Le texte d’Eric Mendelsohn, paru le 18 juin dans Le Devoir, est un véritable festival de faussetés et de mauvaise foi. L’avocat montréalais y prétend que la loi 21 opère un virage constitutionnel sans précédent et dénature les chartes canadiennes et québécoises des droits, comme si c’étaient les chartes et non la souveraineté du peuple qui étaient le fondement de la démocratie, et comme si ces deux chartes ne prévoyaient pas explicitement la possibilité de dérogation :
Charte canadienne, art. 33 : « Le Parlement et toute législature provinciale peuvent adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 [droits fondamentaux] ou 7-15 [droits juridiques] » [à noter qu’aucune condition n’est posée à l’utilisation de dérogation relativement aux droits indiqués] ;
Charte québécoise, art. 9.1 : « Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. »
Charte québécoise, art. 52 : « Les lois ne doivent pas déroger aux droits fondamentaux, sauf dans la mesure où les articles le prévoient, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la charte. » [Ici aussi, aucune condition.]
La conclusion qu’en tire l’avocat est totalement arbitraire. Selon lui, la loi 21 « renonce à la notion inclusive du peuple québécois, remplacée par celle de la nation québécoise définie par ses caractéristiques propres incluant son attachement à la notion de laïcité », donc la nation canadienne-française de souche : ce faisant, selon lui, « la minorité anglophone et les minorités ethniques sont évincées du nous québécois ». Et comme beaucoup d’autres depuis quelque temps qui se mêlent de réécrire l’histoire pour les besoins de leur cause, il prétend qu’à l’inverse, la loi 101 était inclusive. Quel historien !!! Et quel logicien !!!
Tout d’abord, la nation et le peuple québécois sont une seule et même chose : il s’agit de cette collectivité sociale et politique issue du peuplement français, aujourd’hui concentrée sur le territoire du Québec, qui parle français comme langue commune, à laquelle se sont jointes, au cours des ans, des vagues d’immigrants qui s’intègrent progressivement à la nation ou peuple québécois, tout en conservant leur héritage d’origine. La loi 101 n’était pas plus inclusive ni plus exclusive des minorités anglophones et allophones que ne l’est la loi sur la laïcité : elle proclamait le français comme langue commune et langue obligatoire de l’éducation publique, sauf pour les enfants des anglophones nés et instruits au Québec en anglais. La clause Canada a élargi cette exception aux anglophones nés et instruits au Canada à la suite de poursuites. D’ailleurs, des milliers d’anglophones choisirent de quitter le Québec.
Cette distinction entre nation (comprise au sens ethnique) et peuple québécois est une invention pure et simple de ceux qui tiennent absolument à opposer les minorités aux Canadiens français, à refuser le caractère distinctif de la société et de l’État québécois et à traiter les Québécois de racistes. Cette opposition n’existe pas comme telle. Il y a, ici comme ailleurs, des incidents et des zones de racisme, mais la citoyenneté québécoise, en théorie et en pratique, inclut tous les Québécois, unis à la base par une langue et une culture communes. C’est la langue, à la base, qui crée le pays, la nation, le peuple, la citoyenneté. D’où l’importance de la francisation des immigrants et de leur intégration culturelle. La laïcité fait désormais aussi partie de cette nationalité et citoyenneté québécoise dans laquelle tous les citoyens québécois sont égaux et solidaires.
Laïcité et diversité
La laïcité n’est pas un refus de la diversité : elle ne fait qu’assurer la neutralité religieuse de l’État dans ses actions publiques en rapport direct avec les citoyens. Le Québec n’en tient pas moins pour autant à la diversité qui s’y manifeste de plus en plus, et à son intégration progressive à la nationalité et citoyenneté québécoise. Nous ne voulons pas d’une société compartimentée selon les appartenances ethniques ou religieuses : nous voulons une société de citoyens qui se reconnaît dans une langue et un destin communs, tout en préservant l’héritage culturel de chacun. Il ne s’agit ni de nationalisme ethnique, ni de nationalisme civique, ni de néo-duplessisme, ni de post-nationalisme, ni de multiculturalisme, ni de défense des minorités, ni de société diversitaire : il s’agit de nationalité et de citoyenneté québécoises, ouvertes sur le monde et la diversité, sur l’égalité de tous et la solidarité collective.
De toute évidence, l’article de cet avocat est de l’affabulation et de la mauvaise foi d’un bout à l’autre.