« La prochaine fois sera la bonne ! »

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Tout vient à point à qui sait attendre





Ce jour-là, la planète Québec a tremblé... Ce n’était pas une partie de poker, pas une joute électorale pour le pouvoir, c’était un référendum pour réaliser la souveraineté, pour FAIRE du Québec un pays !




C’est un bien difficile moment que cet anniversaire! Vingt ans déjà depuis le référendum du 30 octobre 1995, perdu de si peu, volé plutôt. Mais en même temps, un devoir de mémoire s’impose à l’égard de l’inébranlable détermination d’un homme qui a consacré un quart de siècle de sa vie adulte à construire le pays et à préparer ce moment, le chef du camp du Oui, Jacques Parizeau.


 


Ce soir-là, il a pris acte du résultat: 49,4 % pour le Oui. C’était la défaite: le Non l’emportait. Il allait donc démissionner de son poste de premier ministre, de député de l’Assomption et de chef du Parti québécois. Ça, c’était décidé depuis très longtemps. Bien sûr, avec un résultat aussi serré, il aurait pu rester... Et mettons les pendules à l’heure, il n’a pas démissionné à cause de la fameuse phrase prononcée ce soir-là et que certains lui ont reprochée pendant des années... Il l’a fait par conviction, persuadé que d’autres devaient immédiatement reprendre le flambeau et réussir là où il avait échoué. C’était son plan depuis le début et il l’a suivi.


 


C’est d’ailleurs l’une des premières choses qu’il m’a dites trois ans plus tôt, en mars 1992, quelques mois avant notre mariage, lorsqu’il m’a demandé si j’acceptais de l’accompagner dans sa quête du pays. 


 


UN PLAN CLAIR


 


Il savait où il allait, son plan était clair et il me l’a décrit précisément: «D’abord, à la prochaine élection, faire élire un gouvernement du Parti québécois avec le mandat très clair de réaliser la souveraineté du Québec; puis, 8 à 10 mois plus tard, tenir un référendum pour réaliser la souveraineté du Québec. Si je gagne, je reste le temps de mettre le train sur les rails; si je perds, je pars immédiatement. Veux-tu faire ce chemin avec moi? Viendrais-tu à nouveau travailler à mes côtés?» Je saisissais pleinement toute la gravité de ses paroles et le sens de sa demande. Je savais que Jacques Parizeau ne parlait jamais pour ne rien dire. Bien sûr que j’allais être à ses côtés! L’élection a eu lieu le 12 septembre 1994: le Parti québécois a été élu et le référendum sur la souveraineté s’est tenu le 30 octobre 1995. 


 
















Photo d’archives







 


LE JOUR « J »


 


Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur ni ne me suis sentie aussi mal qu’en ce 30 octobre 1995! J’aurais voulu ne pas être là, l’avoir convaincu que c’était trop casse-cou... mais non, au contraire, malgré les doutes soulevés par certains, je l’ai encouragé, appuyé dans sa détermination jusqu’au bout!


 


Après une nuit passablement agitée, on s’est réveillés dans le cadre impersonnel d’un hôtel du centre-ville de Montréal. Ses gardes du corps avaient insisté: pas question de passer ces quelques derniers jours de campagne au 40, rue Robert, le domicile que nous avions délaissé pour la résidence officielle du 1280, rue des Braves, à Québec, depuis l’élection de septembre 1994. «Ce serait trop risqué, avaient tranché Jacques Prieur et Victor Landry, ses fidèles gardes du corps.


 


Il est très préoccupé. L’atmosphère générale laisse entrevoir une victoire, mais ce qui le perturbe et le tracasse, ce sont les mots d’ordre de certaines communautés à leurs membres de voter en faveur du Non et la grande manifestation «d’amour», soutenue par le gouvernement du Canada, qui a eu lieu trois jours plus tôt, réunissant plus de 150 000 Canadiens venus de partout au Canada et qui a dû coûter une petite fortune, sûrement au moins autant que les dépenses autorisées des camps du Oui et du Non réunis. C’est pour lui inacceptable: un détournement de la démocratie!


