La gauche israélienne est en tête dans les sondages

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Nétanyahou : tous les ingrédients du mécontentement

Le 9 mars, Benyamin Nétanyahou a fait une visite impromptue au marché central de Mahane Yehuda, à Jérusalem. Le chef du gouvernement israélien s’est arrêté dans un bistrot pour boire un café. Le maître des lieux l’a servi, avant de faire un geste de défi facétieux : il lui a rendu 87 shekels (20 euros) en petite monnaie. Interrogé à la télévision, le patron de l’établissement a expliqué que les entrepreneurs connaissaient intimement les difficultés de la vie quotidienne, tandis que M. Nétanyahou ne se préoccupait que du nucléaire iranien.

Anecdotique ? Non, symptomatique. La fin de la campagne électorale a été marquée par une succession de désagréments pour le premier ministre, qui brigue un quatrième mandat. Le scrutin du 17 mars demeure indécis. L’émiettement du champ politique rend toute prédiction hasardeuse, d’autant qu’une autre phase commencera après le dépouillement : la quête pénible d’une coalition composée d’au moins 61 députés de la Knesset sur 120. Mais la dynamique est claire. « On assiste à un effondrement du Likoud, tranche le conseiller Motti Morell, vétéran des campagnes électorales en Israël. Tous les ingrédients du mécontentement étaient là depuis longtemps. »

Les sondages indiquent effectivement une érosion du parti de M. Nétanyahou. La presse regorge de propos de cadres anonymes, témoignant du pessimisme et des divisions en interne. Le centre gauche, l’Union sioniste, se maintient en tête à un niveau constant, autour de 24 sièges. Pour la première fois depuis 1999 et la victoire d’Ehoud Barak, un possible retour de la gauche se dessine. Personne ne l’envisageait sérieusement à l’annonce d’élections anticipées.

« L’électeur est un enfant de 4 ans »

Le duo constitué par Isaac Herzog, le chef du Parti travailliste, et Tzipi Livni, qui a souvent changé d’adresse dans sa carrière, mise sur l’envie de changement. Le ressentiment et la lassitude envers M. Nétanyahou forment le meilleur carburant de l’Union sioniste, qui appelle au vote utile pour l’évincer. « Bibi » est aux abois. Il a improvisé une tournée des chaînes de télévision, jeudi, afin de dramatiser la perspective d’une alternance.

En décembre, Yaïr Lapid, le chef du parti centriste Yesh Atid, expliquait qu’aux yeux de M. Nétanyahou « l’électeur est un enfant de 4 ans, avec lequel deux choses seulement marchent : les sucreries et la peur ». « Dès lors, à chaque élection, il leur promet des sucreries qu’ils n’auront jamais, et leur dit que l’ennemi arrive, et que lui seul peut les sauver. » Cette semaine, le premier ministre a dénoncé un « vaste effort mondial » pour le faire tomber. Ce complot aurait notamment pour but de promouvoir la Liste unie des partis arabes, en troisième position dans les intentions de vote. Son leader, Ayman Odeh, révélation des dernières semaines, ne cache pas sa volonté de mettre un terme à l’ère Nétanyahou. Mais il n’entrera pas dans un gouvernement de centre gauche.

LE DUO CONSTITUÉ PAR ISAAC HERZOG, LE CHEF DU PARTI TRAVAILLISTE, ET TZIPI LIVNI, QUI A SOUVENT CHANGÉ D’ADRESSE DANS SA CARRIÈRE, MISE SUR L’ENVIE DE CHANGEMENT

La campagne n’a guère été passionnante, marquée par des fièvres brèves et intenses. « Bibi » a pris un risque en misant beaucoup sur son discours devant le Congrès américain, le 3 mars. La prestation, saluée par les commentateurs israéliens sur le fond, a aggravé la fissure diplomatique sans précédent avec le grand frère américain. En outre, le calcul de M. Nétanyahou a échoué : recentrer la campagne sur la sécurité, dont il prétend être le meilleur garant. Une idée contestée. La guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza, à l’été 2014, a suscité les critiques de la droite nationaliste comme de la gauche. Non pas en raison des 2 100 victimes palestiniennes, mais d’une absence de victoire claire.

Plus grave encore pour le premier ministre, la sécurité n’est pas la préoccupation du moment. Un calme précaire règne dans les territoires occupés, Jérusalem-Est s’est apaisée après les émeutes et les attaques de l’automne 2014. Le nucléaire iranien semble beaucoup plus abstrait que le coût exorbitant du panier de la ménagère. Depuis le gigantesque mouvement social contre la vie chère à l’été 2011, il y a eu peu de changement. La crise du logement et les écarts de revenus dessinent une société libérale précarisée. En négligeant ces thématiques, le Likoud a laissé le champ libre à la gauche et à deux formations centristes : Yesh Atid et la dernière venue, Koulanou, dirigée par Moshe Kahlon, que le premier ministre avait poussé hors du Likoud.

Promesses, compromis et renoncements

L’image de Yaïr Lapid, ancien journaliste devenu chef de file de Yesh Atid, avait beaucoup souffert de son passage au gouvernement. Mais les commentateurs lui reconnaissent une campagne de terrain réussie. Il espère ainsi limiter les pertes à la Knesset, après avoir été la grande surprise du scrutin précédent, en janvier 2013 (19 sièges). Moshe Kahlon, lui, pourrait siphonner une partie de l’électorat du Likoud. Il prétend faire baisser le coût de la vie en s’attaquant aux monopoles, comme il l’avait fait au gouvernement dans le secteur de la téléphonie mobile. Sa référence est Menahem Begin, qui avait conduit le Likoud à la victoire en 1977.

Ces deux formations centristes risquent de jouer un rôle majeur dans la phase post-électorale. Quel sera le prix de leur ralliement ? Chaque coalition est la somme douloureuse de tractations, de promesses, de compromis et de renoncements. Il faut réunir autour d’une table des forces situées aux deux bouts de l’échiquier. En 2009, le parti centriste Kadima, bien qu’arrivé en tête, n’avait pu constituer une majorité, s’effaçant devant le Likoud. Si l’Union sioniste échouait également, malgré une victoire dans les urnes, le président Reuven Rivlin pourrait proposer un gouvernement d’union nationale avec le parti de M. Nétanyahou, qui a rejeté cette idée. Mais il existe des inconnues avant cette phase future. D’abord, l’ampleur d’une éventuelle victoire du centre gauche, et la dynamique qu’elle créerait. Ensuite, il y a la donne psychologique entre les leaders politiques. A droite, tous les chefs de parti ont des rapports exécrables avec le premier ministre actuel. A la fois par esprit de vengeance et par calcul, en pensant à la lutte pour sa succession, ils pourraient être tentés de le bloquer.


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