Retour sur une expérience fascinante

La mémoire courte de Québec solidaire

Les leçons à en tirer

Tribune libre

Ayant décidé de travailler pour le Bloc québécois en vue des élections de l’automne au fédéral, je me suis fait demander pourquoi Québec solidaire, parti qui se veut indépendantiste, n’investissait pas le Bloc pour signifier sa volonté d’unité dans un mouvement duquel il se réclame.
Je n’ai su que répondre qu’à Québec solidaire, la volonté de participer à la pleine émancipation politique du Québec ne s’exprime pas, ou très peu, par une aspiration à faire du Québec un pays. La contribution au mouvement indépendantiste chez Québec solidaire ne dépasse pas beaucoup le travail traditionnel des autres partis.
Prétendant que le Parti québécois n’est plus indépendantiste et qu’il manque à son ancien préjugé favorable aux travailleurs, Québec solidaire pense ravir la place hégémonique du Parti québécois sur cette question.
Mais à quel prix pour l’unité des indépendantistes ?
Il n’y a pas grand chose d’original à se proclamer indépendantiste quand on se contente de doubler le PQ sur sa gauche. Pas de voie originale non plus sur la Constituante car son avènement est reporté à une victoire électorale très éloignée. Reproche qui est fait au PQ qu’on accuse d’électoralisme alors que l’on prépare soi-même avec minutie la prochaine élection. Il y a bien sûr un travail entre les élections, mais il est souvent dévoué à offrir dans la rue une opposition en lien avec ce que font les députés à l’Assemblée. De plus, le PQ lui-même participe à ces manifestations. Et Québec solidaire n’a pas du tout le monopole de la rue. Les syndicalistes, les féministes, les écologistes, les communistes libertaires ou autres anarchistes mobilisent sur leur propre base en toute indépendance. Ils-elles viennent grossir les rangs des manifestants sans pour autant se reconnaître dans les stratégies de Québec solidaire.
Il faudra plus qu’un maraudage des péquistes déçus pour voir poindre une éventuelle accession au pouvoir et une opportunité d’enclencher le processus de la Constituante. De toute façon, les péquistes déçus ne sont pas très nombreux et ils ne sont pas automatiquement de gauche. Selon certains de ceux avec qui j’ai échangé, ils se retirent dans leurs terres et plusieurs renoncent tout simplement. Il ne faudrait pas non plus sous-estimer ceux que Pierre Karl Péladeau ramènera au bercail.
Une évaluation objective des capacités de Québec solidaire à faire grossir les rangs des indépendantistes et ainsi prétendre à être la seule option pour arriver à l’aboutissement du projet, ne permet pas de conclure à une façon si singulière de gagner la masse critique qu’il faut ajouter au 40 % de Québécois gagnés à leur liberté nationale. Québec solidaire partage indéniablement une même clientèle électorale que le PQ. Se disputer la tarte n’ajoute pas à la garniture.
C’est ce qui déçoit le plus dans la vie militante à l’intérieur de Québec solidaire. Je me sens autorisé à faire ce constat après avoir sollicité le travail unitaire au sein du Bloc où les partisans de l’unité des indépendantistes pourraient s’identifier à cette famille politique en train de se renouveler autour de l’arrivée de Pierre Karl Péladeau.
Ce qui désole le plus, c’est le renoncement à un des principe de base ayant présidé à l’unité de la gauche québécoise, la lutte contre le sectarisme. En effet, Québec solidaire ne peut se reconnaître que dans la sociale démocratie, à la rigueur un peu plus radicale. Hors le PQ aussi se réclame de cette tendance politique. Il ne s’agit donc plus que d’une querelle autour d’orientations plus ou moins approfondies ou modernisées dans la manière de défendre un courant politique qui a une histoire plus ou moins tourmentée, mais dont les partisans s’entendent sur un programme de changement ou de réforme du capitalisme.
Avec des périodes plus ou moins authentiquement socialiste dans son histoire internationale, la sociale démocratie de gauche a attiré Madame David après un échec à faire plier Lucien Bouchard.
