La droite française au bord de l'implosion

Désavoué par les électeurs. Contredit par son premier ministre. Rabroué par ses députés. Où s'arrêtera la chute de Nicolas Sarkozy ?

2012 - Droite française - UMP Front national


Le président français, Nicolas Sarkozy, estime qu’une fois la bataille lancée, il éliminera le FN.

Photo : Agence Reuters Philippe Wojazer


Paris — Y a-t-il encore un pilote dans l'avion? C'est la question que se pose la droite française après une des semaines les plus éprouvantes de son histoire récente. Rarement la Ve République a-t-elle assisté à une telle débandade à un peu plus d'un an des élections présidentielles. Soixante-trois pour cent des électeurs français souhaitent aujourd'hui que Nicolas Sarkozy ne se représente pas en 2012. Tous les sondeurs s'entendent pour affirmer que jamais un président n'a atteint un tel niveau d'impopularité et que jamais les opinions «très défavorables» n'ont été aussi nombreuses.
Au printemps dernier, les élections régionales avaient laissé la droite dans un état semi-comateux. Les récentes cantonales ont confirmé la remontée du Front national dirigé par Marine Le Pen et fait exploser au grand jour les divergences de stratégies qui minent la droite à l'aube d'une année électorale. Car ces élections ont mis au jour un scénario de plus en plus probable à droite. La plupart des sondages prédisent la répétition du 21 avril 2002, qui avait vu le candidat socialiste Lionel Jospin arriver troisième au premier tour de la présidentielle derrière le Front national. Mais, en 2012, c'est la droite qui serait menacée d'une telle déconvenue.
«La France a-t-elle encore un chef d'État?», se demande le démographe Emmanuel Todd, qui constate comme la plupart des analystes que la marge de manoeuvre du président se rétrécit. À l'automne, Nicolas Sarkozy s'était fait imposer le maintien de François Fillon à Matignon par des députés qui réclamaient un peu de rigueur dans la gestion des affaires de l'État et ne voulaient rien entendre du centriste Jean-Louis Borloo. Cette fois, les ténors de la droite tirent chacun dans leur direction. Il a suffi que le président donne la consigne de ne voter ni pour le Front national ni pour les socialistes au second tour des cantonales pour que le premier ministre laisse entendre que, s'il avait à choisir entre l'extrême droite et les socialistes, il choisirait ces derniers. Même rebuffade chez les ministres Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet et Laurent Wauquiez.

Le premier ministre et le leader des députés, François Copé, s'entredéchirent à la télévision. On a même assisté à cette scène cocasse d'un porte-parole du gouvernement, François Baroin, qui désavoue publiquement le débat sur l'islam et la laïcité lancé par son président. Il y a très longtemps qu'on n'avait pas entendu une telle cacophonie à droite. Mais les mots les plus sibyllins sont venus d'Alain Juppé. «Le jour — qui n'arrivera pas — où il y aura une alliance UMP-FN, je quitterai l'UMP», a-t-il prévenu.
Une stratégie contestée
Au coeur de ces déchirements, c'est la stratégie électorale de Nicolas Sarkozy qui est remise en cause. Après l'échec de la droite aux élections régionales, l'été dernier, le président avait prononcé à Grenoble un discours d'une rare violence. Stigmatisant les Roms et réclamant la déchéance de la nationalité pour les immigrants qui assassinaient un policier, ce discours marquait le ralliement du président à la thèse de son conseiller Patrick Buisson.
Buisson est à Sarkozy ce que Karl Rove fut à George W. Bush. Ce spécialiste des sondages et ami de Jean-Marie Le Pen est un des rares analystes qui avaient prédit la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne. Avec l'ancien secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, il est un des artisans de la victoire de 2007. Selon lui, l'élection se gagnera sur les thèmes de la sécurité et de l'immigration. Le président doit donc d'abord reconquérir son électorat de base, celui qui est tenté par le Front national et qui s'inquiète de la montée de l'islam en France. D'où la mise de côté des réformes économiques au profit du seul discours sécuritaire.
Mais la recette qui a fait florès en 2007 est loin de promettre les mêmes résultats cinq ans plus tard. Le bilan sécuritaire du président n'est pas aussi reluisant que prévu. Malgré une demi-douzaine de lois sur le sujet, l'immigration n'a pas non plus vraiment fléchi. Même le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, une promesse-choc du candidat en 2007, est disparu au détour d'un remaniement ministériel.
Pour les journalistes Nicolas Domenach et Maurice Szafran, le désamour des Français avec Nicolas Sarkozy a des causes encore plus profondes. Selon les auteurs de Sarkozy Off (Fayard), le président n'est pas seulement fâché avec son électorat. C'est un véritable fossé culturel qui sépare le président de ses électeurs naturels. La mésentente aurait commencé dès la nuit du Fouquet's, le soir de son élection. Elle se serait poursuivie pendant ses vacances sur le yacht d'un milliardaire. Bref, les électeurs de droite attendraient toujours que Nicolas Sarkozy prenne la distance et la hauteur qu'ils sont les premiers à attendre d'un président.
L'Appel des 43
Certains élus sont déjà convaincus que Nicolas Sarkozy les mène à l'abattoir. C'est pourquoi la presse a récemment évoqué L'Appel des 43. Ce texte initié par Jacques Chirac en 1974 et signé par 39 parlementaires et quatre ministres était destiné à convaincre le candidat naturel de la droite d'alors, Jacques Chaban-Delmas, de ne pas se présenter et de laisser la voie libre à Valéry Giscard d'Estaing, avec qui Chirac avait conclu un pacte.
On n'en est pas encore là, mais les petits partis qui avaient fusionné dans l'UMP sont tentés de reprendre leurs billes. C'est le cas du Parti Radical dirigé par Jean-Louis Borloo, qui songe lui-même à se présenter à la présidentielle. On sait que François Fillon se positionne pour prendre la direction de l'UMP advenant une défaite de Nicolas Sarkozy. Comme Alain Juppé, qui a fait un étonnant retour aux Affaires étrangères, le premier ministre est perçu comme une solution de remplacement possible si la fusée présidentielle éclatait en plein vol. Un scénario que personne ne peut plus écarter.
Certains vont jusqu'à envisager que Nicolas Sarkozy jette tout simplement l'éponge. «Un jour, il va dire: "J'en ai marre, j'ai beaucoup donné, vous ne me méritez pas"», a déclaré un conseiller de François Fillon, Jean de Boishue, à l'hebdomadaire Le Point.
Mais Nicolas Sarkozy n'en serait pas à sa première résurrection. Il table sur la faible remontée des socialistes aux élections cantonales et demeure convaincu qu'une fois dans la bataille, il ne fera qu'une bouchée du Front national, comme en 2007.
Le jeu reste donc ouvert. Il le sera certainement jusqu'aux élections sénatoriales de septembre prochain. Si pour la première fois de l'histoire de la Ve République la droite devait perdre le Sénat, on pourrait alors dire que «tout est possible». N'était-ce pas le slogan de Nicolas Sarkozy en 2007?
***
Correspondant du Devoir à Paris


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->