La chaise vide

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Trudeau fragilisé par son absence au premier débat anglais

On dit les que les absents ont toujours tort, mais il peut arriver que la politique de la chaise vide soit la meilleure. Le premier ministre, Justin Trudeau, a été vivement critiqué pour avoir décidé de boycotter le débat des chefs organisé jeudi par le magazine Maclean’s et il ne participera pas non plus à celui qui aura lieu le 1er octobre à l’invitation de la fondation Munk, préférant se réserver pour les deux débats prévus par la nouvelle Commission aux débats des chefs, les 7 et 10 octobre, et le « face-à-face » organisé par le réseau TVA le 2 octobre.

Pour bien souligner son absence, on avait laissé en place le lutrin qui lui était réservé sur le plateau. La cheffe du Parti vert, Elizabeth May, a même fait mine de lui donner la main. Bien entendu, ses adversaires l’ont accusé de se défiler et d’avoir peur de défendre son bilan.

Ces deux débats l’avaient pourtant bien servi en 2015. Sa bonne performance avait été une sorte de révélation pour de nombreux Canadiens qui ne l’avaient pas vraiment pris au sérieux jusque-là. Précisément. Maintenant qu’il est lui-même devenu l’homme à abattre, il ne tient sans doute pas à ce qu’un autre en profite à ses dépens. S’il avait trébuché, on le lui aurait continuellement rappelé. Le 21 octobre, qui se souviendra qu’il n’était pas là ?

C’était un bon calcul. Sans surprise, Andrew Scheer a constamment essayé de transformer le débat en procès de gouvernement sortant, mais la boxe fantôme a ses limites. À défaut d’avoir le premier ministre sous la main, les deux autres chefs de parti s’en sont pris à celui qui a le plus de chances de lui succéder.


 
 

On ne prendra pas Jagmeet Singh à se laisser déborder sur sa gauche par le PLC, comme Thomas Mulcair l’avait bêtement fait en 2015. Aussi bien les libéraux que les conservateurs servent les intérêts des riches, des spéculateurs et des pollueurs, a-t-il martelé. Mais « Scheer va faire pire que Trudeau », a-t-il ajouté. C’est tout ce que ce dernier voulait entendre. Dans cette course à deux, le premier ministre n’a certainement aucune objection à être perçu comme le moindre mal.

Coincé entre deux progressistes, il était inévitable que le conservateur apparaisse comme le vilain, qu’il s’agisse d’environnement ou de relations avec les nations autochtones. En matière d’affaires étrangères, « si vous voulez savoir ce que pense M. Scheer, regardez ce que pense M. Trump », a lancé Elizabeth May. Au moins, si le chef libéral avait été là, il n’aurait pas été le seul à prendre des coups.

En l’absence de M. Trudeau, les chefs des deux tiers partis ont plutôt fait le travail à sa place, avec d’autant plus d’énergie que le NPD et le Parti vert se battent pour déterminer lequel représentera l’option progressiste dans les années à venir. Sur le fond, leur message était le même que celui du PLC : avec un gouvernement conservateur, le Canada retournerait aux douloureuses compressions des années Harper.


 
 

Il est certainement heureux que la tenue de débats entre les chefs soit entrée dans les moeurs, même si cela a souvent nécessité de difficiles négociations entre les partis et les télédiffuseurs. Aucun chef de parti ne songerait aujourd’hui à s’y soustraire. Au contraire, on se bat pour y être invité. Pour de nombreux électeurs, qui n’ont pas nécessairement le temps ni le goût de suivre le déroulement d’une campagne avec assiduité, cela constitue souvent un moment déterminant dans le choix qu’ils feront dans l’urne. Au-delà des partis et des programmes, un débat permet de mieux cerner l’homme ou la femme qui dirigera le pays pendant quatre ans. Certains débats, comme celui qui a opposé Brian Mulroney à John Turner en 1984, ont même scellé le sort d’une élection.

L’exercice ne doit cependant pas être banalisé. En 2015, les calculs stratégiques de Stephen Harper ont fait éclater le monopole que le consortium des médias exerçait depuis 1968 et chacun a voulu organiser son débat. La relative désaffection de l’auditoire qui en a résulté au Canada anglais a incité diverses personnalités, principalement issues de la communauté, à lancer un mouvement visant à renouveler la formule, qui a abouti à la création du poste de commissaire aux débats des chefs, dont l’ancien gouverneur général David Johnston est le premier titulaire. Pourtant, comme en 2015, on se retrouve avec cinq débats.

Les médias et les mordus de politique raffolent de ces affrontements, mais jusqu’à quel point peut-on les multiplier sans provoquer la lassitude des électeurs, qui sont en principe ceux qui doivent en bénéficier au premier chef ? Trop, c’est comme pas assez.

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