Avec cette conviction que la politique, et l’accession au pouvoir qu’elle demande, allait désormais se jouer en toute transparence chez Québec solidaire, on a laissé tomber l’objectif d’une unité encore plus grande, et chez les sociaux démocrates, et chez les indépendantistes. Cela n’impliquerait nullement l’abandon de quelque programme que ce soit. Les deux tendances pourraient très bien vivre côte à côte dans une coalition, par exemple, avec toutes deux leur histoire, leur bagage théorique et leur tradition militante. Pourquoi ce peu de faculté d’en comprendre les enjeux ? J’en ai bien peur, par manque de confiance de la jeunesse dans le programme de gauche qu’elle s’est donné. D’où une crainte naïve de ne pas encore assez s’affirmer à gauche. Cet extrême pousse à l’insécurité et on refuse des alliances qui feraient pourtant plus tard la fierté de leur parti parce que cette organisation aurait vraiment porté un programme de gauche chez ceux dont les orientations de droite restent fragiles. Ce qui donnerait un poids supplémentaire aux idées de gauche car elles auraient pénétré les rangs de la droite.
Attaquer le PQ et s’isoler d’un champ élargi parmi tous les indépendantistes, feront régresser la gauche politique si elle ne pare elle aussi avec plus de zèle les attaques des fédéralistes contre le Québec.
La recherche d’unité qui avait donné ses lettres de noblesse à une gauche trépignante d’aller au pouvoir pour réaliser son programme innovateur et voulant «dépasser le capitalisme», cette recherche d’unité du plus grand nombre donc sera la pierre d’achoppement de Québec solidaire dans les prochaines années. C’est là que le parti fera ou non ses preuves et démontrera aux yeux de tous son attachement, et à la cause nationale, et à celles des travailleurs, dans une perspective d’émancipation commune.
Admettre qu’au PQ militent une masse critique d’indépendantistes résolus qui ont encore confiance dans leur parti demanderait une bonne dose d’humilité pour l’un des dernier arrivé à la mouvance en faveur de l’indépendance politique du Québec.
Reconnaitre que nous avons un passé duquel apprendre mutuellement tiendrait de l’élémentaire «réalisme optimiste» dont la politique doit se nourrir si elle ne prétend pas repartir à zéro tous les 10 ans.
Si on ne saisit pas l’importance de la lutte au sectarisme et qu’il ne connaît pas de recul chez les solidaires, ils auront à répondre du report de l’échéance indépendantiste parce que l’opportunité actuelle de relance du mouvement risque d’être unique pour des années à venir.
Il est plus souvent des rendez-vous manqués dans l’histoire. Mais ceux qui, à l’avance, planifient les échecs par aveuglement volontaire n’ont qu’eux à blâmer.
Combien on tentera de me faire croire aux «trahisons» du PQ, comme si les fédéralistes ne l’avaient pas attaqué avec virulence toute son histoire, combien on me rappellera le renoncement des plus acharnés indépendantistes, comme s’ils n’y avaient pas un heureux retour du balancier les ramenant au bercail maintenant, je persisterai à évoquer la chance actuelle d’une gauche renouvelée et jeune de faire sa marque dans l’histoire du Québec. Si l’on devait me tenir un discours défaitiste ou une vision embrouillée par le sectarisme, on prêchera dans un désert que j’ai déjà connu comme marxiste-léniniste quand tout s’est effondré sur nos têtes. Tout s’est évanoui devant nous et encore peu sont assez modestes pour admettre que nous nous sommes trompés en attaquant le PQ.
C’est justement cette incapacité à reconnaître certaines erreurs sectaires qui me peine et me fait croire qu’il sera difficile d’apprendre collectivement à faire de la politique autrement. Dans un passé mal digéré, dont plusieurs pourraient acquérir leur maturité politique, beaucoup de solidaire se braquent encore comme du temps des marxistes-léninistes. La jeunesse aurait besoin de sortir d’une histoire apprise seulement dans les livres et très peu dans la persévérance pratique dans un projet subversif pour le Québec et le monde autour de nous.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juin 2015

