La réplique › Charte des valeurs québécoises - Le pare-brise est toujours plus grand que le rétroviseur

Yvan Lamonde

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Plaidoyer pour un nationalisme humaniste

On n’a pas encore les textes à partir desquels il serait possible de penser et de discuter sérieusement du projet de charte du gouvernement que Joseph Yvon Thériault parle de prévention et interprète la modification de l’appellation d’une charte de la laïcité en une charte des valeurs québécoises comme la volonté du ministre titulaire du projet d’éviter «la pente dangereuse d’un “nous” négatif».

Le gouvernement dispose ainsi d’une première réaction préventive qui lui dit que non seulement un citoyen préfère l’approche des valeurs québécoises, mais qu’adhérant d’emblée à cette approche, celui-ci ne pense la laïcité qu’en termes de « nous » et de « nous positif », et disqualifie la laïcité comme porteuse de « principes abstraits », nommément ceux « de la modernité libérale ». Dans le vocabulaire d’un certain conservatisme ambiant, la question de la neutralité relève d’une « idéologie chartiste », du coup associée au trudeauisme ; la préoccupation publique de laïcité devrait plutôt finir en politique culturelle du « nous ». C’est le glissement exclusivement politique habituel de ce conservatisme bon enfant où une question aussi large que la laïcité est réduite au multiculturalisme.

Multiculturalisme politique

L’explication de ce refus d’une charte, identifiée à la « trudeauisation des esprits », tient à ce que la discussion de principes universels serait une stratégie « qui consiste à dépolitiser les enjeux en les enchâssant, ce qu’avait voulu faire la politique du multiculturalisme ». C’est la ligne de conception de la laïcité chez Mathieu Bock-Côté dans ses articles et blogues, toujours rapportée au multiculturalisme politique.

Il faut lire chez M. Thériault le souci de ne pas « chagriner » le chanoine Lionel Groulx avec une telle charte de la laïcité comme un positionnement pour un Québec canadien-français, d’un Québec contemporain qui aurait des airs de Canada français d’avant « la fracture » des années 1960, d’un Québec « de l’intention française en Amérique », de l’Amérique française qui a peu à voir avec l’américanité du Québec, sommairement vue par le sociologue d’origine acadienne comme une liquidation du fait français. Depuis certains travaux de Jacques Beauchemin, le Québec de la modernité libérale, de la laïcité et de l’immigration a suscité un mouvement de critique compréhensible, mais de repli moins compréhensible. Ce conservatisme, formulé par M. Thériault, M. Bock-Côté, Éric Bédard, se veut le seul garant des « vraies valeurs » québécoises, celles qu’aurait portées le Canada français de l’Amérique française.

Depuis au moins une décennie, ce retour au Canada français n’a guère accouché d’autre chose que d’un discours incantatoire, que d’un mirage d’oasis loin… derrière. On veut bien que les principes de la modernité libérale aient causé quelques commotions dans la tradition, mais on voudrait bien voir si et comment cette tradition a été traversée par du nouveau et ce qu’elle en a fait. À vrai dire, je ne vois personne au Québec qui, depuis 50 ans, a vraiment nommé la diagonale entre le « Notre maître le passé » du chanoine Groulx et le passé non sacré envers lequel on est toujours quitte de Borduas. C’est dans ce vacuum que les tenants du Québec canadien-français d’avant « la fracture » tentent de nommer une diagonale à peine visible.

Comment faire comprendre à M. Thériault que l’universel n’est pas qu’abstrait, si ce n’est de lui apprendre ou de lui rappeler qu’il s’est trouvé au Canada français et au Québec des écrivains qui, du père Ernest Gagnon de L’homme d’ici à Gaston Miron en passant par André Laurendeau et Fernand Dumont, ont pensé que l’homme s’élève à l’universel par étapes et que si on voit dans l’universel l’humanité même de tous les hommes, le Québécois est capable d’incarner l’humain, d’être le frère de son semblable. Si le nationalisme entend être un humanisme, en cela il est capable d’universel, il est capable d’accueillir sans menace les principes universels et humanistes de la laïcité.

Yvan Lamonde - Université McGill


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