La potiche qui parle

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


La gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, ne sera pas de toute évidence une potiche ou une plante verte, sous prétexte qu'elle est tenue à un devoir de réserve par rapport à la politique partisane.
Il y a quelques jours, Mme Jean avait fait quelques vagues une autre fois en soutenant le bien-fondé de la participation des militaires canadiens à la mission de l'OTAN en Afghanistan. Elle est aussi commandante en chef des forces armées. C'est un minimum de sa part de dire qu'elle appuie «ses» soldats, sans pour autant faire de la politique partisane. Cet engagement du Canada a été initié par un gouvernement libéral et se poursuit sous celui des conservateurs de Stephen Harper.
Puis, dans une entrevue à la Presse Canadienne publiée samedi, la gouverneure générale a exprimé l'opinion que les Québécois étaient très souvent déconnectés du reste du Canada et qu'ils étaient davantage tournés vers l'Europe ou vers d'autres régions. Elle a tout à fait raison sur le fond; il suffit de consulter les statistiques sur le tourisme. Les Québécois voyagent massivement vers la Floride, les plages du Maine, vers New York, la France ou les Caraïbes. Très peu visitent les autres provinces et s'intéressent à ce qui s'y fait ou ce qui s'y pense. Et ce n'est pas une conséquence du rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982 ou de l'échec de l'accord de Meech, dix ans plus tard. La raison première est géographique (et conséquemment monétaire), la deuxième est climatique, et la troisième est culturelle. Le Canada anglais connaît tout aussi mal le Québec.
Les souverainistes les plus militants se sont déchaînés dès la nomination de Michaëlle Jean dans ses fonctions actuelles par Paul Martin. Le coup de marketing de l'ex-premier ministre les inquiétait visiblement, puisqu'ils auraient en face d'eux une communicatrice efficace de plus sur le terrain pour vendre le Canada. Ils ont d'abord réclamé sa démission en raison de ses sympathies passées et celles de son conjoint, Jean-Daniel Lafond, pour le mouvement souverainiste. Certains la considéraient donc même comme une traître à la Cause. Puis, Mme Jean a prêté flanc par un petit discours superficiel au cours d'un dîner bien arrosé de la Tribune de la presse à Ottawa.
Depuis quelques jours, ils l'accusent à nouveau de manquer à son devoir de réserve en exprimant publiquement des opinions politiques. Les souverainistes sont toujours coincés dans un paradoxe lorsqu'ils traitent de la fonction de gouverneur général. Ils se moquent de l'inutilité de ce reliquat de la monarchie et dénoncent les dépenses somptuaires des derniers tenants du poste. Ils réclament donc l'abolition de ce symbole vexatoire pour de nombreux Québécois. Mais lorsque Michaëlle Jean se mouille, même en ne répétant que des évidences sur les deux solitudes au Canada, ils s'insurgent et lui intiment l'ordre de se taire.
Michaëlle Jean a juste soufflé un peu de poussière depuis un an sur cette institution qui s'est toujours démarquée par son inutilité et l'insignifiance des propos de trop de gouverneurs précédents. Elle semble avoir décidé qu'elle serait peut-être une potiche, mais une potiche qui pense et qui parle. Tant qu'à payer pour garder ce vestige de la monarchie britannique, aussi bien qu'il serve. Une gouverneure générale plaidera évidemment pour l'unité canadienne. Qui devrait s'en scandaliser? Elle est nommée par le premier ministre du Canada; elle est la représentante de la monarchie britannique au Canada et commandante en chef des Forces armées canadiennes. Il ne faut tout de même pas s'attendre à ce qu'elle soit neutre dans le débat entre fédéralistes et souverainistes au Québec et sur le mur qui sépare les deux solitudes de ce pays, le Québec et le ROC (Rest of Canada)
Personne n'exige qu'on muselle le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Jean Dorion, ou le président du Conseil pour la souveraineté, Gérald Larose, eux aussi des non-élus.


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