiration, c'est qu'il y a crise de la pensée au Québec. Selon Bédard, cette crise doit être attribuée principalement à la gauche québécoise qui, se réclamant de l'héritage de la Révolution tranquille, occuperait l'espace public, ferait taire les jeunes intellectuels et assécherait les idées avec leur «rhétorique révolutionnaire» ossifiée. Pour un martyr de l'opinion publique, l'auteur est pourtant bien présent dans les médias...
D'où, néanmoins, l'appel à une libération du discours afin de «débattre sereinement du rôle et du fonctionnement de l'État dans le Québec d'aujourd'hui». Débattre sereinement de l'État suppose, pour l'auteur, une réflexion critique sur l'héritage de la Révolution tranquille. Refusant de considérer la Révolution tranquille comme un «bloc», l'auteur propose d'en réchapper une partie et d'en liquider une autre.
Ainsi, l'auteur reconnaît spontanément les grands succès qui ont permis le développement du Québec inc.: Caisse de dépôt, Hydro-Québec, Société générale de financement. En fondant ces fleurons de l'entrepreneuriat québécois, l'État a permis d'effacer le retard économique des Québécois francophones. Voilà, pour l'auteur, la partie du «bloc» qu'il vaut la peine de conserver pour servir d'émulation aux décideurs politiques d'aujourd'hui.
Rien, toutefois, sur les mouvements sociaux, et leur «rhétorique révolutionnaire» sur la liberté, sur l'égalité et sur la justice sociale, qui ont fortement orienté la Révolution tranquille. Rien, non plus, sur l'ouverture sans précédent du champ des possibles qu'a représentée la prise de parole d'hommes et de femmes qui avaient traditionnellement été exclus de l'espace public québécois avant cette période.
L'auteur n'écrit pas pour eux. La partie qu'il faut réchapper de la Révolution tranquille appartient exclusivement aux grands «décideurs politiques» et au Québec inc.
Mouvements sociaux
C'est donc sans surprise que les principaux responsables des «résultats catastrophiques» de la Révolution tranquille, pour l'auteur, sont les mouvements sociaux. Ces derniers se servent égoïstement des pouvoirs publics pour assouvir leurs intérêts corporatistes, pas pour contribuer à l'enrichissement collectif. C'est la partie de la Révolution tranquille qu'il faut liquider.
Car les «décideurs politiques», effrayés par le pouvoir de ces mouvements sociaux, n'arrivent plus à gouverner pour la prospérité générale. Le Québec, malheureusement, n'a pas eu son grand général de Gaulle qui aurait pu marginaliser ces groupes «corporatistes» nuisibles, qui ne pensent qu'à eux. D'où, selon Bédard, les résultats catastrophiques de la Révolution tranquille.
Mentionnons rapidement ces «résultats catastrophiques»: crise du système de santé, crise de l'éducation, «cafouillage» des places en garderie et crise de l'endettement public. On ne contestera pas la gravité de la plupart de ces problèmes. Toutefois, c'est l'entêtement à vouloir lier toutes ces «catastrophes» à la Révolution tranquille qui peut étonner.
Passons sur le «cafouillage» bien relatif des garderies qui n'a évidemment rien à voir avec l'héritage de la Révolution tranquille. Il y a, ici, plus de ressentiment pour la seule grande avancée sociale depuis 30 ans que de véritable analyse. Quant à la dette de l'État, nous avons affaire à une question complexe qui touche à peu près tous les pays, sociaux-démocrates comme libéraux. Ont-ils tous vécu une Révolution tranquille? Mais l'analyse, ici comme ailleurs, importe peu.
Le diagnostic sur les systèmes de santé et d'éducation suscite encore plus d'étonnement.
En effet, pourquoi l'auteur s'entête-t-il à attribuer les résistances à reconnaître les diplômes des médecins immigrants à l'héritage de la Révolution tranquille? Pourquoi ne pas mentionner le rôle crucial joué ici par le Collège des médecins, une corporation dont le pouvoir remonte au XIXe siècle, bien avant la Révolution tranquille? Et pourquoi lier, même implicitement, cette vieille corporation à d'autres «corps intermédiaires», comme le syndicat des infirmières, qui seraient coupables du même égoïsme corporatiste?
En ce qui concerne le système d'éducation, pourquoi ne rien dire de ce gigantesque PPP éducatif qui a permis que se développe, aux frais de la société, une école privée sélective et élitiste qui mine considérablement la mission de l'école publique, notamment sa capacité à lutter contre le décrochage scolaire? L'analyse de l'auteur, animée par le ressentiment, est bien sélective.
Nouveaux mythes
Que l'on doive porter un regard critique sur la Révolution tranquille et l'État québécois, j'en conviens. Tellement d'institutions qui nous entourent ont été fondées à cette époque qu'une compréhension des enjeux actuels passe nécessairement par une réflexion critique sur ces questions. Mais encore faut-il que cette critique ait pour objectif d'amorcer une véritable discussion, pas simplement de proposer de nouveaux mythes qui conviennent à l'air du temps.
C'est pourtant bien cette dernière voie qui est suivie par Éric Bédard. Cet entêtement à attribuer les problèmes de la société actuelle à l'héritage de la Révolution tranquille en dit moins sur notre passé que sur notre présent, tout imprégné de «lucidité». On le sait, les décideurs politiques et intellectuels «lucides» pestent depuis quelques années contre une société ingouvernable, paralysée par les demandes des mouvements sociaux, considérés comme des enfants gâtés qui n'auraient pas la patience d'attendre que l'on crée de la richesse pour la redistribuer.
Ces «lucides» acquiesceront ainsi sans problème à l'appui inconditionnel au Québec inc. et au souhait d'une société marchande «plus dynamique, plus prospère et plus libre». Ils applaudiront à l'idée que les mouvements sociaux, ces empêcheurs de gouverner en paix, soient le principal obstacle à abattre pour un Québec inc. plus prospère. Ces «lucides» trouveront, dans le texte d'Éric Bédard, les mythes qui leur conviennent.
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Martin Petitclerc - Professeur au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal

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