La francophonie politique dans tous ses états

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La France se désintéresse de son rayonnement international







Comme ambassadrice ou comme directrice générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) – devenue Direction générale de la mondialisation – l’auteure Anne Gazeau-Secret a toujours défendu la dimension francophone et la diplomatie culturelle qui l’accompagne. Elle continue à le faire au travers de rapports, souvent alarmants et sans langue de bois. 

La Rédaction

La francophonie est-elle une cause perdue ? Ou demeure-t-elle un atout essentiel dans la course mondiale au développement de l’influence, ce que Joseph Nye a nommé dès les années 90 le softpower ? Les rapports sur le sujet se sont succédé, concluant tous qu’il allait de l’intérêt national de lui redonner visibilité et dynamisme mais, comme c’est hélas l’habitude en France, ils ont été immédiatement remisés dans le fond des tiroirs des décideurs politico-administratifs (sauf pour ce qui concerne l’idée d’une francophonie économique qui a fini par percer) : celui d’Hervé Bourges de fin 2007 « La renaissance de la Francophonie », ou encore plus récemment celui de Jacques Attali d’août 2014 « La francophonie et la francophilie, moteurs de la croissance durable ». Celui de Pouria Amirshahi, député des Français de l’étranger, sur « La francophonie : action culturelle, éducative, et économique » de janvier 2014. Ou encore le rapport d’information de la Commission des finances de l’Assemblée nationale de décembre 2015. Et bien d’autres.



Dans le contexte des bouleversements en cours qui interrogent les identités, des enjeux géoculturels qui deviennent structurants de la vie internationale, de la concurrence multi-acteurs en termes d’influence, de la disruption des modes de faire et de faire-savoir en conséquence de la domination des technologies numériques1, quelle est ou quelle devrait être la place de la francophonie dans la défense des intérêts de la France ?


UN ETAT DES LIEUX INQUIETANT


«  Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » (Charles Peguy)


« Parler une langue, c’est aussi penser dans cette langue » (Metin Arditi)


Comme le regrettait déjà il y a dix ans et à juste titre Hervé Bourges, c’est d’abord « en France qu’on ne croit pas à la francophonie et que le pays ne défend pas sa langue. » On le voit tous les jours dans les panneaux publicitaires, les noms des magasins, les menus des restaurants, les enseignements des universités et grandes écoles dispensés de plus en plus en anglais (plus de 50% à Sciences po), jusqu’au slogan de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024 « Made for sharing ».


La loi Toubon du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française est un rempart de plus en plus fragile face aux dérives linguistiques qui se multiplient en entreprise, dans le commerce, les transports ( SNCF), les médias, les universités , la recherche, et pire encore les institutions culturelles…


L’affaiblissement du rôle de l’Etat en est une des causes. La rareté flagrante des moyens publics, le recentrage de l’Etat sur des missions régaliennes qui sacrifient l’enseignement et la culture, l’autonomisation croissante des pôles universitaires, des collectivités locales, des acteurs associatifs y contribuent largement : la « privatisation » généralisée de nombre de secteurs d’activité semble un mouvement irréversible.


1°Des chiffres trompeurs pour décrire le monde de la francophonie


On évoque partout le chiffre de 230 millions de francophones au sens strict ou partiel. Soit 37 pays francophones, dont 31 ayant la langue française comme langue officielle soit seule soit parmi d’autres (parmi lesquels 23 pays africains) et 6 n’ayant pas la langue française comme langue officielle mais où plus de 20% de la population parle français (Tunisie, Algérie, Maroc, Liban, Andorre, Moldavie). Auxquels on ajoute 41 pays francophiles, où une petite partie des ressortissants a un intérêt pour la langue et la culture françaises, et qui sont généralement membres ou observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie (Roumanie, Arménie, Qatar, Thaïlande, Vietnam, Ghana, etc.).


Même si l’ensemble de ces 78 Etats représente 1 milliard et demi d’habitants, il serait plus juste de parler de 130 millions de francophones réels (rapport Attali).


Quant à estimer que d’ici 2050 il pourrait y avoir 7 à 800 millions de francophones, du fait essentiellement de la croissance démographique en Afrique, cela reste très sujet à caution, notamment parce qu’il est loin d’être certain que les systèmes éducatifs de ces pays aient la capacité de former de bons francophones. Nous y reviendrons.


