La langue française est-elle finalement de trop?

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La dame n'est pas digne de l'intérêt qu'on lui porte

Joanne Marcotte publie un texte «éclairant», à sa manière, sur son blogue du Journal de Montréal, où elle explicite, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, le rapport de la nouvelle droite québécoise, dont elle est une porte-parole reconnue, avec la langue française et l’identité québécoise. Je vous invite à lire son texte avant de vous tourner vers celui que vous lisez en ce moment. Car dans ce papier, je cherche à comprendre les présupposés et les conséquences du texte de Joanne Marcotte. Si je comprends bien ce texte :
1) Les Québécois pourraient sacrifier la langue française tout comme ils ont renoncé au catholicisme sans pour autant cesser d’être Québécois? Il s’agirait potentiellement d’un sacrifice stratégique, mais certainement pas d’un stratégique substantiel. Je devine qu’on parlerait encore français ici, personne ne souhaitant consciemment l’extinction de la langue française, mais il ne s’agirait plus que d’une langue sur deux, sans prérogatives singulières. Le Québec deviendrait une société bilingue, et je le devine, un État bilingue, et il ne faudrait avoir aucun problème avec cela.
2) L’entêtement de certains Québécois à maintenir vivante ici une société fondamentalement francophone (c’est-à-dire une société où le français est fondateur des rapports sociaux, où le français est au pouvoir, où le français prédomine, où le français n’est pas qu’une langue sur deux) serait en partie responsable de notre supposé retard économique en Amérique du Nord – autrement dit, la différence linguistique québécoise coûterait cher, peut-être trop cher, et elle ne devrait plus être fondatrice collectivement, ce qui implique évidemment qu’on relativisera son importance quand viendra le temps d’analyser la réussite ou non de l’intégration des immigrants.
3) Je me demande alors ce qui, selon l’auteur, fonde l’identité québécoise dans sa spécificité. Si la langue n’est plus fondatrice (je devine qu’on la considère ici seulement comme un outil de communication, et non pas comme une culture, et encore moins comme une certaine manière de participer à la civilisation) de notre identité, si elle doit plutôt se définir à partir des «valeurs occidentales», comme l’égalité homme-femme, la liberté d’opinion ou la démocratie libérale en quoi le Québec est-il alors différent du reste de l’Amérique du Nord ou du Canada anglais ? Qu’est-ce qui fait que le Québec est le Québec et non pas le Wisconsin ou l’Ontario?
4) La conscience (et la défense) de la singularité québécoise ne serait-elle finalement, selon l’auteur, que la conséquence malheureuse d’un nationalisme exacerbé entretenu par des élites déconnectées du Québec populaires, et incapables de comprendre sa lassitude envers la cause du français ? Et derrière la défense de l’identité québécoise telle que l’entendent ceux qui l’associent substantiellement à la langue française, doit-on comprendre qu’il n’y a rien d’autre que la haine de l’anglais et de l’Anglais (les rapports de pouvoir potentiellement conflictuels entre deux langues au sein d’une même société doivent-ils d’ailleurs se comprendre d’abord comme l’expression d’une «haine»?) Autrement dit, l’identité nationale québécoise n’est-elle qu’un fantasme élitiste et néo-clérical justifiant les pouvoirs d’une élite enfermant la population dans un ghetto linguistique appauvrissant?
5) Cela revient-il à dire que le Québec n’est pas une nation à part entière mais une société cultivant exagérément le sentiment de sa différence, à l’avantage d’une élite intellectuelle et bureaucratique ayant succédée à l’élite cléricale d’autrefois? De ce point de vue, l’émancipation des Québécois passerait-elle par une rupture assumée et radicalisée avec leur passé français qui les enfermerait dans un avenir trop petit, trop étroit. N’est-ce pas insensé, diront certains, de vivre en Amérique du Nord, et de s’ancrer consciemment et volontairement à la périphérie de l’empire anglo-américain? Mais je me demande alors : comment comprendre la quête historique des Canadiens français, puis des Québécois, pour préserver leur langue et constituer une communauté politique dont elle est la norme identitaire?
6) J’ajoute une question, un peu extérieure au texte, mais certainement pas extérieure à sa logique. Dans la mesure où l’État-nation représente le cadre politique privilégié à travers lequel les «valeurs occidentales» ont pris forme, parce que personne n’est «Occidental» en soi (on est Occidental en tant qu’on est Italien, Danois, Américain, Français, Allemand, etc., l’Occident étant la civilisation qui s’est politiquement et culturellement constitué à partir de la pluralité de ses nations) en quoi les Québécois peuvent-ils en faire l’économie, s’ils sont une nation? Si nous devons faire le choix des valeurs occidentales, ce dont je ne disconviens pas, pourquoi devons-nous sacrifier le cadre qui a rendu possible leur éclosion et leur déploiement? La possibilité pour une nation de s’autodéterminer n’est-elle pas une valeur occidentale importante?
Il se peut que ma compréhension de ce texte soit inadéquate, et dans ce cas, je veux bien qu’on m’éclaire. Mais si je ne me trompe pas, je me demande si l’auteur assume pleinement, en dernière analyse, les présupposés et les conséquences de son analyse.


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