Bilinguisme à la Cour suprême

La francophonie hors Québec lance une campagne de persuasion

La Cour suprême a entendu plusieurs causes importantes en matière de droits linguistiques.

Cour suprême: le bilinguisme des juges


La Cour suprême a entendu plusieurs causes importantes en matière de droits linguistiques.
Hélène Buzzetti - Ottawa — De quel côté le Sénat, censé défendre le droit des minorités, penchera-t-il sur la question du bilinguisme des juges nommés à la Cour suprême du Canada? Votera-t-il en faveur du projet de loi néodémocrate? Le vote risque d'être si serré que la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a lancé une campagne de lettres: elle invite ses membres à écrire aux sénateurs pour les convaincre d'appuyer le projet de loi.
«J'entends dire que ce ne serait pas constitutionnel parce que les juges ne pourraient pas travailler dans la langue de leur choix, lance la Fransaskoise Marie-France Kenny, présidente de la FCFA. Mais c'est absolument le contraire! En ayant des juges bilingues, ils pourront utiliser l'anglais ou le français lors de leurs délibérations alors qu'à l'heure actuelle, ils ne délibèrent qu'en anglais à cause des unilingues anglophones. C'est ne pas imposer le bilinguisme qui est inconstitutionnel.»
Des services d'interprétation sont offerts à la Cour suprême pendant les audiences, mais pas pendant les délibérations, ces séances où les magistrats tentent de se convaincre les uns les autres de la décision à rendre. La présence d'un seul unilingue anglophone oblige les francophones à s'exprimer en anglais, et même parfois à rédiger le jugement en anglais quand les délais sont trop serrés (car les ébauches circulent d'un juge à l'autre pour commentaires et leur traduction gruge beaucoup de temps).
Le projet de loi C-232 stipule que les futurs juges de la Cour suprême devraient être capables de comprendre le français et l'anglais sans l'aide d'un interprète. Il a été adopté à la Chambre des communes, malgré la volonté du gouvernement conservateur, grâce aux trois partis d'opposition. Il se trouve maintenant au Sénat, où le premier vote est prévu d'ici deux semaines environ. Un seul des 51 sénateurs conservateurs (Pierre Claude Nolin) a dit qu'il l'appuierait. Aucun des 49 libéraux ne s'est prononcé contre jusqu'ici. Parmi les cinq sénateurs indépendants, deux se sont dits opposés au projet de loi (Elaine McCoy et Anne Cools), un y est favorable (Jean-Claude Rivest) et un autre est ambivalent (Lowell Murray).
Deux poids, deux mesures ?
Cette semaine, le Globe and Mail s'est prononcé en page éditoriale contre le projet de loi au motif que le bilinguisme, bien que «désirable», ne devrait pas être obligatoire. Seule la compétence légale devrait compter. «En pratique, écrit le quotidien, c'est du français qu'il est question ici. La possibilité qu'un Canadien unilingue francophone atteigne un tel niveau dans la profession légale ou juridique — ou un niveau comparable en politique fédérale — est quasi nulle.»
C'est justement ce deux poids, deux mesures qui choque l'ancienne juge de la Cour suprême Claire L'Heureux-Dubé. Dans un échange avec Le Devoir cette semaine, la magistrate à la retraite faisait remarquer qu'aucun unilingue francophone ne pouvait espérer accéder au plus haut tribunal du pays. Pourquoi, demandait-elle, le contraire serait-il permis? «Peut-être que nous, on a compris que, pour aller plus haut, il faut être bilingue», lance Marie-France Kenny. Selon elle, il est temps d'envoyer le même message aux anglophones.
Au nombre des partisans du bilinguisme, on compte l'Association du barreau canadien (ABC), qui représente les avocats du pays, y compris les avocats unilingues susceptibles de ne plus se qualifier au poste suprême. Sans se prononcer sur le projet de loi C-232, l'ABC estime que «la nomination à la Cour suprême doit se faire au mérite et que le bilinguisme est un critère de mérite».
Discordance
Il y a évidemment des voix discordantes dans la profession juridique. Un ancien collègue de la juge L'Heureux-Dubé, John Major, estime que le bilinguisme rendrait à peu près impossible le recrutement à Calgary, à Vancouver ou à Edmonton.
Selon le député de Jonquière-Alma, Jean-Pierre Blackburn, exiger le bilinguisme engagerait le pays sur une pente glissante. «Si nous demandons aux juges d'être bilingues, est-ce qu'on pourra aussi un jour demander aux députés d'être bilingues? Nous avons la traduction dans notre pays. Je pense que [exiger le bilinguisme] c'est défavoriser les personnes qui n'ont pas toujours le privilège de pouvoir apprendre les deux langues officielles.»
Pour la FCFA, le bilinguisme est aussi une affaire de sensibilité. «Au cours des dernières décennies, la Cour suprême a entendu à plusieurs reprises des causes d'une importance capitale en matière de droits linguistiques», rappelle-t-elle dans sa lettre type destinée aux sénateurs. Or, explique la présidente Kenny, «s'il y a des unilingues anglophones qui sont des champions de la dualité linguistique, j'en connais aussi plein qui ne le sont pas parce qu'ils ne comprennent pas, parce qu'ils n'ont jamais eu à travailler avec des francophones, parce qu'ils n'ont jamais eu à défendre leurs droits linguistiques. Pour eux, le Canada est un pays anglophone, comme on l'a vu avec le commentaire cette semaine de certains sénateurs [l'indépendante albertaine Elaine McCoy] qui disent que 70 % des choses se passent en anglais. Bravo! Mais moi aussi, selon la loi, j'ai le droit de vivre en français!»


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