En revanche le rapport Attali enrichit à juste titre le sujet en y incluant le réseau des milliers de personnes « francophilophones », les deux concepts de francophilie et de francophonie étant liés : diasporas francophones (Libanais par exemple), élites formées dans le système français et n’appartenant pas nécessairement à des pays francophones (lycées français à l’étranger, étudiants). A noter enfin que la langue française demeure la cinquième ou sixième langue mondiale derrière le mandarin, l’anglais, l’espagnol, l’arabe ou l’hindi et qu’elle est parlée sur les cinq continents.


Au final, l’espace francophone est certes mondial, ce qui est fondamental, mais il n’a pas vraiment de centre ni de périphérie : il est hétérogène, très divers, marqué par l’histoire coloniale. Certains pays sont francophones mais pas ouvertement francophiles (l’Algérie n’est pas membre de l’Organisation Internationale de la francophonie – OIF). D’autres revendiquent leur désir d’appartenir à l’OIF mais ne sont ni francophones ni francophiles (candidature de l’Arabie Saoudite). Les pays d’Amérique latine restent en revanche foncièrement attachés aux valeurs portées par la culture française qui ont marqué leur histoire. D’autres pays s’intéressent à la francophonie pour des raisons économiques et commerciales : ainsi la Chine ou des pays africains comme l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie.


2° Une action multilatérale marquée par le désengagement de la France – à l’exception de TV5 Monde


– L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), dirigée depuis 2 ans par Mme Michaëlle Jean (ancienne gouverneure générale du Canada), et les opérateurs de la Francophonie (Agence Universitaire de la francophonie -AUF, Université Senghor, Association des maires francophones), ainsi que l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) souffrent du désengagement évident de la France même si celle-ci reste un contributeur de poids.


L’OIF dispose d’un budget en 2016 de 72 millions dont 24 millions de contribution obligatoire et volontaire de la part de la France, qui prend en charge le loyer très élevé de son siège en plein coeur de Paris : 5,6 millions d’euros ! Soit l’équivalent de 500 bourses pour étudiants…. La baisse de la contribution de la France étant globalement de 25% par rapport à 2010, la contribution des Canadiens (Canada, Québec, Nouveau-Brunswick) est en passe de dépasser désormais celle de la France. Notre capacité d’influence en souffre, d’autant que nous ne disposons plus d’aucun poste de cadre à la direction de l’Organisation – tellement elle intéresse peu nos responsables politiques ?


Malgré un effort de rationalisation de la gestion, les dépenses de fonctionnement restent trop élevées (un peu moins de 50%) par rapport aux programmes. L’OIF n’est pas un gros bailleur de fonds : seulement une trentaine de programmes. Ces derniers s’éparpillent entre les divers secteurs de coopération et il n’y a pas vraiment de priorités. La preuve en est la Déclaration du dernier Sommet de Madagascar en novembre 2016 , un véritable inventaire à la Prévert !. Certes Mme Jean s’est impliquée dans la nouvelle plateforme libresensemble qui s’adresse aux jeunes, pour lutter contre la radicalisation, ainsi que dans le développement de l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes, programme d’ailleurs majoritairement financé par le Canada.


Le problème majeur que rencontre l’OIF est celui de son élargissement continu : un comité est censé travailler dès cette année à mieux définir les critères d’adhésion, beaucoup trop flous2. Il y a aujourd’hui 84 pays membres dont 54 de plein droit, 4 associés et 26 observateurs. La majorité de ces pays ne sont pas francophones, ce qui fait courir un risque majeur pour la langue française elle-même… Au Sommet de Madagascar ont été admis l’Argentine, le Canada-Ontario, la Corée du Sud comme observateurs, et la Nouvelle-Calédonie comme membre associé. En 2010 les Emirats arabes unis sont devenus observateurs, en 2012 le Qatar membre associé. Autres exemples : en 2012 l’Uruguay est admis comme observateur, en 2014 le Mexique et le Costa Rica. Quant au Kosovo, il a réussi à se glisser comme observateur depuis 2014. L’Arabie Saoudite a rempli un dossier de candidature et il a été extrêmement délicat, semble t’il, de considérer à Madagascar que l’on n’était pas en mesure de la retenir, à ce stade, pour des raisons de procédure : ce n’est donc que partie remise ? Ainsi, si l’on continue d’être attaché au respect des valeurs démocratiques de la francophonie, à l’usage de la langue française, ou a minima aux preuves d’une certaine francophilie, cette Organisation n’est-elle pas en train de perdre de son sens même ? C’est un fait que la problématique d’un équilibre à maintenir entre la logique de l’approfondissement et celle de l’élargissement à de nouveaux membres n’a été jusqu’à présent à l’ordre du jour d’aucune réunion au niveau politique- par crainte probablement que le consensus ne se brise…