    «... pourquoi Québec solidaire, parti qui se veut indépendantiste, n’investissait pas le Bloc pour signifier sa volonté d’unité dans un mouvement duquel il se réclame.»

    Je me souviens qu'à sa fondation, les débats ont été rudes et ardus avant que QS finisse par inclure l'indépendance à son programme. Toutefois, il était évident qu'une très grande parti de ses membres était fédéralistes. On a finalement accepté un compromis pour se dire indépendantiste ...conditionnellement à une victoire de la gauche. C'est la branche gauchiste, plutôt que la branche indépendantiste qui a finalement emportée la mise.
    Pour QS, appuyer ouvertement le Bloc serait comme se dire d'abord et avant tout indépendantiste. Un tel engagement serait suicidaire. 40% de ses membres s'empresserait sans doute de déchirer leur carte de membre.
    La stratégie de QS est donc de retenir le plus possible leurs membres indépendantistes. Pour ce faire, ils n'ont d'autre choix que de démoniser la sirène PKP. Ce qu'ils font d'ailleurs avec beaucoup d'ardeur.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juin 2015

    M.Roy, pour doubler le PQ sur sa gauche, il faudrait que le PQ y soit à gauche! J'ai été témoin avec tristesse et désillusion de cette dérive vers la droite d'un PQ qui, ferait-il l'indépendance, ne changerait rien au paysage Québécois! Ce serait «business as usual». Il y aurait seulement plus d'argent pour accorder de grosses subventions aux industries, plus d'argent pour exploiter le pétrole et détruire Anticosti, , pour augmenter le salaire des élus pendant que celle des salariés fond comme neige au soleil; mais pas plus d'argent pour nos services de santé et d'éducation, pour le soutien aux gens défavorisés( rappelons les coupures à l'aide sociale d'Agnès Maltais).
    Qs répète que ce n'est pas un parti qui fera l'indépendance, mais le peuple, à travers une assemblée constituante, et ce sera le peuple qui décidera ce de que sera le pays du Québec en établissant un projet de pays, et non pas le PQ mené par un milliiardaire anti-syndicaliste qui ne sait rien de la réalité du peuple et fort probablement s'en balance, eu égard aux nombreux lock-out qu'il a décrété.

  • Marcel Haché Répondre

    30 mai 2015

    Je ne manque jamais de vous lire, Guy Roy. Puissiez-vous être lu et cette fois entendu par les indépendantistes qui restent encore chez les « solidaires ».
    Qu’il soit dans l’opposition ou au gouvernement, le P.L.Q. Nous a pourtant fait depuis très longtemps cette douloureuse démonstration qu’il est l’ennemi aussi bien de la cause des travailleurs que celui de la question nationale.
    Je partage votre point de vue que le sectarisme pratiqué par Q.S. n’a pas mené la Gauche bien loin… et que ce sectarisme qu’elle pratique encore ne la mènera pas plus loin. Mais Q.S. n’est pas toute la Gauche,…La Gauche « solidaire » piétine et ne l’admet pas encore. Chaque jour qui passe pourtant, le gouvernement en rajoute et Nous démontre à tous, ainsi qu’aux « solidaires », oui, oui, aux « solidaires » aussi, qu’il est au moins autant leur ennemi que n’a pu l’être P.K.P.
    Actuellement, « présentement », y a une p’tite gang au gouvernement du Québec qui est retournée contre Nous. Eh oui, contre Nous tous…Conséquemment, le défi de la Gauche, si tant est qu’il existe une Gauche au Québec, c’est celui de s’inscrire dans le Présent, reconnaître ce défi, plutôt que de faire les batailles du passé ou écrire les contours d’un futur fabuleux. Autrement dit, eh oui, autrement dit : on ne peut pas à la fois suspecter seulement le virage de P.K.P., lui provenant supposément de la grosse drette, et ne pas suspecter celui de T. Mulcair qui provient indéniablement de la même gang qui sévit « présentement » à Québec…Cela n’a strictement aucun sens, ni à gauche, ni à droite, ni nulle part. Toute la gang de béni-oui-oui du N.P.D., tous ceux et celles derrière Mulcair, ne font plus aucun sens pour Nous, précisément parce que toute cette gang ne s’est jamais-jamais-jamais portée à Notre défense. Seul le Bloc, maladroitement parfois, l’a fait.
    Une certaine gauche manque ainsi à tous ses devoirs, dont celui, capital, d’être « présente » lorsque le « Présent » l’exige. Ni l’idéal de gauche ni l’idéal indépendantiste n’ont pourtant jamais été des combats d’arrière-garde.