La poudrière gazaouie

Cette région surpeuplée a accueilli de nombreux réfugiés après la création de l'État d'Israël

Gaza: l'horreur de l'agression israélienne

Jérusalem -- Il y a tout juste 60 ans, le 31 décembre 1948, David Ben Gourion prit une décision lourde de conséquences. Père fondateur de l'État d'Israël proclamé le 14 mai, il décida de mettre fin à la «guerre d'indépendance» alors que les troupes israéliennes étaient en train de mener l'assaut contre les forces arabes repliées dans ce qui est devenu la bande de Gaza. Il estima qu'il fallait savoir terminer une guerre et préserver la dignité de l'adversaire. Ainsi naquit la bande de Gaza.
Mais la cité de Gaza existait déjà 3500 ans avant Jésus-Christ. Gaza, qui signifie «fort» ou «forteresse», a toujours été un important centre commercial. Lieu de passage des caravanes, elle deviendra l'une des cinq villes des Philistins, ce peuple de la mer qui a également fondé ce qui est devenu aujourd'hui Ashkelon et Ashdod. Alexandre le Grand aura toutes les peines à la conquérir après deux mois de siège en 332 avant J.-C. Elle sera occupée par les Romains, les Arabes, les croisés, reprise par Saladin (1187), administrée pendant quatre siècles par les Ottomans. Bonaparte s'en est emparé en 1799 en faisant route vers l'Égypte.
Avec la chute de l'Empire ottoman, lors de la Deuxième Guerre mondiale, ce territoire, partie intégrante de la Palestine, est alors confié par la SDN (Société des nations) aux Britanniques jusqu'à la partition décidée par l'ONU, le 29 novembre 1947. Le territoire est beaucoup plus vaste qu'aujourd'hui. Il englobe les villes d'Ashkelon et d'Ashdod, et descend sur près de 100 km dans le désert du Néguev le long de la frontière égyptienne. Les quatre cinquièmes de cette entité en forme de boomerang sont ensuite annexés par Israël. Najd, aujourd'hui Sdérot, est rasée et ses 719 habitants expulsés à Gaza. Les Palestiniens de Majdal (aujourd'hui Ashkelon) reçoivent le 17 août 1950 leur ordre d'expulsion, et sont conduits dans la bande de Gaza. Ils y rejoignent les dizaines de milliers de réfugiés venus de Jaffa, de Lod ou d'ailleurs. La population originelle de 70 000 habitants dans la bande de Gaza est multipliée par trois. Dans les huit camps de réfugiés, souvent installés dans d'anciennes bases britanniques, vont naître les premiers dirigeants désireux de voire reconnaître les droits des Palestiniens. Ces réfugiés seront plus tard le terreau de la révolte, le ferment des revendications.
À l'exception d'un bref intermède entre novembre 1956 et mars 1957 -- pendant lequel la bande de Gaza passe sous le contrôle des Israéliens après la malheureuse expédition de Suez -- l'Égypte en garde le contrôle jusqu'à la guerre des Six Jours, en juin 1967, à la suite de laquelle l'État juif s'installe sur ce morceau de terre de 362 km2. C'est alors que commence une autre histoire des plus tumultueuses dans ce qui deviendra un foyer de tensions permanent, une poudrière qu'Itzhak Rabin avait suggéré de «faire couler dans la mer». Aujourd'hui, l'interjection en hébreu «Va à Gaza!» signifie clairement «Va au diable!».
Violence
Gaza la rebelle ne cesse de se rebiffer contre l'occupant. Des bouffées de violence d'autant plus marquées qu'Israël a décidé de faire de cette bande sablonneuse une terre de colonies. La première, Kfar Darom, s'établit en 1970, bientôt suivie, deux ans plus tard, par celle de Netzarim. En 30 ans, il y en aura 17, qui prendront possession des meilleures terres d'une partie de la bande côtière. La résistance des Palestiniens prend de l'ampleur. Les attentats se multiplient. Au début des années 1970, Ariel Sharon, alors commandant de la région sud, décide de nettoyer «ce nid de terroristes».
«En sept mois, de juillet 1971 à février 1972, nous avons tué 104 terroristes et en avons arrêté 742», écrit Ariel Sharon dans ses mémoires. D'autres furent déportés. Pour le moment, l'ordre est rétabli.
Mais, comme le note Laetitia Bucaille dans son livre Gaza: la violence de la paix (Presses de Sciences Po, 1998), «l'occupation israélienne a eu pour effet d'isoler la bande de Gaza du reste du monde arabe. Les mesures israéliennes bloquèrent son développement autonome et la rendirent entièrement dépendante de l'État juif. À la fin des années 1970, les deux tiers des exportations se faisaient à destination du marché israélien et 91 % des importations en provenaient. La puissance occupante contrôlait le commerce, imposait des restrictions à l'agriculture et encourageait la population à vendre sa force de travail en Israël. Soixante-dix mille Gazaouis y travaillent avant la première intifada.»
Un banal accident
La «guerre des pierres», qui commence en 1987, met fin à une période au cours de laquelle les Israéliens n'hésitaient pas à se rendre à Gaza pour faire leur marché, déjeuner dans les restaurants du front de mer, faire du commerce avec les Palestiniens. Mais, au mois de décembre 1987, l'assassinat de deux Israéliens témoigne d'une tension grandissante. C'est en fait un banal accident, le 8 décembre, dans le camp de Jabaliya, au cours duquel un semi-remorque percute un taxi palestinien, qui met le feu aux poudres.
Quatre hommes périssent dans la collision. Des manifestations éclatent. Les soldats ouvrent le feu. La révolte s'étend, gagne la Cisjordanie et embrase toute la Palestine. Elle durera plusieurs années, pratiquement jusqu'aux accords d'Oslo, le 13 septembre 1993.