Or comme aimait à le rappeler un de ses pères fondateurs, Leopold Sédar Senghor, « il s’agissait d’élaborer, puis d’édifier un « commonwealth à la française »..par ensemble, j’entendais , j’entends toujours : entre nations qui emploient le français comme langue nationale, langue officielle ou langue de culture »( 1981). Il faudrait sans doute revenir à ces fondamentaux.


– L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), dont le recteur est le Français Jean-Paul de Gaudemar, réunit à ce jour sur une base volontaire 817 établissements d’enseignement supérieur et de la recherche répartis dans 106 pays, membres de l’OIF et au-delà (Algérie, Chine, Brésil et Inde par exemple). Les Universités françaises ne s’y sont pas beaucoup intéressées jusqu’à présent. Le principe est celui de la solidarité active entre universités, chercheurs, laboratoires sur des thèmes divers – en particulier celui de la gouvernance des institutions universitaires, du transfert de compétences, et, sous l’impulsion du nouveau recteur, de l’employabilité et de l’insertion professionnelle des diplômés : ce qui est une véritable bombe à retardement dans les pays francophones du Sud. L’AUF est bien placée pour créer de nouveaux partenariats avec l’Agence française du développement (AFD), l’Union européenne ou la Banque mondiale – ce qui est indispensable pour dégager de nouvelles ressources financières. Le développement de campus numériques (enseignements à distance et co-diplomations) est prometteur, d’autant qu’un nouveau méta-portail numérique « idneuf.org » a été lancé en 2016 donnant libre accès aux ressources des établissements membres. L’AUF, qui a fait du développement du numérique une priorité transversale, contribue activement aux projets de formation à distance des maîtres et aux cours en ligne ouverts et massifs (les CLOMs, équivalent des MOOCs anglophones).


Son budget est limité : en 2016 , 37 millions d’euros, dont 20 financés par le ministère des Affaires étrangères , dont la subvention a diminué d’un tiers en 5 ans.


– L’Université Senghor d’Alexandrie, sorte d’ENA pluridisciplinaire très appréciée, accueille chaque année une promotion d’environ 200 étudiants africains qui obtiennent à la sortie un master professionnel en développement et deviennent des cadres publics ou privés dans leur pays d’origine. A cela s’ajoute un programme de formation continue et des campus décentralisés dans une dizaine de pays. La France finance 1.4 Million (1.650 M en 2010) sur un budget total de 3 Millions.


– TV5 MONDE. Chaîne généraliste mondiale en français, qui repose sur une organisation multinationale, elle revendique d’atteindre avec TV5 Québec Canada près de 300 millions de foyers raccordés dans 200 pays et serait regardée en moyenne chaque semaine par 40 millions de téléspectateurs. Elle a une politique de sous-titrage très dynamique et son site internet ainsi que son offre mobile sont riches en contenus, notamment pour apprendre et enseigner la langue française. La France en est le principal bailleur de fonds (77 Millions d’euros en 2016 représentant les ¾ de ses ressources publiques). C’est la seule contribution française en augmentation, faible mais régulière.


Heureusement, une clarification est intervenue s’agissant des rapports de la chaine francophone avec France Medias Monde (FMM). Ainsi France 24, qui aurait pu lui porter de l’ombre, se présente comme une chaîne d’information en continu en plusieurs langues, tandis que TV5 a une programmation culturelle généraliste. Aucune distribution à l’étranger de l’une ne devrait avoir pour conséquence d’évincer l’autre.


– L’usage de la langue française dans les organisations internationales de plus en plus marginal.


On peut en faire la constatation y compris hélas dans les institutions européennes. Quand M. Pierre Moscovici, commissaire, écrit un courrier à M. Michel Sapin, ministre des Finances, c’est en anglais ! Cela lui a valu en 2014 le prix de « la carpette anglaise », prix d’indignité civique attribué chaque année à un membre des élites françaises pour la promotion de la domination de la langue anglo-américaine !


