La nation? Quelle nation?

La nation québécoise vue par les fédéralistes québécois


Habile, Stephen Harper? Encore plus qu'on ne le croit! Lisez bien le texte (en particulier le texte anglais) de sa fameuse résolution-surprise sur la "nation" et vous verrez que loin de reconnaître le territoire politique du Québec comme nation, ce que reconnaît cette résolution, c'est la nation canadienne-française.
Premièrement, la résolution parle non pas du Québec, mais des "Québécoises et des Québécois". La distinction est capitale: on ne réfère ni à l'entité politique du Québec, ni à la province, ni à ses institutions, mais à des individus.
Deuxièmement, le texte anglais parle non pas des "Quebeckers", mais des "Québécois". Si M. Harper avait voulu désigner tous les résidants du Québec, il aurait utilisé le mot "Quebecker". Pourquoi ce mot français incongru dans un texte anglais?
La raison est évidente. C'est que dans la langue populaire, le mot "Québécois" en est venu à désigner les Canadiens français, ce vieux peuple qui a perdu son nom quelque part durant les années 70.
Quand les anglophones parlent des francophones de vieille souche, ils utilisent le mot "Québécois" plutôt que "Quebecker". Ce dernier mot est réservé aux questions d'ordre institutionnel: les "Quebeckers" ont en commun la carte de l'assurance maladie, le permis de conduire, le droit de vote au provincial, etc. Mais quand un anglophone veut désigner un Canadien français, il utilise le mot français.
Même chez les francophones de vieille souche, le mot "Québécois" est devenu, dans la langue populaire, synonyme de "Canadien français".
On dira, par exemple: "Dans ma classe, il y a autant d'Arabes et de Haïtiens que de Québécois." Ou alors, parlant d'un Juif pourtant né au Québec: "Il a épousé une Québécoise." Souvenez-vous de René Lévesque, alors qu'il annonçait la nomination de Robert Boyd à la tête d'Hydro-Québec: avec un clin d'oeil, il soulignait que M. Boyd était "un bon Québécois" (sous-entendu: malgré son patronyme écossais).
C'est donc sur cette confusion sémantique que M. Harper a joué pour réduire la portée de sa résolution. La nuance a échappé à presque tous les commentateurs, qui se sont réjouis trop vite (ou ont trop vite crié au meurtre).
Ce texte ne pourra jamais servir à redéfinir les pouvoirs du Québec parce qu'il ne concerne pas la province comme entité politique, ni même la totalité de sa population. En fait, la résolution de l'aile québécoise du PLC allait beaucoup plus loin car c'est "le Québec" qu'elle reconnaissait comme nation.
Cette résolution n'englobe pas les minorités québécoises, qui d'ailleurs ne se considèrent pas membres d'une "nation québécoise". Elle ne donne aucun statut particulier au Québec comme province. Elle s'inscrit en droite ligne dans la thèse des "deux nations" chère à André Laurendeau, Claude Ryan ou l'ancien chef conservateur Robert Stanfield.
D'ailleurs, les déclarations de M. Harper, mercredi, sont sans équivoque. En évoquant une communauté liée non pas seulement par la langue mais par une histoire "de près de 400 ans", en mentionnant l'épopée de Champlain, il est clair que la "nation" dont parle M. Harper est celle que forment les descendants des colons de la Nouvelle-France (à laquelle, bien sûr, se sont intégrés des individus d'autres souches, par mariage ou par choix.)
Le problème conceptuel de cette résolution est d'ignorer les minorités françaises des autres provinces, qui font elles aussi partie de la nation canadienne-française.
Cette confusion entre "Québécois" et "Canadien français", c'est la confiscation par le groupe ethnique majoritaire d'un vocable censé désigner indistinctement tous les résidants du Québec. Mais c'est aussi le retour du refoulé. En bannissant, pour des raisons stratégiques, les mots "canadiens français" du vocabulaire usuel, les souverainistes ont fait qu'un peuple de sept millions d'habitants (le plus ancien d'origine européenne au nord du continent) a perdu son nom, du moins au Québec.
L'expression "francophone" est inadéquate car elle désigne tout autant les Marocains et les Haïtiens dont le français est la langue maternelle. Idem pour l'expression "Québécois de vieille souche", qui s'applique tout autant à la vieille minorité anglophone du Québec. Pour être exact, il faudrait parler des "Québécois francophones de vieille souche". C'est trop long. Donc on dit "Québécois", dans le sens ethnique du mot.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé