La Charité

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Certains quêtent de quoi manger, d'autres l'honorabilité

Il fut une époque, dans les années 1950, où les écoliers québécois (on disait alors canadiens-français) étaient encouragés à économiser pour acheter la photo d’un petit Asiatique. En déboursant 25 cents, ils contribuaient ainsi aux oeuvres missionnaires.

Dans 50 ans, les historiens parleront-ils de cette époque où, à la veille de Noël, des hommes politiques canadiens s’« achetaient » des petits Syriens ? Je suis convaincu qu’un jour on rapprochera ces photos jaunies d’avant la Révolution tranquille, mettant en scène un clergé omnipotent, de ces cérémonies tout aussi empesées où des ministres dans un complet trop grand serrent la pince à des enfants qui n’y comprennent rien.

Il ne s’agit pas de mépriser ce qu’il y a de noble dans la charité. La charité du peuple, en particulier, est digne chaque fois qu’elle ne sombre pas dans cet exhibitionnisme de nantis et de notables repus qui fait aujourd’hui la une de nos journaux. Quant aux pays, l’accueil des réfugiés est pour eux un devoir inscrit dans des traités internationaux. Il n’a pas à se transformer en concours de popularité comme c’est le cas ces jours-ci au Québec.

Cette charité intéressée, l’écrivain catholique Léon Bloy la qualifiait de « pince-cul aristocratique » offrant le spectacle de « l’hypocrisie universelle ». Que dirait-il de tous les Bill Gates et autres Zuckerberg de ce monde qui détournent ce qu’il y a de généreux dans le don pour en faire un vil objet de promotion ?

Rarement l’affichage aura été aussi obscène. Rarement aura-t-on détourné à ce point la générosité pour en pervertir le sens. Chaque fois que Bill Gates investit dans l’aide internationale, il fait non seulement sa propre publicité, mais il s’accorde le privilège de choisir seul les priorités des pays pauvres. Lui dont la fortune dépasse leur budget national. Ce business de la charité nous vient d’ailleurs des États-Unis, là où les services publics sont si mal en point.

Quant à Mark Zuckerberg, qui a célébré récemment la naissance de sa fille en créant une fondation destinée, dit-il, à rendre le « monde meilleur », on nous permettra de rigoler. Je ne sais pas si Zuckerberg est un bon chrétien. Mais je sais qu’il est un mauvais citoyen. Son entreprise n’a payé en France que 300 000 euros d’impôt en 2014 et 5800 en Grande-Bretagne ! Une misère, comparée aux milliards qui transitent par l’Irlande et les îles Caïmans. L’homme d’affaires de 31 ans a beau jeu de brandir le tricolore et de clamer sa solidarité avec les Français depuis les attentats du 13 novembre. En France, depuis la Révolution, c’est l’impôt des citoyens qui permet de payer les policiers et les militaires, pas l’aumône des nantis.

Mais revenons chez nous. Il serait mesquin de réduire l’accueil des réfugiés à un simple jeu politique, même si celui-ci s’affiche honteusement. On a vu chez le peuple québécois une vraie générosité. Mais une générosité qui semble toujours tellement exagérée, démesurée et grandiloquente qu’elle crée un malaise tout aussi réel.

Comme si, pour les Québécois, cette générosité était devenue une occasion de s’oublier eux-mêmes. Comme si l’amour de l’Autre était une façon de compenser la haine de soi. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, s’il faut en croire le récent documentaire de Bernard Derome intitulé Crise d’identité. La plupart des personnalités de la jet-set qu’on y interviewe ne savent même plus si l’identité québécoise existe et encore moins si elle est digne de se perpétuer.

Pour un peuple à qui l’on martèle à coeur de semaine qu’il n’existe pas et que son histoire n’est qu’une somme d’ignominies, cette crise des réfugiés est une occasion de plus de se noyer dans l’Autre. Mais cette enflure de générosité n’est-elle pas, elle aussi, une forme dévoyée de la charité ? La xénophilie exacerbée vaut-elle vraiment mieux que la xénophobie ?

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