Autre exemple révélateur : à l’initiative de l’Allemagne est créée une nouvelle institution internationale en 2009, l’IRENA, International Renewable Energy Agency, établie à Abu Dhabi. Les statuts sont silencieux sur la question des langues. A la demande (tardive) de la France, les statuts ont cependant été traduits de l’anglais dans les cinq autres langues de l’ONU ainsi qu’ en allemand. Mais lors de la réunion constitutive, il a été décidé que seule l’anglais serait la langue de travail ….


Quand il y a encore des institutions où la langue française est utilisée – les juristes qui défendent le droit romano-germanique demeurent peut-être les derniers à y croire – ce qui est le cas à La Haye, capitale du droit international (Cour Internationale de Justice, Cour permanente d’arbitrage, Cour Pénale Internationale, Tribunal ex Yougoslavie, Académie internationale, Conférence de la Haye de droit international privé, Europol, Eurojust, nombreux « think tanks », etc.), la France ne les soutient pas vraiment. J’avais créé un poste de juriste près de notre ambassade pour être pro actif dans ce domaine – en aidant à la traduction, au placement de francophones dans ces diverses institutions, à l’organisation de colloques dans les deux langues anglaise et française, en donnant des bourses aux jeunes juristes africains venant se former à l’Académie de droit etc- il a été aussitôt supprimé après mon départ.


3° Une action bilatérale dans le domaine de la langue et de la culture française en perte de vitesse, en raison de baisses drastiques et continues de crédits depuis une vingtaine d’années, qui se sont accélérées depuis 10 ans sous prétexte de révision générale des politiques publiques sous la présidence Sarkozy (RGPP) ou de modernisation de l’Etat (sous la présidence Hollande).


Sur le papier, le dispositif semble plus ou moins préservé. Notre diplomatie se prétend toujours universelle et dispose du troisième réseau dans le monde. Mais sur les quelque 162 ambassades, plus de 26 sont en fait réduites à « des postes de présence diplomatique » – ce qui signifie grosso modo un ambassadeur, un assistant et un homme à tout faire. On les appelle des « ambassades laptops ». C’est tout dire !


1) L’implantation culturelle reste à première vue impressionnante, mais derrière cette façade, l’appauvrissement de la plupart des centres culturels ou alliances françaises est catastrophique – cette situation est regrettée chaque année en vain par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.


Certes on compte encore plus de 800 Alliances françaises (associations d’initiative et de droit local, souvent très anciennes) dont seulement 383 sont faiblement subventionnées (15 000 euros en moyenne par Alliance !) et aidées pour certaines d’entre elles par la mise à disposition d’un directeur. Les autres vivotent trop souvent.


Certes le réseau parallèle des Instituts français qui dépend directement des services du ministère des Affaires étrangères est mieux doté : au nombre de 96, avec 130 antennes, les Instituts dont l’auto-financement progresse grâce aux cours de langue recoivent encore une subvention de 60 Millions mais celle-ci couvre pour les 2/3 le fonctionnement. Les programmes sont réduits à la portion congrue. Quand on n’a plus d’argent pour couvrir les coûts de structure, on ferme, c’est le cas de l’Institut d’Amsterdam comme de celui de Lisbonne dont on essaye aujourd’hui de vendre les superbes bâtiments… En Rhénanie-Westphalie, ce sont les Allemands qui paient la maintenance des bâtiments !


Au total, si on ajoute les coûts de personnel, nous consacrons environ 200 millions d’euros au dispositif d’action culturelle à l’étranger. Ce qui nous met en dessous de la plupart de nos concurrents, y compris de l’Institut Goethe dont la subvention a été augmentée à plusieurs reprises ces dernières années.


Il faut savoir que le ministère des Affaires étrangères doit supprimer chaque année à la demande de Bercy 100 à 200 ETP (emplois temps plein), qui sont généralement pris sur les personnels culturels ou de coopération, c’est moins visible évidemment ! Ainsi les postes occupés par des contractuels, à savoir des experts bien mieux qualifiés que les titulaires diplomates pour exercer des métiers très pointus (animation culturelle, audiovisuel, numérique, coopération médicale ou juridique etc.), diminuent ils à vue d’œil. Le travail d’influence sur le terrain en souffre à l’évidence considérablement.


