La laïcité à la montréalaise

073ca86e553299763e613e5575071a96

« La cheffe de Projet Montréal semble s’acharner sur la religion historique du Québec tout en défendant les autres confessions, une position bien difficile à justifier. »

Mercredi dernier, Valérie Plante a profité de rénovations à l’hôtel de ville de Montréal pour annoncer que le crucifix de la salle du conseil de ville serait retiré de façon à « reconnaître la laïcité de l’institution ». Soit.


Ceci dit, la mairesse de Montréal, dès l’élection du gouvernement Legault, a affirmé qu’elle défendrait toujours « les intérêts des Montréalais et Montréalaises, peu importe qui ils sont et ce qu’ils portent », dans une grande envolée lyrique si caractéristique des dirigeants de la métropole. Manifestement, la laïcité n’est pas une grande préoccupation pour la cheffe de Projet Montréal, et nul doute qu’elle s’opposera bec et ongle à la loi du ministre Jolin-Barrette lorsqu’il la déposera.


Lorsque le conseiller Marvin Rotrand avait proposé de confessionnaliser le SPVM en y normalisant les signes religieux, tout le contraire de la laïcité, Valérie Plante s’était montrée tout à fait enthousiaste. Où est donc la logique dans l’action de la mairesse Plante, décrochant le crucifix au nom de la laïcité tout en se battant pour la présence des signes religieux dans les officines de l’État?


La laïcité est un compromis


À l’ère des migrations de masse et de la mixité religieuse, la laïcité se présente comme un compromis, une façon de créer en l’État une force neutre, ne représentant aucune religion et permettant justement à tous d’être égaux devant le gouvernement, peu importe leur religion. C’est de cette logique dont découle l’idée que ceux qui incarnent le pouvoir étatique, soient-ils enseignants, policiers ou juges, ne puissent représenter leur religion alors qu’ils représentent simultanément l’autorité politique.



La cheffe de Projet Montréal semble s’acharner sur la religion historique du Québec tout en défendant les autres confessions, une position bien difficile à justifier.



Dans l’absolu, l’État laïque n’accorde aucun passe-droit à une religion plutôt qu’aux autres. À l’inverse, il ne peut chercher à effacer les symboles d’une religion tout en chérissant ceux de toutes les autres, sous peine d’être discriminatoire envers celle-ci. C’est pourtant ce qu’a choisi de faire Valérie Plante en congédiant le crucifix tout en chérissant la kippa, le voile et le kirpan.


À ce niveau, Lionel Perez, chef de l’opposition à l’hôtel de ville de Montréal, est mille fois plus logique que la mairesse : il siège en portant la kippa, mais s’est opposé au retrait du crucifix justement parce qu’il défend un multiculturalisme fièrement canadian qui cultive les étiquettes religieuses. La cheffe de Projet Montréal, de son côté, semble s’acharner sur la religion historique du Québec tout en défendant les autres confessions, une position bien difficile à justifier.


Majorité et minorités


Si le débat sur la laïcité est l’enjeu de polarisation principal au Québec depuis plus d’une décennie, c’est bien parce qu’il touche aussi à d’autres questions, notamment la place de la majorité et celle des minorités dans le Québec du XXIe siècle. Habituellement, c’est lorsque l’on s’aventure en ces eaux que la controverse éclate et que certains sont tentés de prôner des exceptions à la laïcité souhaitée.


On cite souvent en exemple les soi-disant « catho-laïques », soit les partisans d’une charte de la laïcité qui sont contre le retrait du crucifix à l’Assemblée nationale pour des raisons historiques. Ces personnes, Mathieu Bock-Côté en tête, ne sont pas plus pratiquants ou catholiques que les autres, mais voient en le crucifix plus qu’un signe religieux. Si, lors de son installation sous Duplessis, le symbole représentait clairement l’emprise du Bon Dieu sur l’Assemblée, certains le voient aujourd’hui comme un simple rappel de l’héritage occidental et judéo-chrétien du Québec, un legs qu’il ne faudrait pas perdre de vue à l’heure des migrations de masse.



Si, lors de son installation sous Duplessis, le symbole représentait clairement l’emprise du Bon Dieu sur l’Assemblée, certains le voient aujourd’hui comme un simple rappel de l’héritage occidental et judéo-chrétien du Québec



L’Église catholique romaine ayant été complètement dégriffée et délaissée au Québec depuis des décennies déjà, il serait erroné d’accuser François Legault de prosélytisme, lui qui disait tout récemment vouloir préserver le crucifix. Il s’agirait davantage d’une affirmation de la primauté des valeurs occidentales sur le territoire et d’un devoir de mémoire, un signe foncièrement religieux dont on ne reconnaîtrait plus que le second symbolisme, essentiellement. N’en demeure pas moins que le crucifix est, quoiqu’on dise et quoiqu’on fasse, un symbole éminemment religieux.


À l’opposé, il est plus rare d’entendre parler de « multicu-laïques », même s’ils existent tout autant. Principalement francophones et multiculturalistes, ils sont persuadés que toute affirmation de la primauté d’une majorité au Québec est foncièrement raciste et sont donc prêts à liquider leur héritage religieux au nom de « l’ouverture à l’autre », sans pour autant remettre en question les symboles ostentatoires de religions minoritaires. Québec Solidaire, notamment, a toujours été plus vocal par rapport au retrait du crucifix qu’au balisage des signes religieux dans la fonction publique.



Les sont « multicu-laïques » persuadés que toute affirmation de la primauté d’une majorité au Québec est foncièrement raciste et sont donc prêts à liquider leur héritage religieux au nom de « l’ouverture à l’autre », sans pour autant remettre en question les symboles ostentatoires de religions minoritaires.



Une fois que les militants multiculturalistes auront eu gain de cause au congrès et que la formation reniera officiellement le rapport Bouchard-Taylor, QS confirmera son positionnement et rejoindra Valérie Plante, prêchant à la fois l’effacement du patrimoine religieux québécois et la mise de l’avant des particularismes religieux.


Une « laïcité » à l’image de la métropole


Malgré son aspect contradictoire avec le principe de laïcité, la position de Valérie Plante est faite sur mesure pour son électorat, et elle en est assurément bien au fait. Voilà des années que Montréal est devenue la capitale du multiculturalisme au Québec, glorifiant les particularismes avec autant d’ardeur qu’elle relègue le français au statut de langue seconde. Comment se surprendre que lorsque la mairesse parle de laïcité, ce soit seulement pour remiser un symbole de la majorité francophone, de moins en moins chez elle au sein d’une métropole qui se sépare du Québec chaque jour davantage?