 


Il a passé une partie de la nuit à réfléchir, à écrire. «Tu veux bien me dire quel est ton pronostic», m’a-t-il demandé au petit-déjeuner? Je me suis glissée derrière lui et j’ai passé mes bras autour de son cou... Il a attrapé ma main et l’a retenue contre son cœur: «Je t’aime, madame!» Je n’ai rien trouvé de mieux à répondre que «Et moi donc!»  Et j’ai pensé, pour le meilleur et pour le pire... Malgré moi, j’ai frissonné. Mon Dieu, me suis-je dit, qu’est-ce qui arrivera, si jamais... Et ces milliers de gens qui ont une telle foi en lui. Et lui qui porte tout ce poids sur ses épaules... Je savais bien que si jamais... la suite serait terrible! «Les perdants ont toujours tort», disait-il.


 
















Photo d’archives







 


UNE JOURNÉE FÉBRILE







«Si je perds, je pars » –Jacques Parizeau








L’agenda de la journée était serré. Je me souviens d’une séance de massage à l’hôtel qui ne nous a pas du tout détendus... Nous sommes tout de même sortis de l’hôtel ragaillardis et de bonne humeur. Nous sommes allés voter, la fatigue ressentie le matin s’atténuant peu à peu, laissant place à la fébrilité contagieuse qui régnait au sein de l’équipe. Puis, il y a eu la tournée habituelle, les poignées de main chaleureuses, l’accolade avec les militants dans les maisons de service, les sourires et les phrases convenues à l’intention de la meute de journalistes affamés... 



 


En cette journée bien spéciale, il avait accepté d’être suivi par un jeune journaliste du réseau TVA qu’il appréciait particulièrement, Stéphan Bureau. Il était également entendu qu’il lui accorderait une entrevue de fond, entrevue qui serait sous embargo pour une semaine. Ça lui permettrait d’aller au fond des choses... 


 


L’entrevue débuta au milieu de l’après-midi dans le local de campagne de son comté de l’Assomption, comté dont il était si fier. 


 


Marie-Josée Gagnon, son attachée de presse, et moi étions assises par terre dans le corridor de son bureau, devant un petit moniteur, pour tenter d’entendre ce qu’il disait. Quelle ne fut pas notre stupéfaction de l’entendre dire: «Si je perds, je pars»! «Oh non! Il ne l’a pas dit en entrevue!» J’étais consternée... J’avais toujours cru que si le Non l’emportait, mais que le résultat était serré, nous pourrions, à quelques-uns (Serge Guérin et moi, entre autres) le convaincre de ne pas partir... Là, c’était cuit! Et quand, l’agitation passée, je suis entrée dans son bureau, il m’a regardée avec son petit air du chat qui a avalé le canari... Il était bien fier de lui, il l’avait dit!


 











La douleur de la défaite référendaire est visible.




Photo d’archives


La douleur de la défaite référendaire est visible.







 


Fin d’après-midi, c’est l’enregistrement à Télé-Québec du discours qui serait diffusé dans tout le Québec et le Canada après la victoire du Oui... Enfin, un dernier tour d’horizon avec son équipe dans son bureau de la tour d’Hydro-Québec: les pronostics sont bons, on va gagner...


 


Un peu avant 20 h, arrivée au lieu de rassemblement du camp du Oui. Le Palais des Congrès... rien de moins! Des salles, des salons pour tout ce qu’on peut imaginer de fervents... Et nos familles dans l’un d’entre eux à une cinquantaine de mètres du nôtre. Toutes les demi-heures, j’allais les saluer, leur expliquer ce qu’il se passait, les encourager, les rassurer... Je pense en particulier à mon père (84 ans) qui avait quitté ce qu’il chérissait le plus, son poste de président de la FADOQ, pour retrouver sa liberté de parole et qui avait fait campagne comme un jeune homme, jouant souvent le rôle de vedette américaine, réchauffant la salle avant l’entrée de Jacques... Comme il y en aurait des gens à consoler si jamais... 