2) Le seul dispositif qui tient encore la route fort heureusement est celui des écoles, collèges et lycées français :


L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) anime et gère un réseau de 480 établissements dans 130 pays, accueillant 330 000 élèves dont 2/3 d’étrangers. La subvention annuelle diminue ( 400 millions ) tandis que les écolages augmentent.


La Mission laïque française (MLF) pour sa part anime et gère une centaine d’établissements scolaires, avec 45 000 élèves dont 75% d’étrangers. Elle ne reçoit qu’une aide sous la forme de professeurs détachés.


En outre, du fait de l’autonomie de gestion de ces deux institutions (l’AEFE est un établissement public, la MLF est une association à but non lucratif reconnue d’utilité publique), le management est beaucoup plus efficace que celui des Instituts : clarté du budget, transparence de la gestion, politique d’adaptation à la demande locale, responsabilité de la direction. En revanche, le passage de ces élèves dans notre enseignement supérieur n’est pas favorisé et nous ne savons pas utiliser ni même suivre cette communauté de « francophilophones » après leur scolarité dans nos établissements.


3) Restent les programmes de recherche et les bourses d’enseignement supérieur. Certes, on a essayé de préserver les crédits de bourses qui ont quand même fortement diminué pour arriver à une enveloppe de 54 Millions aujourd’hui. Il est évident que l’attractivité de la France pour les étudiants étrangers est un élément essentiel d’une politique d’influence qui ne peut se construire qu’à long terme – ce que les comptables publics ont beaucoup de mal à comprendre. Or la France qui accueille encore environ 270 000 étudiants étrangers annuellement, perd en fait peu à peu des parts de marché et se retrouve en quatrième position derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni, et… l’Australie.


4) Sans prétendre à l’exhaustivité – car les programmes sont dispersés entre multiples services administratifs – il convient de signaler l’appui qu’apporte l’Agence française de développement (AFD) aux enjeux d’éducation de base, d’enseignement supérieur et de formation professionnelle en lien avec la langue française : soit 40 millions par an depuis que ce secteur lui a été délégué par le ministère des Affaires étrangères.


NOUVELLE AMBITION FRANCOPHONE ET INFLUENCE


C’est un enjeu prioritaire qui relève directement de notre intérêt national et qui est inestimable pour que les partenaires francophones renforcent leur position dans l’économie et le commerce mondial.


Condition sine qua non : la francophonie doit être reconnue par tous les acteurs en France non seulement comme une force diplomatique et culturelle mais comme une potentialité immense de développement économique. C’est d’abord une question de prise de conscience et de motivation au plus haut niveau politique mais aussi chez les acteurs économiques et dans toute la société active.


Les 17 propositions d’Hervé Bourges, les 53 de Jacques Attali regroupées en 7 axes, la vingtaine de Pouria Amirshahi se recoupent souvent et sont toutes intéressantes, le problème est d’établir des priorités (et le défaut de notre diplomatie est justement de n’en point établir) et de donner des moyens à cette ambition, moyens financiers certes, mais aussi et peut être surtout moyens en personnel. M. Attali prétend à tort que ses propositions peuvent être mises en œuvre à budget constant : la réorientation de nos actions, l’introduction de nouvelles méthodes de travail, ou formes de coopérations, la recherche de financements privés nécessitent un travail gigantesque pour des ressources humaines qui ont déjà souffert depuis de nombreuses années de fortes restrictions d’effectifs. Se pose aussi le problème de la formation des personnels et notamment des diplomates, certes très bons dans la rédaction de télégrammes diplomatiques et de notes de synthèse mais peu compétents et peu motivés pour le reste : questions managériales, technologie numérique, portage de projets, appels d’offres, gestion des ressources humaines etc.


UN AXE STRUCTURANT 

DE NOTRE POLITIQSUE ETRANGERE


De l’avis général, le point noir depuis au moins 10 ans est l’absence de volonté politique. Preuve en est que sous la Présidence Sarkozy le poste ministériel a été vacant pendant 18 mois et que sous la présidence Hollande quatre ministres, une ministre déléguée puis trois secrétaires d’Etat chargés du développement et de la francophonie, se sont succédés en 5 ans, qui n’avaient pratiquement aucun poids et n’ont joué aucun rôle significatif en ce domaine.


La première décision nécessaire serait d’ en faire un portefeuille ministériel en soi, de ministre délégué au minimum. Confier ce portefeuille bien identifié à une personnalité forte ayant la confiance du chef de l’Etat conduirait à lui donner une visibilité durable dans le gouvernement et des moyens, y compris sur le plan interministériel. Pourquoi ne pas lui attribuer la tutelle de la Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international ainsi que celle de la Délégation aux affaires francophones (qui dépend aujourd’hui de la direction des Nations Unis et des organisations internationales), et de la Délégation aux fonctionnaires internationaux3. Au moins rassemblerait-il sous sa houlette l’essentiel du budget opérationnel du quai d’Orsay, ainsi que les tutelles sur les opérateurs extérieurs, tâches auxquelles le ministre des Affaires étrangères absorbé par les affaires politiques n’a guère de temps à consacrer. Cela signifierait clairement les priorités à donner à nos instruments de coopération et actions d’influence partout dans le monde, dans toutes leurs dimensions. Ce serait mettre les actes en conformité avec les discours ronflants sur l’importance de la diplomatie d’influence !


Le ministre aurait aussi en charge naturellement non seulement la question de l’usage du français dans les institutions internationales, du placement de francophones à des postes clés mais devrait aussi veiller à développer les concertations entre ambassadeurs francophones dans toutes les négociations internationales importantes (à l’instar de ce qui a été fait à la COP 21).


BUDGETS PRIORISES ET CIBLAGES GEOGRAPHIQUES


Une prévisibilité pluriannuelle des moyens financiers et en ressources humaines ainsi qu’une contractualisation via de vrais contrats d’objectifs et de moyens – si Bercy pouvait enfin s’y résoudre- permettraient un management public plus efficace. Pour parvenir à une inter-ministérialité qui fonctionne entre les nombreuses administrations concernées, ne faudrait-il pas inventer l’équivalent du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, présidé par le Premier ministre, chargé de définir la stratégie et les priorités pour la promotion de la francophonie puis d’en superviser la mise en œuvre via les programmes. Ce comité interministériel veillerait à la cohérence des actions via les organismes multilatéraux et des actions à titre bilatéral (dont la visibilité et les effets sur l’influence française sont spontanément mieux assurés).


S’agissant des ciblages géographiques, l’orientation politique à la mode qui consiste à privilégier les grands pays émergents, essentiellement en Asie, au détriment de nos voisins et de nos zones d’influence traditionnelle et historique est contestable. Au Maghreb ce n’est pas le moment de baisser la garde, comme en Tunisie où l’enveloppe de coopération bilatérale a diminué de moitié en 4 ans ! Il faudrait se recentrer tout d’abord sur l’Europe, continent où la langue française connait le recul le plus catastrophique et où on ferme d’ailleurs petit à petit les Instituts français ; sur le Maghreb et la Méditerranée (Liban notamment) où nos positions sont encore relativement fortes quoique menacées ; bien sûr sur l’Afrique et d’abord l’Afrique francophone, sachant que dans nombre de pays le français n’est maîtrisé que par les élites ; et enfin sur l’Amérique latine pour des raisons là aussi de culture commune.


PROMOTION LANGUE, CULTURE ET EDUCATION


Le chantier est immense et les propositions nombreuses. On pourrait retenir quelques axes forts d’une politique plus visible tels que :


– Remettre les enjeux du français, langue internationale, au centre de l’action de l’Organisation Internationale de la francophonie (parent pauvre de la Déclaration de Madagascar).


Cela signifie la défendre dans les organisations internationales, notamment à Bruxelles et à Genève et appliquer sérieusement le vademecum adopté il y a 10 ans – Cela signifie promouvoir partout où on le peut et avec persévérance le plurilinguisme, en évitant d’être dans un rapport de forces bilatéral face à l’anglais- ce qui appelle des stratégies d’alliance contre les tenants du tout-anglais avec la Chine, le Brésil, l’Espagne, les Latino-américains, les Russes, etc.


Remettre aussi de l’ordre chez nous dans les priorités de l’Education nationale, en prenant conscience que, pour que l’on parle davantage le français, nous devons connaître et pratiquer la langue des autres , et pas seulement l’anglais. Quelle erreur de songer à supprimer les classes bilingues alors qu’il faut au contraire les multiplier !



