Essayiste marginal dont les ouvrages ne sont pas conçus pour faire la manchette, Paul-Émile Roy est néanmoins l'auteur d'une œuvre relativement importante qui brille par sa constance. Défenseur de l'héritage catholique du Québec, souverainiste résolu et, surtout, champion d'une vie vécue avec la culture, aussi bien universelle que québécoise, Paul-Émile Roy se nourrit notamment de la pensée d'un Pierre Vadeboncœur, dont il offre une version vulgarisée et plus conservatrice.
Aujourd'hui, l'essayiste ressent le besoin de faire le point sur son parcours, pas tant pour se raconter lui-même que pour jeter un regard sur l'époque. «Je tente, écrit-il dans Le Mouvement perpétuel. Itinéraire d'un Québécois candide dans la modernité, de rendre compte de ce qui s'est passé autour de moi, dans la société, dans le monde.»
Né en 1928 dans un Québec qui vivait encore au rythme de la tradition, Roy vit son grand âge dans une société moderne, voire postmoderne, qui a peu en commun avec celle de sa jeunesse. Dans ce gros ouvrage qui n'évite pas les redondances multiples, il propose une sorte de bilan, senti mais trop souvent marqué par l'amertume, du passage du Québec à la modernité.
Élevé à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, Roy affirme avoir vécu ses années d'enfance et d'adolescence «comme des moments de ferveur, de découverte, de désir et d'exaltation». Il évoque un monde habité par le sens du passé et de la transcendance, dans lequel la relation concrète de l'homme avec le temps et la nature se caractérise par un désir de mouvement dans la stabilité. «Je dirais, écrit Roy, que le monde d'hier était un monde habité alors que celui du troisième millénaire tend à devenir de plus en plus virtuel, abstrait.»
Quand ses parents lui racontaient le passé familial, vécu à Saint-Cyprien, au Québec, ils n'avaient que des merveilles en bouche. Pieux mensonges, inspirés par la nostalgie? Non, réplique Roy. «Ils dégageaient le sens d'une existence.» Lui-même ne procède pas autrement. «Je ne distingue pas très bien ce qui dans ce récit relève de l'imagination et ce qui relève de la mémoire. [...] En dernière analyse, c'est de l'existence tout simplement que j'essaie de rendre compte, sans hésiter à recourir à la fiction quand je veux mieux évoquer la réalité.»
Roy raconte ses années de collège classique, au séminaire Sainte-Croix à Saint-Laurent, avec effusion. Il chante le dévouement des religieux éducateurs et la riche vie intellectuelle de cet univers. Il va même jusqu'à affirmer que «les collèges classiques étaient beaucoup plus respectueux de l'autonomie de l'enfant que les institutions éducatives actuelles». Roy, qui reste convaincu que la culture a besoin d'une dimension religieuse, sera ordonné prêtre en 1954.
Une nostalgie teintée d'amertume
Il entre, on l'aura remarqué, beaucoup de nostalgie dans ce portrait du passé. Roy ne s'en excuse pas. «Notre époque, écrit-il, condamne la nostalgie parce qu'elle se replie sur l'instant. La nostalgie est la marque de la conscience du temps. J'ai conscience que les choses mortes sont à l'origine de ce que je suis, que des choses sont disparues dans le temps. On peut être nostalgique et ouvert sur le futur.» Il a raison. Le problème survient, toutefois, quand cette saine nostalgie se teinte d'amertume. Or Roy a beau s'en défendre, son livre en est plein.
La Révolution tranquille, lance-t-il en reprenant un de ses thèmes de prédilection, a avorté et s'est «transformée en une forme vulgaire de capitulation tranquille». Après elle, les Québécois refusent le passé, méprisent leur héritage catholique, l'école devient un lieu d'inculture, la question nationale est dans un cul-de-sac et le conformisme marchand est devenu le nouveau dogme. Ces critiques contiennent une bonne part de vérité, mais manquent ici totalement de nuance.
La disparition d'une culture première, nourrie d'un sens de la tradition et de la religion, au profit d'un individualisme marchand privé de tout ancrage culturel — le remplacement de l'église par le centre commercial, en d'autres termes — est certes un des drames de la modernité. Roy n'a pas tort de le rappeler, mais il a tort, par ailleurs, de négliger les bienfaits d'une modernité qui a démocratisé l'instruction (où Roy veut-il en venir en déplorant que, quand «l'État prend en main l'enseignement, l'école perd son autonomie»?), qui a libéré, sur le plan social, les femmes et qui n'est pas dépourvue de valeurs morales.
Roy dit avoir quitté l'état clérical, en 1973, parce qu'il considérait que l'Église «s'était encombrée au cours des siècles de tout un appareil de traditions, de folklore, de schèmes moraux, etc., qui était devenu étouffant, lourd, aliénant». Or il écrit, dans cet ouvrage, que l'avortement «est en soi une monstruosité» à laquelle il faut s'opposer radicalement comme... mère Teresa! Il ajoute que «c'est un conformisme sordide qui a poussé à l'adoption du mariage des homosexuels» et que «la femme était plus l'image de Dieu quand elle renonçait au pouvoir que depuis qu'elle est entrée en compétition avec l'homme». Les schèmes moraux étouffants du Vatican, ici, ne sont pas loin.
«Nous devons nous garder le plus possible de toute pensée d'amertume ou de mélancolie à l'endroit de notre temps, écrivait Claude Ryan dans son Testament spirituel (Novalis, 2004). Nous devons au contraire chercher à le connaître, à le comprendre et à l'aimer sans cesse davantage.» En essayiste nostalgique qui plaide pour une reconnaissance active du passé afin de donner plus de profondeur au présent, Paul-Émile Roy fait oeuvre utile. En «homme déçu» qui oppose un passé idéalisé à un présent méprisable parce qu'insignifiant, il étouffe le lecteur plus qu'il ne le stimule.
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louisco@sympatico.ca
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o Le Mouvement perpétuel - Itinéraire d'un Québécois candide dans la modernité
o Paul-Émile Roy
o Bellarmin
o Montréal, 2010, 480 pages
Essais québécois
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