La peur de la troisième défaite

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La peur paralyse. Il faut donc surmonter la peur !

C’est un ami qui m’a suggéré cette formule hier soir lors d’un souper : les souverainistes, disait-il, doivent se libérer de la peur panique de la troisième défaite. Terrorisés à l’idée qu’un autre échec référendaire serait fatal pour le projet souverainiste, et peut-être même pour le peuple québécois, qui verrait là s’anéantir son dernier espoir d’être un jour indépendant, les souverainistes n’en finissent plus de chercher une stratégie alternative pour éviter d’en venir au troisième référendum, pourtant inévitable pour ceux qui veulent faire du Québec un pays. Ils sont tétanisés par la perspective de cet ultime échec et préfèrent se présenter comme les gardiens de l’espoir plutôt que comme des naufrageurs sacrificiels au service d’un idéal si puissant qu’il les rendrait aveugles au réel. Il n’a pas tort de présenter les choses ainsi. À bien des égards, il parlait des souverainistes comme moi.
Car cette peur, je la ressens intimement. Je ne suis évidemment pas le seul. Elle est dominante chez les indépendantistes qui sont persuadés qu’il ne reste au Québec qu’une seule chance. Samedi dernier, avec d’autres amis, nous parlions de l’avenir du Québec. C’est-à-dire, de l’avenir de la souveraineté, et dans les circonstances, de l’avenir du PQ, une discussion que poursuivent les intellectuels nationalistes depuis plusieurs décennies, je le devine. Le parti souverainiste doit-il miser sur l’indépendance ou plutôt la mettre en veilleuse? Faut-il souhaiter le rassemblement de tous les nationalistes dans un seul parti fondé sur un nouveau pacte autonomiste ou doit-on espérer qu’ils se partagent la carte électorale dans une grande coalition antilibérale? Une seule certitude autour de la table: l’indépendance n’est pas pour demain. Nous la souhaitons tous ardemment et nous étions persuadés qu’en y courant, nous provoquerions son ultime défaite.
Pourtant, me disait mon ami d’hier, la troisième défaite peut prendre un autre visage : le consentement lent, résigné et inconscient au Canada, l’indépendance devenant au fil du temps un rêve brumeux, lointain, sans consistance politique. Bien sûr, on espérera un grand vent historique, dégageant d’un brumeux avenir provincial des possibles politiques inattendus, mais pratiquement, on se laissera mourir à petit feu comme peuple dans un Canada qui nous aura vaincus mentalement. Le Québec deviendra la province bilingue du Canada multiculturelle et ne comprendra plus ses velléités indépendantistes d’autrefois. Et un jour, la démographie aura tranché. Il faudra alors faire son deuil politiquement du pays. Il restera certainement une bande d’indépendantistes irréductibles et désespérés. Ils seront condamnés à une existence presque sectaire. Le troisième référendum sera cruel: ce sera celui que nous n’aurons même pas pu tenir.
Faut-il pour autant faire une ode au volontarisme indépendantiste, en redécouvrant l’entêtement admirable de Jacques Parizeau en 1995? Peut-être bien. On s’en souvient, personne, à ce moment, ne voulait du référendum, et au sein de son propre gouvernement, Parizeau manquait d’alliés. Et pourtant, Parizeau était convaincu d’une chose : il fallait foncer. Forcer les Québécois à choisir, à trancher. Une chose est certaine pour lui : l’indépendance ne viendra pas toute seule. Les grandes réalisations historiques reposent à bien des égards sur une décision : l’homme politique d’exception sait qu’il s’engage dans un quitte ou double. En 1995, Parizeau a perdu, mais il aurait bien pu réussir. Parizeau a joué seul contre à peu près tout le monde. Quiconque étudie l’histoire constatera que les grands destins ont souvent ce visage.
On sait que la situation est difficile pour les indépendantistes. Si les Québécois étaient soumis à un référendum en ce moment, ils en profiteraient certainement pour se débarrasser définitivement du camp national. La tentation est forte au Québec en ce moment de se délivrer de soi-même et d’en finir avec un idéal marqué du sceau de l’échec. Et c’est la tentation nihiliste d’en finir avec soi qui se dissimule sous certaines représentations discutables du progrès, généralement assimilé au déracinement. Le système médiatique pousse à l’abandon de l’indépendance en entretenant cette exaspération. Mais la question se pose : comment les souverainistes pourraient-ils inspirer un peuple s’ils sont convaincus eux-mêmes du caractère inéluctable de leur défaite? A-t-on déjà inspiré une nation avec des soupirs et des lamentations?
C’est ici que mon ami d’hier a raison – ou du moins, a en partie raison. Il faudra une immense volonté, et une certitude politique profonde, presque une foi nationale, en quelque sorte, pour réanimer l’idéal indépendantiste. Comment un indépendantiste peut-il convaincre les Québécois de l’urgence de l’indépendance s’il est le premier disposé à reporter la souveraineté aux calendes grecques? On en appellera évidemment à la mobilisation populaire et à la pédagogie par la société civile. Bien sûr. Mais la politique demeure un domaine où les grands projets s’incarnent dans de grands hommes, des figures d’exception qui assument le destin de leur pays. De ce point de vue, la prochaine course à la direction du PQ sera vitale. Les souverainistes ont besoin plus que jamais comme chef d’un homme d’exception, étranger au moule du politicien traditionnel. Il ne s’agit pas de rêver d’un sauveur mais d’un leader.
Je ne dis pas qu’il faut courir au référendum. Je conserve mes réserves et je redoute encore une troisième défaite qui serait fatale pour notre peuple. Échouer l’indépendance a fait mal et l’échouer définitivement cassera nos ressorts identitaires les plus intimes. Il faut aussi éviter de croire que les Québécois n’attendent qu’un sursaut de résolution de la part des indépendantistes pour se convertir à leur projet, comme s’ils étaient d’abord condamnés non pas pour leurs idées, mais pour leur mollesse. Les souverainistes ne doivent pas seulement fixer une date référendaire, puis s’y ruer. Leur réflexion doit s’accompagner d’une critique en règle du régime canadien et de ses effets déstructurant sur le Québec. Ils doivent aussi travailler à faire renaître l’identité nationale, qui demeure, quoi qu’en disent les belles âmes, le fondement de la lutte pour l’indépendance.
Il s’agit moins, aujourd’hui, de parachever le combat souverainiste des dernières années que de le faire renaître. Chose certaine, toutefois, il faut soulever le tabou référendaire et ne plus se contenter de faire des incantations. On ne sortira jamais le Québec de l’impuissance politique si les souverainistes eux-mêmes continuent de s’en remettre au Saint-Esprit pour que l’indépendance se réalise. Peut-être aussi la seule manière de réconcilier les souverainistes de toutes obédiences est-elle de les unir autour d’un objectif politiquement atteignable. Il arrive des moments dans la vie d’un peuple où il faut savoir défier l’hostilité populaire plutôt que de multiplier les minauderies médiatiques et lancer un appel au pays aussi sincère que profond. Il ne sera pas immédiatement entendu mais travaillera peut-être les consciences et fera renaître une espérance qu’on ne se permettait plus.


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