Enfin, et ce n’est pas le moins important, devrait être poursuivie une politique dynamique valorisant le métier de traducteur et d’interprète et visant à en favoriser les recrutements.


– Soutenir les systèmes éducatifs en Afrique , en commençant par lutter contre la grande idée fausse du moment selon laquelle la francophonie ne connaîtra pas de difficultés du fait de la démographie galopante en Afrique francophone. C’est faux : les systèmes éducatifs se dégradent partout. Il faut donc y mettre les moyens car sans aide, il n’y aura plus de développement du français en Afrique. Aidons à reconstruire les systèmes éducatifs en privilégiant si possible l’aide bilatérale.


Il faut ainsi encourager encore davantage les initiatives telles que l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) et d’autres projets annoncés, notamment « 100 000 professeurs pour l’Afrique », de même que les formations effectuées par le réseau et les formations par internet de professeurs. Mais tout ne peut pas passer par Internet, il conviendrait de voir comment dégager les ressources humaines nécessaires (formateurs, universitaires, experts techniques), le défi démographique étant en effet considérable.


– Promouvoir notre culture à l’étranger c’est-à-dire sur le terrain, car c’est là que se joue l’influence de la France, en menant une politique proactive de la demande – et non de l’offre, du type « la nuit des idées », opération de communication initiée par Laurent Fabius à Paris et qu’on demande aux postes de reproduire à l’étranger sans se préoccuper de l’impact et de la diversité des situations locales… Dans cet ordre d’idées il sera inévitable de redresser le budget des Instituts culturels français et des Alliances françaises et surtout d’en réformer la gouvernance -dispersée entre plusieurs services administratifs, ministères, établissements publics – d’où l’absence de direction générale, de transparence, de priorités, et l’impossibilité de mener une politique intelligente de redéploiement des moyens.


– Suivi des élèves de nos lycées en les aidant à rester dans un système universitaire francophone et soutien à la mobilité universitaire (étudiants et professeurs). La pression est énorme : en 1960, il y avait 13 millions d’étudiants dans le monde, aujourd’hui il y en a 165 millions !


Aux Etats-Unis, 50% des thèses soutenues en science le sont par des étudiants étrangers. De retour dans leur pays d’origine, ces étudiants deviennent les acteurs du rayonnement économique et culturel de leur pays d’accueil universitaire. Mais l’animation des reseaux d’alumni étrangers est quasi inexistante en France. Ainsi j’ai regretté que l’association des anciens élèves de l’ENA (plusieurs milliers d’étudiants étrangers) dont j’ai fait partie un temps n’ait aucun moyen pour monter un dispositif efficace en la matière, alors que le budget de cette association permettrait d’en faire une priorité. Il nous faudrait aussi faciliter le recrutement par les entreprises françaises de cadres de haut niveau ouverts au multiculturalisme et polyglottes venus en France pour achever leurs études supérieures et bien sûr assouplir leur accès au marché du travail.


La question du visa francophone est bloquée du fait de la peur migratoire : elle s’est retrouvée coincée dans le débat entre la volonté de fermeture des frontières et les velléités d’immigration choisie. Il existe pourtant une position intelligente, celle de la mobilité et des allers-retours. En limitant les démarches administratives, on désengorgerait nos consulats et nos préfectures et cela favoriserait en particulier la circulation des créateurs et des chefs d’entreprise. Trop souvent, nous sommes encore confrontés au cas d’entreprises implantées à l’étranger qui veulent envoyer leurs cadres pour une formation professionnelle en France et se heurtent à un refus de visa.


LA FRANCOPHONIE ECONOMIQUE


La Francophonie s’est tardivement saisie des questions économiques, alors qu’en la matière, le Commonwealth est depuis longtemps très actif et doté de moyens. Le rapport Attali et les publications d’Hervé Bourges entre autres ont alimenté les réflexions au moment de l’élaboration puis de l’adoption de la Stratégie économique pour la Francophonie au Sommet de Dakar (2014). Celle-ci part du constat que l’espace francophone représente un potentiel économique énorme, insuffisamment exploité : la nébuleuse des quelque 80 pays francophones et supposés francophiles d’alors (84 aujourd’hui) représente 16% du PIB et 20% du commerce mondial.