 


Au début et pendant une bonne partie de la soirée, le Oui est en avance. On va gagner! Puis, l’écart se rétrécit peu à peu et ça devient plus ou moins cinquante-cinquante. C’est presque insoutenable... Puis, le verdict tombe: 49,4 % de Oui. Nous avons perdu! Perdu par quelque 50 000 voix sur cinq millions de votes exprimés. Perdre de si peu... Je le regarde, j’ai la gorge nouée, je ne sais que trop ce qui risque de se passer: même des proches collaborateurs le lâcheront, le téléphone cessera de sonner, tout pour que le paria, l’ennemi public numéro un se sente seul au monde... 


 











Mario Dumont, Lucien Bouchard et (en haut à gauche) Jacques Parizeau et Lisette Lapointe faisant campagne ensemble.




Photo d’archives


Mario Dumont, Lucien Bouchard et (en haut à gauche) Jacques Parizeau et Lisette Lapointe faisant campagne ensemble.







 


MOMENT FATIDIQUE


 


Comme tous ceux qui sont présents à ses côtés à ce moment-là, j’ignore ce qu’il va dire. Il peut parfois être d’une franchise brutale et il n’a jamais eu la langue de bois. Mais je crains plus que tout qu’il annonce sa démission. Je dois l’en dissuader. D’abord, j’entreprends de le convaincre de renoncer à le faire le soir même, alors que les rues sont pleines de milliers de citoyens frustrés par cette défaite crève-cœur. J’invoque que sa démission ne pourrait qu’échauffer davantage les esprits. Puis je tente de le convaincre de rester en fonction encore un peu, car perdre par 50 000 voix sur 5 millions de suffrages exprimés, ce n’est pas comme perdre par 10 points... Mais Jacques Parizeau demeure inflexible. Sa décision est prise depuis des années... 


 


Il annoncera sa démission le lendemain. On le sait maintenant, s’il avait pu prévoir ce qui s’est passé ensuite, il n’aurait pas démissionné et, qui sait, le Québec serait peut-être déjà un pays... Mais c’est une autre histoire...


 


Dans les dernières années de sa vie, Jacques Parizeau a sévèrement critiqué et blâmé son parti, le Parti québécois, pour son manque de clarté, considérant qu’il avait perdu son âme et renié sa raison d’être. Il le jugeait responsable de la dispersion des souverainistes dans différents mouvements et partis politiques. Mais il n’a jamais perdu confiance en l’avenir! À ses yeux, d’ailleurs, le succès de la jeune formation politique indépendantiste, Option nationale, fondée en 2011 et dirigée par Jean-Martin Aussant qui comptait 8000 membres, essentiellement des jeunes, après seulement une année d’existence, confirmait que la souveraineté n’était pas l’affaire d’une seule génération.


 











Dans l’autobus du Oui.




Photo d’archives


Dans l’autobus du Oui.







 


RECOMMENCER À CROIRE ET SE REMETTRE AU TRAVAIL







«Si, par exemple, tous les partis souverainistes s’unissaient pour former une Alliance pour le oui» –Lisette Lapointe








Oui, bien sûr, ces mauvais souvenirs font mal, très mal même, et Jacques Parizeau en a souffert durant des années, mais s’il est un message qu’il nous livrerait aujourd’hui, c’est bien de retrousser nos manches et de nous remettre au travail.



 


Et pour se donner l’élan nécessaire pour recommencer, ce serait peut-être une bonne idée de se remémorer les bons souvenirs et les belles réalisations de cette quête du pays de 1995: le pays si proche, si près, à portée de main; les dizaines de milliers de militants qui y ont cru et qui ont travaillé avec passion pendant des années; les 55 000 personnes qui ont participé aux consultations sur l’avenir du


Québec en 1995; la coalition de trois partis politiques qui, au-delà de leurs différences et de leurs intérêts personnels, se sont unis pour former le camp du Oui; l’extraordinaire mobilisation qui s’est exprimée par un taux de participation exceptionnel de 94 % et, bien sûr, le formidable état de préparation du Québec et l’inébranlable détermination du chef du camp du Oui, Jacques Parizeau. Ce n’est pas rien!


