La politique de l’autruche

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« Les peuples ne sont pas des corps que l’on déplace, que l’on brutalise ou que l’on rééduque au gré des besoins du marché du travail ou de la nouvelle morale diversitaire »

Les plus vieux ont gardé le souvenir de ce petit homme qui leur parlait du monde devant un tableau noir à la télévision. Ce journaliste pas tout à fait comme les autres se nommait René Lévesque et, au milieu des années 1950, il leur parlait souvent de la Suède, présentée alors comme un modèle. Un demi-siècle plus tard, il se pourrait que ce pays ait encore quelques petites choses à nous apprendre.


La Suède a sensiblement la même population que le Québec. C’est un pays du nord avec une économie moderne qui s’appuie aussi bien sur les ressources naturelles que sur l’innovation technologique. La Suède a longtemps été une société homogène et consensuelle. Comme le Québec, serait-on tenté de dire. Si l’on met de côté sa culture protestante et le fait que les Suédois sont indépendants depuis le Moyen Âge, le parallèle peut tenir la route.


Ce royaume de l’État-providence, considéré jusqu’à tout récemment comme un havre de paix à l’abri des soubresauts du continent, n’échappe pourtant plus aux maux qui agitent l’Europe et l’Amérique. Les dernières élections en ont fourni une preuve éclatante. Bien que le cataclysme annoncé ne se soit pas produit, rien ne semble pouvoir y freiner la progression de l’extrême droite, dont le vote est passé de 0,4 à 17 % en vingt ans. C’en serait donc fini de l’exception suédoise.


Dans un pays qui s’est toujours perçu comme un modèle, le réveil est douloureux. En 2005, la presse suédoise avait couvert les émeutes des banlieues françaises en mettant l’accent sur l’échec du modèle d’intégration français. Une décennie plus tard, le modèle suédois ne semble guère en meilleure forme. Les mêmes symptômes qu’en France sont en effet apparus lors des émeutes de Rosengard, en 2009, et de Husby, en 2013.


« Bien des gens estimaient que le haut niveau de confiance et de tolérance, à l’origine de la politique généreuse d’immigration de la Suède, entraînerait également une intégration réussie. Cela n’a pas été le cas », déplore aujourd’hui Tino Sanandaji, chercheur à la Stockholm School of Economics, qui vient de publier une étude sur le sujet. Et le chercheur de conclure que « le marché du travail, l’école et la capacité du reste de la société à absorber de nouveaux arrivants ont été excessivement sollicités ».


Depuis dix ans, la Suède est le pays qui a accueilli proportionnellement le plus de réfugiés en Europe. Elle bat même le record de tous les pays de l’OCDE. Tout cela alors que la Suède n’avait pratiquement jamais été un pays d’immigration. Au fond, il s’est passé sur une décennie en Suède ce qui s’est passé en un an avec Angela Merkel, qui a ouvert la porte à plus d’un million de migrants sans se préoccuper des conséquences économiques, sociales et politiques de son geste.


   


Aujourd’hui, même si la Suède demeure un pays extrêmement tolérant, 73 % des Suédois considèrent que l’intégration ne fonctionne pas (contre seulement 63 % en France). Plein emploi, croissance, État-providence et tolérance, la Suède cochait pourtant toutes les cases d’un accueil réussi pour les migrants. En six ans, les « zones d’exclusion sociale » sont passées de 156 à 186, note Sanandaji. Comme en France, les incendies de voitures sont devenus rituels dans certaines banlieues.


Or, si les Suédois ont aujourd’hui la gueule de bois, c’est justement parce que, depuis des années, ils ont refusé de « nourrir un débat sur la question de l’immigration » — je reprends ici les mots précis que prononçait cette semaine Gabriel Nadeau-Dubois pour nous inviter à parler d’autre chose. Pourtant, les signes annonciateurs étaient nombreux. Dès les années 1985-1989 et 1997-2001, les données montraient qu’il y avait un taux de criminalité plus élevé chez les immigrés, rappelle Tino Sanandaji. Qu’importe, « on a massivement nié le fait que l’immigration pouvait entraîner une augmentation de la criminalité, en invoquant souvent des facteurs socio-économiques », écrit-il.


Mon collègue Michel David dit souvent que les tendances démographiques prennent du temps à se manifester mais que, quand on les découvre, il est souvent trop tard pour les corriger. La Suède est en train de l’apprendre à ses dépens.


> La suite sur Le Devoir.



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