Depuis deux ans cette stratégie a commencé d’être mise en œuvre de diverses façons :


programmes dédiés de l’OIF tournés vers les jeunes et les femmes créateurs d’entreprises ; organisation de forums économiques invitant des entreprises (Dakar en 2014, Paris en 2015, Madagascar en 2017) ; réunions de concertation des ministres des Finances francophones en marge des assemblées annuelles de la Banque Mondiale et du FMI ; lancement d’un réseau des ministres francophones du Commerce ; actions de plaidoyer auprès de la présidence du G20 (de concert avec le Commonwealth) ; organisation de la Journée de la Francophonie économique et numérique.


Cette refondation est capitale pour la France compte tenu du constat du désinvestissement du continent africain par les entreprises françaises qui ont perdu leurs « chasses gardées ». C’est désormais la Chine qui est le premier partenaire de l’Afrique…


Il est clair que c’est de notre intérêt national que d’appuyer cette stratégie de francophonie économique, de multiplier les accords économiques comme celui signé récemment dans le domaine de l’électricité – ces accords signifiant des formations professionnelles , des normes technologiques, des brevets et inventions françaises.


Il est non moins clair que notre influence au final est conditionnée par le retour de notre puissance économique et de sa capacité de projection sur les marchés francophones, où il y a une demande très forte. L’ambition du Medef sur cette question est assez illisible.


LA FRANCOPHONIE NUMERIQUE


C’est un facteur commun à la promotion de la langue et de la culture française et à la croissance économique durable.


Priorité absolue doit être donnée au numérique où tout se joue pour la jeunesse. Sans renforcement de la présence de contenus en français sur les réseaux numériques


– nouvel espace de confrontation d’idées, de recrutement, de formation, de création , seul outil d’information et unique référentiel des jeunes – l’ambition de la promotion de la francophonie restera lettre morte.


Aujourd’hui, seulement 4 à 5% des contenus en ligne sont en langue française, qui occupe le 8e rang par la qualité de ces contenus et le nombre d’utilisateurs .


A noter qu’en Afrique, la multiplication des chaînes de télévision numérique bénéficie éditorialement aux anglophones et aux chinois pour le contrôle de la diffusion.


Une idée serait de nommer un délégué auprès du ministre de la Francophonie chargé de mettre de l’ordre dans les projets des uns et des autres dans ce domaine, en tenant compte de ce que font les autres francophones comme le Québec par exemple..


A l’Unesco il nous faut soutenir les militants qui travaillent à l’élaboration d’un projet de directives opérationnelles sur le numérique pour la mise en oeuvre de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005).


L’Internet et les réseaux numériques conditionnent sans aucun doute le succès de la relance de l’ambition francophone et francophile !


Tout nouveau Président de la République, monsieur Emmanuel Macron, vous avez dit lors de votre discours d’investiture « la mission de la France dans le monde est éminente ». Sa dimension culturelle est à la fois la moins coûteuse et la plus conquérante, qu’attendez-vous pour vous en occuper, sachant que les paramètres économiques sont les suivants : montants à investir très faibles (de l’ordre du coût d’un Rafale) , risque nul, potentiel énorme, impact très vite visible….


Vous ne pouvez pas ne pas savoir que le statut particulier de la langue française, fruit de l’Histoire – celle d’une vieille nation et d’une ancienne grande puissance – et du "testament français" – celui des Lumières – est aujourd’hui gravement menacé.


Or si l’on veut que la langue française, son rayonnement à travers le patrimoine culturel qu’elle véhicule et la possibilité d’accéder à la connaissance que sa maîtrise doit permettre, restent l’un des vecteurs de notre influence dans le monde, au sens du "soft power" dans la terminologie anglophone, il est urgent d’engager une action volontariste à votre niveau.


Nous espérons enfin une politique ardente et durable en faveur de la francophonie, non seulement à travers le soutien que nous apportons à l’OIF et à la défense du plurilinguisme et de la diversité culturelle sur la scène internationale, mais aussi et encore sur le terrain de l’éducation et de l’enseignement supérieur mis au service du développement – et ce grâce au dispositif important dont la France dispose à l’étranger. Il est encore présent quasiment partout à travers le monde et les instruments existent : il reste à leur redonner une impulsion politique, les moyens humains et budgétaires indispensables ainsi qu’une gouvernance efficace et responsable, ce qui est sans doute le plus improbable car on touche là aux problèmes gigantesques d’une réforme de l’Etat dont on n’ ose même plus parler. Même vous, M. Macron ?