La Charte des valeurs - L’espace du compromis

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Il serait intéressant d'avoir l'opinion de Djemila Benhabib

Où est la crise ? Où sont les études ? Ces questions reviennent souvent dans le débat sur la Charte des valeurs québécoises. Tout geste législatif n’est pas précédé d’études absolument exhaustives, mais le gouvernement devrait profiter de la consultation qu’il a lancée pour étoffer ses propositions et se pencher sur les critiques qui lui sont faites.

À écouter plusieurs critiques des propositions du gouvernement Marois, il faudrait, avant d’adopter des chartes et d’inscrire des principes fondamentaux dans des textes de loi, avoir en main des études exhaustives démontrant hors de tout doute la nécessité d’un geste législatif. Il s’agit d’un bel idéal vers lequel il faut tendre, mais qui ne semble jamais atteint, d’autant que le processus législatif est politique, c’est-à-dire soumis aux aléas des marchandages, des intérêts divergents.

Nombre de précédents existent. Le plus éclatant est cette autre charte autrement déterminante, adoptée en 1982, qui a redéfini en profondeur les systèmes juridique et politique de la fédération. Charte à l’aune de laquelle on jugera les propositions de Québec. Avant le coup de force qui l’a faite loi, la démonstration de son absolue nécessité avait-elle été faite ? Y avait-il violation massive des droits individuels dans le Dominion canadien ? Même de grands constitutionnalistes comme Peter Hogg ont répondu par la négative.

Autrement dit, on légifère souvent avant que ne surgissent les phénomènes qu’on souhaite réglementer et avant qu’une crise n’éclate. Le chef libéral Pillippe Couillard l’a d’ailleurs reconnu mercredi, en conférence de presse. Surtout lorsqu’on adopte des textes de nature quasi constitutionnelle, comme ceux qui constitueraient une Charte des valeurs. Une constitution est un contrat social. Or, tout contrat comporte des principes et des clauses anticipant événements, phénomènes, situations à venir.

Est-ce à dire qu’il ne devrait y avoir aucune autre étude ni enquête, maintenant que le gouvernement a déposé ses propositions ? Non, au contraire. Le ministre Bernard Drainville aurait intérêt à étoffer ses propositions et à profiter du débat qu’il a lancé. Il ne peut se contenter d’ouvrir sur Internet une sorte de réceptacle à opinions sans conséquence. On rétorquera que la commission Bouchard-Taylor a déjà fait le travail. Mais ses coprésidents n’avaient-ils pas, depuis le début, leur idée toute faite sur les sujets qu’ils traitaient ? Dans une entrevue au Devoir en 2007, avant que ne débute le processus de consultation, Gérard Bouchard n’avait-il pas confié qu’il souhaitait parcourir le Québec afin de « convaincre » la population ? Par ailleurs, au terme de leur enquête, les deux réputés chercheurs soulignaient que le travail devait se poursuivre : ils recommandaient la rédaction d’un livre blanc.

Si le gouvernement a invité à la discussion, au débat, s’il a préféré déposer une série de propositions plutôt qu’un avant-projet de loi, c’est qu’il est disposé à faire des compromis. Du moins, on l’espère. En outre, il devrait tenir compte des critiques de la Coalition avenir Québec sur certaines difficultés d’application de ses principes. De plus, il devrait considérer les vives critiques des Indépendantistes pour une laïcité inclusive au sujet de l’interdiction des signes religieux par les agents de l’État (autres que ceux qui sont en situation d’autorité). Non seulement il serait contradictoire de sa part de rejeter toute possibilité de compromis, mais on pourrait alors se demander s’il souhaite vraiment que le débat qu’il a ravivé débouche sur l’adoption en bonne et due forme d’un texte fondateur sur la laïcité de l’État.


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