 


Dans une de ses dernières chroniques dans Le Journal de Montréal, en avril 2014, il soulignait avec enthousiasme l’arrivée de Pierre Karl Péladeau au Parti québécois et sa volonté exprimée clairement et fortement de contribuer à faire du Québec un pays. Il disait aussi que la course à la chefferie permettrait de confirmer l’orientation future du Parti québécois. C’est fait!


 











Lisette Lapointe s’est rendue à nouveau en Catalogne en septembre dernier pour appuyer les tenants de l’indépendance.




Photo d’archives


Lisette Lapointe s’est rendue à nouveau en Catalogne en septembre dernier pour appuyer les tenants de l’indépendance.







 


TOURNÉ VERS L’AVENIR


 


Aujourd’hui, il nous rappellerait sans doute que nous ne sommes pas seuls à vouloir notre pays, qu’avec la mondialisation, les conditions sont plus favorables que jamais. C’est ainsi qu’il l’exprime dans un livre à paraître en novembre, intitulé Ils ont vécu le siècle, regroupant une série d’entrevues réalisées par la jeune journaliste québécoise Mélanie Loisel, à qui il accordait un entretien en août 2014: 


«On a encore tendance, au Québec, à avoir le vieux réflexe de dire que notre indépendance serait une forme de repli sur soi-même. Mais il est impossible de se replier sur soi dans le monde mondialisé dans lequel on vit. La mondialisation est en train de changer les façons de faire et ce n’est pas sans raison que des peuples qui n’ont toujours pas de pays cherchent à devenir indépendants. Les Écossais en Grande-Bretagne, les Catalans en Espagne, les Flamands en Belgique...»


 


La Catalogne a été l’une de nos destinations de prédilection au cours des 20 dernières années. Nous y séjournions presque chaque fois que nous allions à notre vigne, à Collioure, dans le sud de la France. Sa dernière visite date de novembre 2014, où nous avions tenu à être présents, au moment de la consultation populaire sur la souveraineté, remportée haut la main par les souverainistes. Il avait à nouveau été fort impressionné et touché par la détermination et le courage du peuple catalan qui persiste malgré les menaces et les représailles exercées à son endroit et à l’endroit de ses leaders politiques par le gouvernement de Madrid. 


 


À l’invitation d’amis, je m’y suis rendue à nouveau en septembre dernier et j’ai pu assister à l’extraordinaire mobilisation des souverainistes catalans, qui sont descendus dans les rues de Barcelone, le jour de la Diada, leur Fête nationale, pour réclamer calmement, mais fermement leur indépendance. Encore cette année, et pour la quatrième année de suite, ils étaient plus d’un million dans la rue! Vraiment impressionnant! 


 


Avec l’élection du 27 septembre, les souverainistes, majoritaires au Parlement de la Catalogne, ont obtenu le mandat de préparer l’indépendance. Ils nous ont longtemps obser­vés, à nous maintenant de nous inspirer de leur courage et de leur confiance. 


 











Jacques Parizeau et Lisette en 2014, un couple visiblement amoureux.




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Jacques Parizeau et Lisette en 2014, un couple visiblement amoureux.







 


Il reste trois ans avant le prochain rendez-vous électoral au Québec: tout le temps voulu pour bien préparer la prochaine fois en refusant de se laisser distraire par les habituel­les sombres prédictions des adversaires de la souveraineté. «Retourner chaque pierre», disait Jacques Parizeau. 


 


Et si, pour relancer la discussion, on imaginait un chemin différent? Si, par exemple, tous les partis souverainistes s’unissaient pour former une Alliance pour le Oui et demandaient clairement aux Québécois de leur donner le mandat de réaliser l’indépendance? C’est vrai que depuis 40 ans, le moyen privilégié a été le référendum, mais ce pourrait aussi être une élection référendaire. Avec une majorité de députés élus sous cette bannière souverainiste et plus de 50 % des voix, le nouveau gouvernement pourrait légitimement amorcer le processus d’indépendance. Ce ne serait pas un sacrilège: le Québec est bien entré dans le Canada sans référendum ou élection sur cette question, pourtant fondamentale...


 


Il le croyait profondément: «La prochaine fois sera la bonne!»


 



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