La pertinence des académiciens

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008



J'aimerais réagir à la Lettre aux membres de l'Académie française publiée par Ivon Balès dans Le Devoir concernant l'opposition de l'Académie à l'inscription des langues régionales à la Constitution. Elle me paraît receler quelques inexactitudes ou sophismes que je souhaite relever.
Sa lettre commence par une hypothèse où il s'agirait d'entendre que la France voudrait supprimer les langues régionales -- «C'est comme si on imposait l'anglais au Québec». Avec à la clef un raisonnement du type alternatif: c'est soit le français, soit les langues régionales.
En fait, il n'y a jamais eu de politique d'éradication. C'est à la fois le français et les langues régionales; c'est l'idée de coexistence qui correspond en fait à la situation française. Le français pour l'espace public et les langues régionales pour l'espace privé. Du reste, ces langues sont reconnues et aujourd'hui on peut passer le bac avec «option langue régionale». Les écoles qui les enseignent sont subventionnées par les pouvoir publics et/ou les municipalités. S'il y avait la moindre menace pour leur survie, ça se saurait! D'où le caractère très étrange de leur inscription dans la Constitution!
Ensuite, contrairement aux affirmations un peu aventurées de Ivon Balès, toutes les langues n'ont pas la même dignité. Même si l'on est linguiste -- et c'est mon cas -- et convaincu de la nécessaire pluralité et survivance de toutes les langues, on ne peut mettre sur le même plan ce qui est une grande langue de culture et un dialecte appauvri. Existe-t-il un Rousseau en occitan, un Tocqueville en basque, un Balzac en ch'ti pour faire allusion à un film récent, un Stendhal en breton, un Montesquieu en catalan?
Si une grande langue est vecteur de culture, on voit mal ce que les langues régionales auraient à nous proposer au-delà du folklore touristique. Hélas! Sauf peut-être le provençal dont s'était nourri Dante Alighieri, mais cela reste une littérature des XI-XIIe siècles! Pourquoi dans ces conditions vouloir «imposer» lyonnais, auvergnat, berrichon, gaga stéphanois et autres à des élèves qui ont déjà bien du mal à maîtriser le français? Ne serait-ce pas les tirer en arrière par le maillot, intellectuellement, s'entend?
Le français s'est construit autour de l'imposition d'une langue nationale. La France est fondée entièrement -- à la différence de l'Allemagne, monoethnique, monoculturelle -- sur une extrême diversité. S'il n'y avait pas eu une langue unitaire qui prenne le pas, sans les supprimer, sur les langues locales, alors il n'y aurait pas eu d'unité politique, pas de puissance publique, pas d'État, pas de civilisation française. Mais historiquement un ensemble flou, à la remorque de quelque Saint-Empire allemand, autrichien ou espagnol.
Ce qui est une donnée pour l'Allemagne, à savoir son unité linguistique de fait, a toujours été une difficulté, une conquête, une création, un fait d'histoire et de culture (de culture littéraire) pour la France. D'où l'hypersensibilité de l'opinion à cette question, qui est avant tout politique, et qui touche à l'existence, au coeur du fait français.
Toucher à la prééminence du français revient bien à s'attaquer à une construction politique multiséculaire qui a coûté tant de drames historiques pour se constituer. Cette vigilance sur le changement de statut des langues régionales, qui seraient inscrites dans la Constitution avant qu'il soit même fait mention du français, n'est pas illégitime et ne relève pas automatiquement de comportements condamnables et taxables d'obscurantisme.
Cette question des langues régionales en Europe est aussi à penser dans le cadre d'une géopolitique bruxelloise d'inspiration germanique. Il y a aujourd'hui en Europe des groupes d'intérêt qui militent pour un reformatage de l'Europe sur un modèle politique impérial. La manoeuvre qui consiste à encourager la reconnaissance de toutes les langues minoritaires n'est qu'un leurre, une stratégie oblique qui vise en fait à déconstruire, à détricoter les nations européennes autres que l'Allemagne, qui toutes incorporent des groupes d'appartenance linguistiquement minoritaires.
Ainsi, subtilement, on ne s'attaque pas frontalement aux États, mais on commence par une reconnaissance linguistique. C'est très «démocratique», ça semble n'engager à rien. Mais à partir de là, c'est le toboggan. De reconnaissance linguistique, on passe à la constitution de «communautés linguistiques», de là à la notion de «groupes ethniques». On monte le tout en mayonnaise et au bout du compte, ce sont des «droits culturels», des «droits spécifiques», des «identités» à respecter, bientôt des «droits politiques» et des minorités tyranniques qui, comme en Corse, n'auront de cesse de se dissocier de l'ensemble national.
Bruxelles a alors réussi son pari et peut régner en maître dans cette confusion. Ces fictions identitaires vont permettre de constituer à terme autant de confettis politiques désarmés, mais dépendants face à un pouvoir bruxellois de plus en plus fort. Ce retour au babélisme avec guérillas communautaires comme en Belgique, en Espagne, en Italie du Nord, ce retour aux tribus, cette libanisation programmée de l'Europe, n'est-ce pas quelque peu régressif?
Comme quoi, la grille de lecture «politiquement correcte» faite d'écologisme extrapolé, d'égalitarisme obsessionnel, de démocratisme radical et de marxisme résiduel ne constitue par un ouvre-boîte universel. Les académiciens ont peut-être bien des torts. Mais ils ont répondu avec pertinence à une provocation et à un vote irresponsable de la part des députés français. Mais que Ivon Balès se rassure. Le projet de déconstruction des nations européennes par le biais des langues reviendra très vite sur le tapis. Pas d'inquiétudes là-dessus.
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Jean-Claude Monneret, France


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