C'est à Gaza que le leader palestinien Yasser Arafat revient en triomphateur en juillet 1994. L'Autorité palestinienne est créée. Israël retire une grande partie de ses troupes de la bande de Gaza. Un aéroport est ouvert dans le sud, à proximité de Rafah. Bill Clinton s'y posera le 13 décembre 1998. «Pour la première fois dans l'histoire du mouvement palestinien, le peuple palestinien et ses représentants élus ont la possibilité de prendre en main leur destin sur leur propre terre», déclare-t-il. Mais le processus de paix est déjà grippé. À Gaza, la contestation gronde contre les dirigeants de l'Autorité palestinienne, accusés de corruption, de gabegie, de clientélisme.
Créé deux jours après le début de la première intifada, le Hamas, le mouvement de la résistance islamique, ne ménage pas les critiques contre ceux qui sont accusés d'être des potentats. Les Israéliens ont d'abord vu d'un très bon oeil, voire favorisé l'émergence de cette organisation qui s'appuyait en grande partie sur des associations caritatives et des groupements religieux. Cela permettait de contrer l'omniprésence et la toute-puissance de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) et de son principal membre, le Fatah.
Les islamistes ont patiemment construit leur popularité et leur implantation dans la société palestinienne grâce à leur assistance aux plus défavorisés. Petit à petit, le Hamas va prendre le relais du Fatah dans la résistance à l'occupation.
L'échec des négociations de paix à Camp David, puis le début de la deuxième intifada en septembre 2000 donnent raison aux leaders de ce mouvement, qui se sont toujours opposés à ce qu'ils estiment être «un bradage de la paix». Les islamistes seront à l'origine de la vague d'attentats suicide au début de cette décennie.
La bande de Gaza devient le terrain perpétuel des affrontements entre les groupements armés et Tsahal, qui amplifie les assassinats ciblés. Les incursions succèdent aux incursions. Les pistes de l'aéroport flambant neuf sont labourées par les bulldozers israéliens. Le port est bombardé. Les attentats se multiplient contre les colonies. Les premières Qassam, roquettes artisanales, sont mises au point. Le coût de la sécurité devient exorbitant pour Israël. C'est pourquoi Ariel Sharon décide en 2004 de se séparer de «ce bâton merdeux» et de rapatrier par la force les 8000 colons installés dans ce qu'on appelle le Gush Katif, un ensemble de 21 colonies.
Le dernier soldat quittera ce territoire le 12 septembre 2005, après que toutes les installations eurent été complètement rasées. Ce départ forcé sonne comme une libération pour les Gazaouis. Beaucoup n'ont jamais vu la mer, même s'ils vivent à quelques kilomètres. Ils s'y précipitent... et au moins une vingtaine d'entre eux se noient.
Mais les espoirs sont de courte durée. Les Israéliens sont partis, mais ils restent à la porte. Et les portes s'ouvrent de plus en plus difficilement. Bientôt, plus aucun travailleur palestinien ne peut se rendre en Israël, et il y a longtemps que les Israéliens ne viennent plus faire leurs emplettes à Gaza. L'isolement s'accentue.
L'accord du 15 décembre 2005 conclu sous la pression de Condoleezza Rice, secrétaire d'État américaine, afin de faciliter l'ouverture des points de passage et de remettre en état les infrastructures comme le port et l'aéroport, ne sera que très partiellement appliqué avant de sombrer, avec la victoire du Hamas aux élections du 25 janvier 2006, et de devenir un chiffon de papier à partir de l'enlèvement du caporal Gilad Shalit, le 25 juin 2006, à Kerem Shalom. Dès le 19 février 2006, Israël, bientôt rejoint par l'Union européenne, a imposé des sanctions économiques à l'Autorité palestinienne.
La situation continue de se dégrader. Après l'enlèvement de Shalit, un nouvel engrenage s'enclenche. Israël bombarde la centrale électrique et les ponts de Gaza, puis déclenche une opération militaire qui fera près de 300 morts. La zone industrielle d'Erez, au nord, est transformée en un tas de gravats. Gaza la sulfureuse, totalement cadenassée, se transforme en un vase clos où les passions s'exacerbent.
Les préparatifs d'un putsch contre eux, préparé avec l'aide des Américains, conduisent les islamistes à prendre les devants et à s'emparer, à la mi-juin 2007, de ce lopin de terre miséreux dont les trois quarts de la population survivent grâce à l'aide alimentaire internationale, où le chômage est de 49 % et où la pauvreté touche 70 % de la population.
À partir de cette date, la nasse se referme complètement. Le Hamas a rapidement pris le contrôle de toutes les institutions, de toutes les formes de pouvoir, de façon souvent brutale. Il n'y a plus aucune place pour la contestation. Le million et demi d'habitants est prisonnier du blocus et otage d'un pouvoir qui ne tolère aucun écart, même si la rigueur islamique n'est pas totalement imposée. Une lumière est apparue en janvier 2008, pour les Palestiniens, lorsque le mur qui sépare la bande de Gaza de l'Égypte a volé en éclats sous les explosifs. Ce fut la ruée vers le sud. Elle n'a duré que 11 jours. Le rideau de béton est retombé. Et l'Égypte n'a pas l'intention de laisser le moindre interstice. Alors les Gazaouis se sont transformés en taupes. Ils ont creusé des galeries sous la frontière pour pouvoir survivre ou s'armer.


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