La culture "toxique" de Wall Street

Goldman Sachs - le temps des châtiments



Vincent Brousseau-Pouliot La Presse - Il n'y a pas que certains produits financiers qui sont toxiques à Wall Street.
Un cadre de Goldman Sachs, Greg Smith, a démissionné hier de façon fracassante en dénonçant dans une lettre d'opinion au New York Times le «climat plus toxique et destructeur que jamais» régnant au sein de la firme la plus prestigieuse de Wall Street.
Les confidences de Greg Smith sont troublantes. Chez Goldman Sachs, l'appât du gain semble passer avant les intérêts des clients, parfois désignés comme des «pantins» («muppets») par certains employés.
«Ça me rend malade de voir les gens (de Goldman Sachs) parler aussi impunément d'exploiter les clients (...) J'ai toujours été fier de conseiller mes clients selon ce que je croyais qui était le meilleur pour eux, même si ça signifiait moins d'argent pour la firme. Mon point de vue était de plus en plus impopulaire (...) Les intérêts des clients continuent d'être ignorés», écrit Greg Smith, qui compte 12 ans d'expérience chez Goldman Sachs et qui dirigeait la section des produits dérivés américains en Europe, au Moyen-Orient et en Asie avant sa démission.
Ce n'est pas la première fois que la réputation de Goldman Sachs est durement mise à l'épreuve depuis la crise financière. En 2007 et 2008, la firme a spéculé sur l'effondrement des hypothèques à risque alors qu'elle conseillait à certains de ses clients d'en acheter. C'est commun qu'une firme de Wall Street mise des deux côtés d'une transaction, sauf que Goldman Sachs n'a pas partagé ses craintes aux investisseurs, tout en continuant de leur vendre ces produits financiers que leurs propres employés désignaient en privé comme des «outils de merde» («crap pools»). Goldman Sachs a payé 550 millions à la SEC pour régler une poursuite civile de fraude boursière liée à ces produits financiers.
On ne se racontera pas d'histoire: cette fois-ci, le «délateur» provient de Goldman Sachs, mais la culture n'est pas fondamentalement différente ailleurs à Wall Street. Avec une réglementation serrée, les dérapages restent contrôlés. Sauf que trente ans de déréglementation ont produit la crise financière que l'on connaît.
L'administration Obama a raté une belle occasion de changer Wall Street en profondeur en début de mandat, quand la Chambre des représentants était encore sous contrôle démocrate. Il y a eu tout de même eu des changements depuis trois ans: la règle Volcker interdisant aux banques de faire de la spéculation pour leur compte, le Bureau de la protection financière des consommateurs créé pour surveiller les prêts hypothécaires, les cartes de crédit et les frais bancaires, les nouveaux tests de solvabilité de la Fed.
Les critiques de Barack Obama - qui soulignent la présence d'ex-banquiers de Wall Street parmi les conseillers du président américain - auraient aimé une réforme plus vaste. Ce n'était pas les suggestions qui manquaient: mieux encadrer les agences de notation et les fonds de couverture (hedge funds), plafonner la rémunération des dirigeants de Wall Street, lier leur rémunération autant à leurs bons qu'à leurs mauvais coups, imposer une taxe Tobin sur les transactions financières pour réduire la spéculation (l'Europe est pour, les États-Unis et le Canada, contre).
Peu importe la grogne populaire à son endroit, Wall Street reste le coeur des économies occidentales. Une opération au coeur, c'est toujours délicat et risqué. Le docteur Obama a jugé que le patient pouvait s'en passer cette fois-ci.
Soit, Wall Street a retrouvé la santé (l'indice boursier Dow Jones a effacé ses pertes depuis la fin de 2007 et 15 des 19 grandes banques ont passé les derniers tests de solvabilité de la Fed). La lettre de démission de Greg Smith laisse à penser que Wall Street n'a pas changé ses habitudes de vie depuis sa dernière visite aux soins intensifs. Et qu'avec une telle attitude, les risques de rechute à long terme ne peuvent être ignorés.


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